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II

Le 28 décembre 1836, jour de l'ouverture de la session législative, fut encore un jour néfaste pour la dynastie de Juillet. Dans le parcours des Tuileries au Palais-Bourbon, un coup de feu fut tiré sur la voiture du roi par un nommé Meunier, affilié aux sociétés secrètes. La balle, brisant une des glaces de la voiture, lança des éclats de verre sur le visage des ducs d'Orléans et de Nemours, qui furent légèrement blessés, mais n'atteignit pas le roi, miraculeusement préservé une fois de plus.

Et précisément, dans le discours du trône, Louis-Philippe, faisant allusion à la tentative d'Alibaud, disait : « Un attentat a menacé ma vie. La Providence a détourné le coup dirigé contre moi. » Triste et singulière coïncidence dont chacun pouvait comprendre l'amertume. Bien des épines se rencontrent inévitablement dans la voie où le roi de 1830 s'était volontairement engagé. Il faut plaindre malgré soi, dans leurs rudes épreuves, ces ambitieux de trônes usurpés plus misérables quelquefois au milieu de leur triomphe que le plus déshérité de leurs sujets, et qui se voient souvent contraints, au nom de la politique, de cacher dans un demi-jour prudemment calculé jusqu'aux

émotions les plus naturelles, jusqu'aux sentiments de la famille.

Ainsi le roi Charles X était mort à Goritz le 6 novembre 1836, frappé, malgré la vigueur de sa verte vieillesse, par une violente attaque de choléra; il était mort sur le sol étranger pieusement entouré de sa famille et de quelques Français, fidèles au culte du malheur. Cette mort obscure, lointaine, d'un roi de France exilé avait ému dans notre pays tous les esprits impartiaux, tous les cœurs honnêtes; il y a, en effet, de ces rapprochements, de ces souvenirs qui frappent l'imagination et attendrissent le cœur indépendamment de toute opinion politique. Eh bien! Louis-Philippe, ce roi qui, par une destinée singulière, devait, lui aussi, mourir exilé, eut la faiblesse de reculer encore une fois devant l'esprit révolutionnaire; et de même qu'il avait renié les fleurs de lis, s'effraya de l'idée de porter ouvertement le deuil de Charles X. Les journaux du gouvernement publièrent donc une note ainsi conçue : << Il a été décidé en conseil que la cour ne prendrait pas officiellement le deuil à l'occasion de la mort de Charles X. Les souverains ne portent le deuil que sur la notification officielle qu'ils reçoivent du décès d'un des membres des familles régnantes. Or, ni le duc d'Angoulême ni le duc de Bordeaux ne feront cette notification qu'ils n'enverraient à

Louis-Philippe qu'à titre de duc d'Orléans, lequel ne décachèterait pas une lettre portant une suscription semblable. >>

De tous les souverains de l'Europe, LouisPhilippe fut donc le seul qui ne prit pas officiellement le deuil du roi Charles X, faute énorme, parce qu'elle dénotait un manque de courage absolu en face de l'esprit de la révolution. Les cours d'Allemagne et du Nord en firent entre elles l'amère remarque.

A la mort du dernier des frères de Louis XVI, deux des quatre ministres signataires des ordonnances de juillet 1830 avaient été autorisés à résider, prisonniers sur parole, dans leurs départements respectifs : c'étaient MM. de Peyronnet et Chantelauze. Quant aux deux autres, MM. de Polignac et de Guernon-Ranville, mis en demeure de profiter de la clémence gouvernementale, ils n'avaient point voulu, par un touchant scrupule, faire une demande qui leur semblait contraire au serment qu'ils avaient prêté à leur vieux maître. La mort de Charles X les déliait de ce serment. Une ordonnance royale commua en vingt ans de bannissement la détention perpétuelle de M. de Polignac, et accorda à M. de Guernon-Ranville la faveur dont avaient joui précédemment MM. de Peyronnet et Chantelauze. Les tendances généreuses du comte Molé se faisaient jour dans cette

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mesure que devait compléter peu de mois après une grande amnistie pour les condamnés politiques.

La session de 1837 commença; elle ne fut point favorable au pouvoir. L'acquittement des conspirateurs de Strasbourg avait jeté le roi dans un grand trouble. L'éclatant verdict alsacien parut si menaçant au ministère qu'il n'hésita pas à présenter à la Chambre des Députés deux nouveaux projets de lois répressives: l'un avait pour but de renvoyer devant un conseil de guerre les individus appartenant à l'armée compromis avec des bourgeois dans un complot contre la sûreté de l'État, c'est-à-dire de supprimer l'indivisibilité en pareil cas, et de disjoindre les causes en enlevant aux militaires le bénéfice du jugement par le jury; l'autre faisant un crime de la non-révélation d'un complot contre la vie du roi à celui qui en aurait, fortuitement ou non, connaissance. Ces lois parurent trop draconiennes à une Chambre ombrageuse; elles provoquèrent des discussions irritantes, passionnées, pas autant cependant que la loi de dotation de M. le duc de Nemours. Cette dernière, accueillie d'une façon déplorablement irrévérentieuse pour la monarchie de 1830, vivement attaquée en dehors de l'enceinte parlementaire par un acerbe pamphlet de M. de Cormenin sur les apanages, fut repoussée comme les deux autres. En Angleterre, dont on voulait imiter les institutions politiques, le

subside demandé à la Chambre des Communes pour un prince de la famille royale est toujours accordé; mais c'est précisément dans ces détails que se montre la différence radicale qui, existant entre le tempérament des deux peuples, doit exister aussi entre les deux formes gouvernementales qui les · régissent. Cette fois, pourtant, la question avait été bien simplifiée, puisque, dans le but d'éviter les discussions d'argent, le ministère avait proposé d'attribuer à M. le duc de Nemours le domaine de Rambouillet, accompagné de la jouissance de trois autres forêts de l'État. Cette habile précaution devint inutile en présence de la malveillance bourgeoise contre toutes les supériorités sociales, qui a si souvent caractérisé les chambres durant le règne de Louis-Philippe, prince rationnellement prévoyant et économe, que l'on commença dès lors à représenter aux yeux des masses comme un homme d'une insatiable cupidité, d'une honteuse et incurable avarice.

Ces échecs successifs avaient ébranlé le ministère qui d'ailleurs n'avait pas lutté avec avantage dans une vive discussion engagée par M. Thiers sur la politique à suivre vis-à-vis de l'Espagne. Une sourde mésintelligence existait aussi depuis quelque temps entre M. Guizot et le comte Molé. Il semblait qu'une rivalité secrète, se produisant tout à coup entre ces deux hommes d'État, les excitât à faire

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