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contrairement à tous les usages de la diplomatie, décidé qu'elles passeraient outre à l'exécution du traité du 15 juillet sans attendre l'échange des ratifications de ce traité? La reine Victoria, dans le discours de la couronne pour la prorogation du parlement, ne prononça pas même le nom de la France, oubli dédaigneux et affecté qui contrista singulièrement Louis-Philippe; puis vinrent les préliminaires immédiats de l'emploi de la force contre Méhémet-Ali. Un note en date du 19 août fut remise au pacha par les consuls des quatre puissances. On y remarquait ce passage significatif: « Le vice-roi est trop éclairé et connaît trop bien les ressources dont les quatre grandes puissances peuvent disposer, pour se flatter un seul instant de pouvoir par ses faibles moyens résister même à l'une ou à l'autre d'entre elles. Ce serait se bercer d'un espoir bien funeste que de compter, dans les circonstances actuelles, sur un appui de l'étranger. Qui pourrait arrêter les décisions des quatre grandes puissances? qui oserait les braver? Loin de lui être favorable, une telle intervention en sa faveur ne ferait que hâter sa perte, alors devenue certaine. Les quatre grandes puissances développeraient des forces plus que suffisantes pour combattre tout ce qui pourrait s'opposer à l'exécution de la convention. On portera là où le cas l'exigera une force suffisante pour rendre toute résistance impossible

et l'anéantir d'un seul coup. » Ce langage n'était que trop clair. Le commodore Napier commençait d'ailleurs à le traduire en faits contre lesquels M. de Pontois protestait vainement. Quant à Méhémet-Ali, les promesses indirectes et l'attitude armée de la France lui avaient fait adopter la ferme résolution de résister à la coalition européenne.

Dans ces difficiles conjonctures, M. Thiers voulut tenter un nouvel effort: il confia au comte Walewski une mission confidentielle auprès du pacha; cette mission avait pour but de donner à MéhémetAli, au nom du gouvernement français qui ne pouvait lui accorder une protection plus efficace, le conseil de faire acte de soumission à son suzerain en s'engageant à lui payer un tribu annuel et en bornant ses prétentions à la possession héréditaire de l'Égypte avec la jouissance viagère de la Syrie, c'est-à-dire en renonçant à Candie, au district d'Adana et aux villes saintes. C'était appeler le sultan lui-même à réformer les décisions prises à Londres par les puissances, car ce que le pacha accordait ainsi comme concession avait été repoussé par les signataires de la convention du 15 juillet. Le succès de cette démarche du gouvernement français était donc plus que douteux.

Rifaat-Bey venait d'être envoyé par le sultan à Méhémet-Ali pour lui demander quelles étaient ses

III.

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résolutions relativement aux propositions qui lui avaient été transmises. Le premier délai fixé par le traité du 15 juillet expirait le 26 août. Dans une première réponse le pacha se montra intraitable; mais deux jours après, le 28, cédant aux conseils de M. Walewski, il fit appeler Rifaat-Bey et lui exposa les concessions qu'il jugeait convenable de faire en le chargeant de transmettre directement à la Porte l'expression de ses dispositions nouvelles à cet égard. Rifaat partit aussitôt pour Constantinople où M. Walewski le devança.

Malheureusement pour la combinaison de M. Thiers et pour le succès de la mission du comte Walewski; les ambassadeurs d'Angleterre et de Russie, avertis par leurs gouvernements, s'étaient empressés, afin d'engager irrévocablement le sultan, de lui faire publier un manifeste par lequel il déclarait que sa volonté immuable était de concéder uniquement à Méhémet-Ali la vice-royauté héréditaire de l'Égypte avec le pachalick d'Acre à titre viager. M. Thiers dut donc renoncer définitivement à l'espoir qu'il avait conçu d'amener une transaction entre Abdul-Medjid et son vassal révolté.

L'embarras du cabinet français s'accrut encore lorsqu'on apprit à Paris que les hostilités étaient entamées entre les alliés et le pacha. Le 10 septembre, l'amiral Stopford, commandant en chef de

l'escadre anglaise, les amiraux Bandiera et Walker, dirigeant les forces maritimes autrichiennes et turques, avaient rallié le commodore Napier dans les eaux de Beyrouth. Le 11, dix mille hommes environ de troupes de débarquement furent en-voyés à terre et s'emparèrent du fort de Djebail. Quelques jours plus tard, M. Thiers recevait du consul de France à Beyrouth une dépêche conçue en ces termes : « Après un bombardement qui a réduit notre ville en cendres, les Égyptiens l'ont évacuée et les alliés en ont pris possession. » La petite ville de Caiffa, située au pied du mont Carmel, à l'une des extrémités de la rade de SaintJean-d'Acre, avait subi le même sort.

Pendant ce temps la flotte française était reléguée dans les eaux de Salamine, «< car, avait dit un des ministres, il faut éviter tout contact; il y a des moments où les canons partent tout seuls. » Assurément on se trouvait dans un de ces moments-là, et, pour plus de sûreté, on allait même expédier à l'amiral Hugon l'ordre de rentrer immédiatement à Toulon. M. Thiers a dit depuis que cette dernière mesure avait été prise afin d'avoir la flotte au bout du télégraphe.

Ces nouvelles consternèrent le roi plus encore que le cabinet. Il était donc avéré que les puissances, ne tenant aucun compte des représentations de la France, allaient contraindre par la force Mé

hémet-Ali à se soumettre, sans autres conditions que celles qui lui étaient impérieusement offertes. L'émotion était vive à Paris d'ailleurs; elle se manifestait jusque dans les légions les plus dévouées de la garde nationale. L'injure faite à la France, malgré les dénégations de l'Angleterre et de l'Autriche, était trop évidente aux yeux de tous pour ne pas soulever les justes susceptibilités de l'honneur national. Il y avait dans les masses de ces frémissements auxquels ne se trompent pas les véritables hommes d'État. Le ministère, placé dans cette singulière situation de ne pouvoir ni tenter la guerre ni imposer la paix, résolut de se retirer. Le 29 septembre M. Thiers faisait encore décréter la création de douze régiments d'infanterie, de six de cavalerie, tout en activant les travaux des fortifications de Paris qui, par une ordonnance du 10, avaient été déclarés travaux d'utilité publique et d'urgence. Le 2 octobre, il venait déposer son portefeuille entre les mains du roi.

Louis-Philippe avait suivi avec attention et inquiétude le mouvement de l'esprit public surexcité par les manifestations belliqueuses, les levées d'hommes, les achats de chevaux et d'armes, mais surtout par le langage, toléré sinon provoqué d'une grande partie de la presse périodique. Il savait qu'on demandait dans les théâtres le chant de la Marseillaise, et, chose singulière, quoiqu'elle

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