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jamais la fierté de son pays. Non je ne puis pas encore renoncer à cette belle et noble alliance qui est fondée non-seulement sur la puissance matérielle, mais encore sur la force morale des principes, car quand nous sommes avec l'Angleterre nous ne sommes pas obligés de cacher notre drapeau. M. Thiers ne se doutait pas alors que ce même gouvernement dont il vantait l'alliance en citant le mot de Napoléon Ier : « Il y a une erreur dans ma vie, erreur commune à l'Angleterre et à moi : nous pouvions être alliés et faire beaucoup de bien au monde, je l'aurais pu si Fox eût été aux affaires; » M. Thiers ne se doutait pas, disons-nous, que la politique du gouvernement anglais allait, dans un avenir très-rapproché, le renverser lui-même du pouvoir auquel il prétendait alors; mais cette tendance favorable à une alliance que Louis-Philippe recherchait encore avec ardeur, ne pouvait, on le conçoit, que plaire au roi et désigner d'autant plus M. Thiers à son choix comme chef du cabinet futur.

Il est vrai qu'en prenant M. Thiers, il fallait prendre aussi quelques-uns des hommes du centre gauche qu'il n'aimait pas. Un instant Louis-Philippe eut l'idée de rappeler le comte Molé au pouvoir, mais il comprit bientôt que la chose n'était pas possible; et, d'un autre côté, le duc de Broglie insistait vivement pour la formation d'un cabinet

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dont M. Thiers serait président. Ces conseils d'un homme qu'il estimait sans avoir de sympathie pour son caractère politique, et le désir de faire cesser la crise ministérielle qui en était déjà à son huitième jour, décidèrent enfin le roi. Le 1er mars 1840 il signait les ordonnances par lesquelles M. Thiers, nommé président du conseil, était appelé au ministère des affaires étrangères, M. de Rémusat à celui de l'intérieur avec M. de Malleville pour sous-secrétaire d'État, M. Vivien au ministère de la justice et des cultes, M. Pelet (de la Lozère) au ministère des finances, M. Cousin à celui de l'instruction publique, le général Cubières à la guerre, l'amiral Roussin à la marine, M. Jaubert aux travaux publics, M. Gouin au département de l'agriculture et du commerce.

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Dans cette combinaison deux portefeuilles seulement, celui de l'intérieur et celui des travaux publics étaient concédés à l'élément doctrinaire, le reste appartenait à la gauche modérée. La nomination de l'amiral Roussin au ministère de la marine étonna l'opinion publique, l'amiral Roussin, pendant son ambassade à Constantinople, s'était montré violent adversaire des prétentions de Méhémet-Ali; M. Thiers, avec ses idées bien arrêtées d'alliance anglaise, avait-il donc l'intention d'abandonner son protégé égyptien? ou ne recherchait-il, dans l'amiral Roussin, que le partisan très-décidé de la pré

pondérance maritime de la France dans la Méditerranée ?

Les Chambres accueillirent avec une certaine froideur l'avénement du ministère du 1er mars, et, malgré les efforts conciliants du duc de Broglie, cette froideur se manifesta très-ouvertement au Luxembourg; mais il n'était pas dans les habitudes de la pairie de formuler son opposition d'une façon nette et décisive. A la Chambre des Députés le centre droit et les doctrinaires déclaraient hautement qu'ils ne donneraient leur concours au chef du cabinet que s'il en revenait aux principes mêmes de l'ancienne majorité. La session, quoique fort avancée déjà, devait se prolonger assez, du reste, pour laisser aux nouveaux ministres le temps et la possibilité de traduire clairement leur politique et d'essayer l'opinion parlementaire. Un mot de M. Thiers semblait d'ailleurs indiquer qu'il ne comptait pas dévier beaucoup de la ligne suivie par le cabinet auquel il succédait. « Nous jouerons le même air, avait-il répondu à un député inquiet et curieux, nous jouerons le même air, mais nous le jouerons mieux. » Dès le 11 mars M. de Rémuzat présenta à la Chambre le projet de loi sur les fonds secrets, moyen très-naturel de consulter son opinion, de lui faire dire son dernier mot. Le cabinet portait en même temps au Luxembourg un projet de loi amendé sur le travail des enfants

dans les manufactures. C'était un legs de la précédente administration, et bien qu'il fût discuté avant la loi des fonds secrets, il n'y avait point là matière à manifestation politique.

Tout autre fut à la Chambre des Députés le débat relatif au vote de confiance. La discussion à laquelle prirent part le président du conseil, MM. de Lamartine, Odilon Barrot, de Rémusat, Berryer, Garnier Pagès, Jaubert et Teste, fut d'une vivacité extrême. Interpellé par la gauche sur sa manière de voir relativement au rappel des lois de septembre et à la réforme de la législation électorale, M. Thiers répondit qu'en ce qui touchait la première, son intention était seulement d'y introduire une définition de l'attentat. Abordant ensuite la quéstion de réforme électorale, «la difficulté sur cé point, dit-il, sera grande dans l'avenir. Elle n'existe pas aujourd'hui. Pourquoi? Y a-t-il, parmi les adversaires de la réforme électorale, quelqu'un qui, devant le corps électoral, devant la Chambre et, j'ajouterai, devant la charte, ait dit << Jamais! >> Personne. Parmi les partisans de la réforme, y a-t-il des orateurs qui aient dit « Aujourd'hui?» Aucun. Tous ont reconnu que la question appartenait à l'avenir, qu'elle n'appartenait pas au temps présent. » Assurément cette politique expectante n'était point de nature à beaucoup effrayer les centres. Il n'y avait rien là qui pût

soulever leur colère. Tout semblait, du reste, réussir au président du conseil. Après d'éloquentes apostrophes de M. de Lamartine, il fut défendu par le chef de la gauche, par M. Odilon Barrot. << Confiance! s'était écrié le grand poëte, confiance, et à quoi? Si je me place au point de vue libéral, qui est le mien plus que vous ne voulez le croire, je vous trouve en face de mes principes de progrès social dans presque tous les grands combats que nous avons livrés depuis cinq ans pour développer et moraliser la démocratie. Si je me place au point de vue conservateur, je vous trouve à la tête de ceux qui ont mis le trouble et l'inquiétude dans le parlement, soufflé l'agitation entre le parlement et la couronne, de ceux dont un des organes ne cesse pas de sonner ce qu'on pourrait appeler, en termes révolutionnaires, le tocsin de la presse en permanence contre nous. Et vous voudriez que je déclarasse confiance à tout cela! Non le pays ne nous a pas envoyés pour jeter le mensonge dans cette urne de vérité! »> Et M. Barrot répondait : «Direz-vous que le ministère ne réalise pas un progrès?... Il faut dire la vérité sans exagération... Eh bien, Messieurs, c'est dans la mesure des déclarations que M. Thiers vous a faites que je vois un progrès qui mérite notre appui... Il est sorti de l'opposition; il n'a pas désavoué son origine; il n'a désavoué aucun des

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