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M. Thiers se laissaient volontiers entraîner par lui dans des questions de cette nature, et le cabinet se montrerait peut-être plus enclin que par le passé à entrer dans la voie hardie mais rationnelle dont le maréchal venait lui signaler l'urgence.

Un fait glorieux, en se produisant à cette même époque, apporta son appui moral aux demandes du maréchal Clausel: ce fut la victoire de la Sickah, remportée par le général Bugeaud sur les troupes de l'émir, dont la sanglante défaite eut dans toute l'Algérie un immense retentissement.

Le maréchal indiquait une expédition dans la province de Constantine, et la prise de cette place comme l'opération la plus urgente qu'on pût tenter en vue de la solidité de notre occupation en Afrique. Achmet-Bey se montrait en effet, sur ce point, aussi dangereux, aussi ennemi de la domination française qu'Abd-el-Kader lui-même. Le maréchal Clausel fit prévaloir ses idées à cet égard, il demandait seulement des renforts de troupes pour pouvoir les mettre à exécution. Il voulait aussi que l'expédition ne fût pas retardée au delà des premiers jours d'octobre. Tout cela lui fut accordé, et il retourna satisfait à son poste.

Mais déjà le cabinet du 22 février était ébranlé ; déjà son existence était sérieusement mise en question. Le maréchal, à peine de retour à Alger, apprit que la crise ministérielle éclatait, et, comme,

dans les gouvernements parlementaires, la chute d'un cabinet implique presque toujours un changement de système, il s'empressa d'envoyer à Paris son aide de camp, M. de Rancé, chargé par lui de sonder les dispositions du cabinet nouveau et de réclamer l'envoi d'un renfort de dix mille hommes.

Le ministère Molé consentait à assumer la responsabilité de l'expédition de Constantine, legs qu'il avait trouvé dans le portefeuille du cabinet précédent, mais il n'accordait pas le renfort de dix mille soldats demandé par le maréchal, se contentant de compléter un effectif de trente mille hommes pour l'armée d'Afrique, et annonçant que le second fils du roi, M. le duc de Nemours, s'embarquerait le 25 octobre, à Toulon, pour se rendre à Bone afin de prendre part à la campagne projetée. Le maréchal, qui savait bien que les retards apportés à l'exécution de son plan pouvaient entièrement la compromettre, aurait dû sans doute attirer sur ce point l'attention du gouvernement, et déclarer qu'à l'époque de l'année où on était parvenu il ne consentirait plus, pour son propre compte, à accepter la responsabilité de l'expédition. Il n'eut pas le courage de le faire et craignit que l'opinion publique, bruyamment préparée par les journaux, n'éprouvât une vive déception à la nouvelle de cet ajournement, faute grave qui lui fut justement reprochée plus tard. Trompé par de

faux rapports, le maréchal n'était pas très-éloigné du reste de supposer que l'expédition ne rencontrerait que les obstacles matériels prévus à l'avance. Huit jours de marche à peine séparaient Bone de Constantine. Les tribus que l'on traverserait lui étaient représentées comme plus agricoles que belliqueuses, et l'expédition ne serait peut-être qu'une promenade militaire aboutissant à la prise d'un point qu'exigeait la sûreté tout aussi bien que l'extension de la conquête.

Dès que les intentions du gouvernement furent arrêtées et connues, on vit un certain nombre de volontaires appartenant aux hautes classes de la société briguer l'honneur de partager les fatigues et les périls de nos soldats. Les ducs de Mortemart et de Caraman, le comte de Sainte-Aldegonde, quelques jeunes gens des salons de Paris sollicitèrent cette faveur. Tous partirent en même temps que le duc de Nemours, qui n'en était déjà plus à faire ses premières armes, et avait vu bravement le feu dans la tranchée d'Anvers.

Le 10 novembre 1836 l'armée expéditionnaire se trouvait réunie à Bone. Elle comptait cinq mille fantassins, non compris les bataillons indigènes et irréguliers, douze cents hommes de cavalerie et un corps peu nombreux d'artillerie et de génie. Cet ensemble ne formait pas huit mille combattants, et c'était bien peu pour l'entreprise dans laquelle

on s'engageait. Le 12, les colonnes se mirent en marche.

Elles ne rencontrèrent d'abord aucun ennemi, aucun obstacle. Sur leur route elles passaient au milieu de nombreux troupeaux de moutons, de chèvres, de bœufs, et les Arabes laboureurs occupés aux travaux des champs accouraient pour les voir sans manifester de sentiments hostiles. Les défilés furent heureusement franchis ainsi que des torrents grossis par de récents orages. Mais ces favorables débuts furent bientôt suivis d'incidents fâcheux une pluie glaciale mêlée de neige commença, vers la fin du troisième jour de marche, à tomber avec une déplorable persévérance. La nuit fut mortelle pour un grand nombre de soldats. Beaucoup également eurent des membres gelés. Chaque journée de cette pénible marche amoindrissait l'effectif des combattants dans une proportion considérable. Le 20, l'armée n'était plus qu'à trois lieues de Constantine et pouvait déjà entrevoir à l'horizon la silhouette blanche de cette ville.

Le 21, après avoir franchi deux torrents en ayant de l'eau jusqu'à la ceinture, nos colonnes arrivèrent enfin sur le plateau de Mansourah et prirent position à cent vingt toises de la place. En ce moment un coup de canon se fit entendre; le drapeau rouge fut hissé sur les murailles de Constantine, et les dernières illusions du maréchal durent

s'évanouir en présence de ces démonstrations belliqueuses.

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Constantine se présentait perchée sur son rocher comme un château enchanté des vieux contes de chevalerie, et séparée du plateau où venaient de se développer les colonnes françaises par un profond ravin sur lequel un pont étroit, aboutissant à la porte de la ville toute bardée de fer, avait été jeté pour communiquer à ce plateau de Mansourah, d'où l'œil exercé du maréchal pouvait déjà entrevoir les immenses difficultés d'une entreprise trop peu réfléchie il comprit qu'il fallait recourir à la force et, comme il l'a dit lui-même depuis, la force lui manquait de plus en plus. Non-seulement le temps affreux couvrait de neige les hommes et la terre, faisant disparaître dans les boues les charriots et les caissons de l'armée; non-seulement le thermomètre était descendu à quatre degrés audessous de zéro, mais encore il était évident que l'artillerie de campagne amenée par le maréchal était insuffisante pour détruire les redoutables obstacles opposés à l'ardente volonté du soldat. Ainsi ce n'était pas un siége régulier qu'il s'agissait d'entreprendre, c'était un coup de main qu'il fallait tenter.

Du côté sud, la ville était séparée des hauteurs de Koudiat - Aty par un mur d'enceinte peu fortifié que ces hauteurs commandaient absolument.

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