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convaincu du triomphe futur de ses idées, de cet incommode voisin toujours prêt à jeter le nom le plus glorieux du siècle dans la mêlée d'une insurrection, elle était très-disposée à lui tendre des piéges, à l'attirer sur le sol français afin de s'emparer de sa personne. Le prince alla lui-même au devant de ses désirs.

Déjà, deux mois auparavant, il avait profité d'une occasion toute fortuite pour livrer de nouveau son nom à la publicité : le général Bertrand ayant cru devoir déposer entre les mains de LouisPhilippe l'épée de l'empereur Napoléon, au moment où l'imagination publique était vivement frappée du prochain retour des cendres du grand homme, ce dépôt avait eu un certain retentissement. Le prince protesta, le 9 juin 1840, dans une lettre datée de Londres et qui renfermait ce passage alors fort remarqué: «En remettant les armes du chef de ma famille au roi Louis-Philippe, le général Bertrand a été victime d'une déplorable illusion. L'épée d'Austerlitz ne doit pas rester dans les mains ennemies; il faut qu'au jour du danger elle brille pour la gloire de la France. Qu'on nous laisse dans l'exil, qu'on garde nos biens, qu'on ne se montre généreux qu'envers Napoléon mort, nous nous résignons à notre sort tant que notre honneur restera intact. Mais priver les héritiers de l'Empereur du seul héritage que le sort leur ait

laissé, donner à un heureux de Waterloo les armes du vaincu, c'est trahir le plus sacré des devoirs et imposer aux opprimés l'obligation de dire un jour aux oppresseurs: Rendez-nous ce que vous avez usurpé! » Le prince soutenait également à Paris deux journaux bonapartistes: le Capitole dirigé dans le principe par M. de Crouy-Chanel, et le Journal du Commerce d'une nuance moins tranchée, journaux sans public mais qui cherchaient habilement à s'insinuer. Quelques affidés répandaient en même temps dans les casernes une brochure intitulée Lettres de Londres et rédigée sous les yeux du prince; mais il faut le dire, pour demeurer sévèrement, impartialement dans la vérité historique, il n'existait point alors en France de parti bonapartiste. La tentative de Strasbourg qui aurait pu, malgré son dénouement, donner de l'importance, de l'homogénéité aux sympathies individuelles disséminées dans le pays, n'avait pas eu ce résultat. Il a fallu les calamités politiques de toute nature que la révolution de février 1848 a répandues sur la France, il a fallu l'impérieux beoin d'une direction anti-socialiste, d'un gouvernement de salut public pour créer dans la bourgeoisie et au sein des masses ce parti bonapartiste auquel Louis-Napoléon faisait alors de vains appels.

Et cependant, trompé par son entourage, guidé par cette voix intérieure de la destinée à laquelle

tous les hommes obéissent, le prince était sur le point de réaliser une tentative nouvelle bien plus audacieuse, bien moins rationnelle que son aînée. Il est certain, du reste, que s'il eût pu compter sérieusement sur un concours important des soldats et du peuple au moment de l'exécution du nouveau plan qu'il avait formé, ce moment n'était pas mal choisi pour un pareil essai. La translation des restes de l'empereur Napoléon et l'enthousiasme avec lequel la nouvelle de cette mesure avait été accueillie dans les masses, la phrase du rapport de M. de Rémusat « il fut empereur et roi; il fut le souverain légitime de notre pays », la déplorable situation faite à la France par le traité du 15 juillet et l'humiliation que l'Angleterre nous infligeait alors, humiliation si vivement ressentie par la nation entière, tout cela réuni pouvait contribuer moralement au succès d'une entreprise qui aurait eu d'ailleurs de sérieuses chances de réussite. Dans les circonstances données, cet ensemble favorable de détails ne pouvait qu'ajouter aux illusions du prince.

Sur quelles indications, d'après quelles données se lançait-il, en effet, dans cette aventure nouvelle? Par un hasard singulier, plusieurs des régiments qui ne s'étaient point montrés hostiles à Strasbourg faisaient partie de là division du nord et tenaient garnison dans des villes du littoral.

Les agents du prince avaient quelques intelligences dans ces régiments. Deux compagnies du 42° de ligne se trouvaient en ce moment à Boulogne-surMer, et précisément M. Aladenize, lieutenant au 42°, était un des conspirateurs les plus dévoués à la cause bonapartiste. A Lille, à Saint-Omer, on avait noué quelques intrigues. Des officiers de tout grade, mais en nombre assez restreint, avaient promis leur adhésion immédiate si un noyau se formait, et en cas de réussite; hommes prudents qui savaient ainsi tout ménager, l'intérêt du moment comme celui de l'avenir. Il est certain maintenant que le maréchal Clausel, que le général Duchant, commandant à Vincennes, étaient engagés de cette façon; le prince croyait pouvoir compter sur le concours du général Magnan, et voici ce qui était arrivé relativement à cet officier qui commandait alors la division du nord M. le Duff de Mésonan, ancien chef d'escadron d'étatmajor et chaud partisan de Louis-Napoléon, s'était présenté à Lille chez le général Magnan avec lequel il avait eu d'anciennes relations. Quelques jours après cette première entrevue, il avait remis au général les Lettres de Londres et plus tard encore lui avait donné connaissance d'une lettre du prince dont voici le début : « Mon cher commandant, il est important que vous voyiez de suite le général en question; vous savez que c'est un homme

d'exécution et que j'ai noté comme devant être un jour maréchal de France. Vous lui offrirez cent mille francs de ma part, et trois cent mille francs que je déposerai chez un banquier à son choix, à Paris, dans le cas où il viendrait à perdre son commandement. » Le général Magnan n'accepta pas, comme il l'a dit ensuite devant la Cour des Pairs, l'offre du prince dans les termes où elle était faite; toutefois son interlocuteur emporta de lui des paroles de concours pour le cas où l'expédition bonapartiste aurait un commencement de succès.

Baser une entreprise semblable sur des données aussi incertaines était un acte bien téméraire; mais l'entourage du prince, et surtout les agents secrets de Louis-Philippe, présentant les choses d'une façon toute mensongère, poussaient vivement à un dénoûment trop facile à prévoir. Nous avons dit, en racontant la tentative de Strasbourg, que les espérances qui avaient enfanté le complot étaient parfaitement explicables, parce qu'il y avait là une demi-réalité; mais, trois ans seulement après l'insuccès de Strasbourg, en présence de la froideur des masses, sentiment si difficile à vaincre, avec la rude expérience de l'hostilité des classes bourgeoises et presque sans aucunes chances matérielles de réussite, la tentative de Boulogne est d'une étonnante hardiesse.

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