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assaut de zèle dynastique pour gagner la faveur royale; indice certain d'une situation de cette nature. Le comte Molé voulait depuis longtemps se séparer des doctrinaires qu'un journal patronné par lui, la Revue des Deux Mondes, ne se faisait pas faute d'attaquer d'une façon plus ou moins transparente. La crise ne pouvait pas tarder à éclater. L'attitude embarrassée de M. de Gasparin, au ministère de l'intérieur, et son désir de sortir d'un poste où son aptitude oratoire ne semblait pas toujours suffisante, quelles que fussent d'ailleurs sa capacité administrative et ses bonnes intentions, précipitèrent le dénoûment déjà prévu. Les ministres déposèrent leurs portefeuilles, et le cabinet du 6 septembre fut dissous.

Quel choix ferait le roi, plongé une fois de plus dans les tracas et les difficultés constitutionnelles d'une crise de cette sorte? Louis-Philippe se tourna d'abord du côté de M. Guizot, c'est-à-dire des doctrinaires; mais la combinaison échoua, M. Guizot n'ayant pu s'entendre avec M. Thiers, et le duc de Broglie ne voulant accepter un portefeuille qu'autant que ce dernier entrerait dans le cabinet. M. Thiers lui-même fut appelé aux Tuileries et chargé de composer un ministère de nuance centre gauche avec le maréchal Soult pour président, essai qui ne fut pas plus heureux que le premier. Pendant ce temps, le comte Molé or

ganisait silencieusement sa propre combinaison, tout prêt à l'offrir si la crise se prolongeait.

Elle se prolongea en effet, et assez longtemps pour inquiéter l'opinion tout en paralysant les affaires privées. Le roi, revenant alors à son ancien président du conseil et lui demandant son avis, le comte Molé lui montra la liste qu'il avait préparée. Cette liste était ainsi composée : président du conseil avec le portefeuille des affaires étrangères, le comte Molé; ministres de l'intérieur, M. de Montalivet; des finances, M. Lacave-Laplagne; de l'instruction publique, M. de Salvandy; de la justice et des cultes, M. Barthe. La nouvelle combinaison laissait le général Bernard à la guerre, l'amiral Rosamel à la marine, et M. Martin (du Nord) aux travaux publics.

Le roi donna son assentiment, et le Moniteur annonça au pays l'avénement du ministère du 15 avril.

Trois jours après, le comte Molé pouvait (bonne fortune pour un cabinet nouveau), faire connaître officiellement à la Chambre des Députés la conclusion du mariage de M. le duc d'Orléans avec la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin 1. Le mariage de l'héritier présomptif du trône était en effet, précisément à cause des difficultés diverses

1. Née le 24 janvier 1814.

et nombreuses auxquelles il avait donné lieu, un événement d'une grande importance pour la dynastie qui avait prétendu succéder à la branche aînée de la maison de Bourbon. Très-habilement conduite par M. Bresson, ministre de France à Berlin, diplomate d'une valeur réelle, qu'attendait une destinée non moins fatale que celle du prince auquel il avait si laborieusement préparé cette alliance germanique; franchement favorisée et secondée par le roi de Prusse, l'affaire du mariage de M. le duc d'Orléans avait, aux yeux de tous les amis de la dynastie nouvelle, l'importance d'une victoire. Nous venons de dire que ce succès n'avait pas été remporté sans de grandes difficultés, bien qu'il ne s'agit plus d'un mariage d'archiduchesse. Nonseulement, en effet, on rencontrait chez la plupart des cours allemandes, unies entre elles par des liens politiques ou de parenté, une vive répulsion pour une alliance avec la dynastie révolutionnaire d'Orléans, mais dans la famille de la princesse, à ses côtés, dans son propre frère, on trouvait un adversaire ardent et convaincu.

Cependant, grâce à l'habileté diplomatique du négociateur, grâce surtout à l'intervention bienveillante du roi de Prusse, l'affaire fut menée à bien. La princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin s'était habituée à envisager avec une certaine audace d'imagination le rôle qui lui serait destiné

si elle acceptait l'alliance proposée. Elle aimait la France d'ailleurs et avait, dit-on, toujours rêvé d'épouser un prince français. Mais elle l'aimait mélancoliquement, car elle conservait présent à la pensée le tableau qu'on n'avait pas manqué de lui faire de nos longues dissensions civiles et des dangers que, durant cette fébrile période de notre histoire, les princes avaient courus sur le sol de la patrie nouvelle à laquelle elle aspirait. Douée d'un esprit studieux et sérieux, la princesse Hélène apportait du reste à son royal fiancé une véritable dot d'érudition littéraire acquise dans la fréquentation des hommes les plus éminents de l'Allemagne contemporaine, ou dans l'étude des belles œuvres du passé. Personne n'était mieux instruit qu'elle de la situation des sciences et des arts en France. Personne aussi ne savait mieux parler à chacun des membres de cette orageuse et susceptible république des lettres un langage plus sympathique, plus flatteur, mieux en rapport avec les mérites et les prétentions individuels. Faculté bien précieuse chez une princesse placée sur les marches d'un trône constitutionnel.

Dès que la nouvelle de ce mariage fut devenue officielle, les journaux dévoués au gouvernement s'efforcèrent de rehausser les avantages de l'alliance, ou, pour parler plus exactement, d'en dissimuler le peu d'importance politique en vantant

avec une certaine affectation à laquelle les journaux de l'opposition répondirent par des railleries, l'ancienneté de la race à laquelle la princesse appartenait. Ils avaient raison, car l'origine de la famille de Mecklembourg-Schwerin se perdait dans la nuit des temps germaniques, et cette noble maison appuyée sur les meilleures alliances avait de beaux antécédents d'histoire. Tout en préparant ainsi l'opinion, Louis-Philippe ne négligeait point les dispositions matérielles qui devaient précéder ce mariage. Le ministère vint demander à la Chambre des Députés d'élever à deux millions de rente annuelle la dotation du prince royal et d'attribuer un douaire de trois cent mille francs à la prin¬ cesse Hélène en cas de prédécès du duc d'Orléans. La Chambre aimait l'héritier du trône de juillet; elle l'aimait surtout à cause de ses défauts politiques, parce que ces défauts elle les partageait avec lui. Ainsi les instincts libéraux du prince si opposés à la prudente habileté de son père, ses tendances vers les principes révolutionnaires et soidisant progressifs qui embarrassaient quelquefois Louis-Philippe dans sa marche si mesurée, l'attitude populaire et l'opposition affectée du duc d'Orléans plaisaient singulièrement aux deux fractions de la gauche formant alors au Palais-Bourbon une imposante minorité. Tout fut accordé et le ministère profita même du moment favorable pour faire

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