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Nous nous trompons : elle s'explique comme son aînée par la force impulsive d'une étrange et impérieuse destinée.

Le prince avait rassemblé toutes les ressources pécuniaires dont il pouvait disposer alors, et ses amis étaient parvenus à négocier un emprunt destiné à compléter la somme relativement considé... rable que devait exiger l'expédition projetée. La reine Hortense avait adressé au gouvernement hollandais une réclamation relative à une reprise de douze cent mille francs, et, comme transaction, six cent mille francs avaient été remis entre les mains du prince au mois de juillet 1840. Quant à l'emprunt, deux des conjurés s'étaient abouchés avec un certain M. Smith, employé à la trésorerie de Londres, lequel, entraîné dans des spéculations déplorables, ne savait plus comment se tirer de la situation périlleuse qu'il s'était faite. Cet homme s'entendit avec quelques capitalistes de la Cité, et prit l'engagement de réunir les fonds dont le prince avait besoin pour son entreprise, à la seule condition que la date précise de l'expédition lui serait confiée. Son projet était de tenter avec les spéculateurs qui se cotisaient, pour rassembler les fonds de l'emprunt, une grande opération à la baisse sur toutes les places de l'Europe. Cette attaque dirigée contre le gouvernement de LouisPhilippe lui semblait de nature, en supposant

même qu'elle ne fût pas couronnée de succès, à produire une grande sensation dans toutes les capitales du continent. Ces combinaisons devaient être trompées par la façon si rapide dont la tentative échoua.

Le prince fit louer par un tiers, moyennant cent livres sterling par semaine, et sous le prétexe d'une partie de plaisir en mer, le bateau à vapeur l'Edinburgh Castle, sur lequel on transporta, dans la soirée du 4 août, des armes, des uniformes, une voiture, des chevaux, des bagages de toute sorte et jusqu'à un aigle apprivoisé, emblème vivant dont la vue plaisait au prétendant impérial et auquel il voulait rendre la liberté en abordant cette terre de France vers laquelle tendaient tous ses vœux comme toutes ses pensées. Louis-Napoléon s'embarqua lui-même dans la matinée du 5. Ses partisans s'étaient divisés en plusieurs groupes que le bâtiment devait prendre successivement sur plusieurs points désignés à l'avance des rives de la Tamise. Tout se passa sans incident et comme on l'avait prévu; mais, arrivé en pleine mer, le bâtiment eut à lutter contre un gros temps qui retarda sa marche. La nuit vint, et ce ne fut que le 6 août à trois heures du matin qu'on aperçut les côtes de France. Le prince avait, durant la traversée, rassemblé tous les conjurés pour leur donner connaissance des divers décrets et proclamations qu'il

avait préparés à l'avance; comme à Strasbourg les proclamations s'adressaient séparément au peuple et à l'armée. C'était le même esprit, c'était presque la même forme, et cette forme devait, à onze ans de distance, se retrouver dans les proclamations du 2 décembre 1.,

Parmi les décrets l'un des plus curieux était ainsi conçu: « Le prince Napoléon, au nom du peuple français, décrète ce qui suit: la dynastie des Bourbons d'Orléans a cessé de régner. Le peuple français est rentré dans ses droits. Les troupes sont déliées du serment de fidélité. La Chambre des Pairs et la Chambre des Députés sont dissoutes. Un congrès national sera convoqué dès l'arrivée du prince Napoléon à Paris. M. Thiers, président du conseil, est nommé à Paris président du gouvernement provisoire. Le maréchal Clausel est nommé commandant en chef des troupes rassemblées à Paris. Le général Pajol conserve le commandement de la première division militaire. Tous les chefs de corps qui ne se conformeront pas sur-le-champ à ces ordres seront remplacés. Tous les officiers, sous-officiers et soldats qui montreront énergiquement leur sympathie pour la cause nationale seront récompensés d'une manière éclatante au nom de la patrie. Dieu protége la France ! »

1. Voir les notes et documents historiques.

Nous n'avons pas besoin de dire que le nom de M. Thiers, mentionné dans ce décret, n'impliquait en rien sa participation aux projets du prince Louis - Napoléon. La suite a bien prouvé que le président du cabinet du 1er mars, malgré son goût pour les souvenirs du premier empire, n'était point disposé à favoriser les desseins politiques du neveu de l'Empereur. Des trois personnages indiqués dans le décret, le maréchal Clausel était le seul sur le concours duquel le prince pût sérieusement compter; mais il y avait de l'habileté à jeter en pâture à la curiosité publique les noms de trois hommes connus, puisqu'ils semblaient de la sorte participer au complot, et que leur notoriété ne pouvait que le populariser.

Vers quatre heures du matin, le 6 août, le bâtiment s'approcha de la côte de Wimereux, distante d'environ trois quarts de lieue de la ville de Boulogne, et tous les conjurés furent successivement amenés sur la plage par le canot de l'Edinburgh Castle; ils étaient au nombre de vingt-trois, et quatre autres, parmi lesquels se trouvait le lieutenant Aladenize, les attendaient sur le rivage, première déception de cette journée pour le prince qui espérait apercevoir en débarquant trois cents hommes rangés en bataille.

On se reconnut; on échangea quelques paroles; la troupe se groupait autour d'un drapeau surmonté

d'un aigle et allait se mettre en marche lorsque trois ou quatre douaniers accoururent. On les entoura, et, tout en leur expliquant qu'il ne s'agissait point d'une affaire de contrebande, on les entraîna vers Boulogne. Un poste placé à l'entrée de la ville prit les armes en apercevant les conjurés; il était gardé par des soldats du 42° que le lieutenant Aladenize s'efforça vainement de gagner à la cause du prince dont ils refusèrent de suivre le cortége.

On s'avance rapidement alors vers la caserne de Boulogne (il était environ cinq heures du matin), et dans la cour de cette caserne la scène de Strasbourg se renouvelle. Le lieutenant Aladenize ayant fait battre le tambour, les sous-officiers et soldats descendent de leur chambre. D'après ses ordres, ils se rangent en bataille. Le prince se présente alors, il se fait connaître, et, dans une courte harangue, exhorte chaleureusement les soldats à suivre sa fortune. Des cris de vive Napoléon se font entendre; mais l'étonnement semble l'emporter sur l'enthousiasme. En ce moment quelques officiers du 42° paraissent à l'entrée de la caserne; ils s'avancent en écartant les conjurés. Le capitaine Col-Puygellier est à leur tête. « Capitaine, lui dit M. de Mésonan, soyez des nôtres et votre fortune est faite. » Cependant le capitaine a mis le sabre à la main et veut faire entendre un commandement. Les conjurés l'entourent, le pressent en criant:

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