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en le plaçant sous le patronage des glorieux souvenirs de la patrie, d'y mettre en regard les conquêtes du drapeau blanc et les victoires du drapeau tricolore, d'y réunir fraternellement les fleurs de lis et l'aigle, d'y conserver pieusement toutes les traditions d'honneur, de dévouement, de vaillance qui doivent placer la France si haut dans l'estime des autres peuples. On peut dire sans crainte d'être démenti que, de tous les actes du règne de Louis-Philippe, la création du musée historique de Versailles est celui qui est demeuré le plus populaire, et pourtant, quelle que fût l'importance relative que le roi de 1830 attachât à cette idée, ce n'était qu'un détail dans les conceptions de sa pensée. Mais telle est la force, telle est l'influence sur l'opinion d'une idée grande et juste! Les plus habiles combinaisons politiques ne laissent point de traces; un fait secondaire reste invariablement fixé dans le souvenir du peuple.

La création du musée de Versailles avait nécessité d'immenses travaux de toute nature, et c'est sur sa cassette particulière que Louis-Philippe les avait payés. Ce fut l'origine des nombreuses dettes du roi, dettes que la révolution de 1848 fit connaître, donnant ainsi le démenti le plus complet aux calomnies absurdes, mais trop écoutées, qui représentaient Louis-Philippe comme un avare couronné. Les malheurs de sa jeunesse avaient

appris à ce prince la valeur de l'argent; il l'a prodigué quelquefois; jamais il ne l'a gaspillé : un peu semblable en cela à ces riches de fraîche date qui savent ce que leur a coûté un écu, et qui, trèsdisposés à jouir de leur fortune, n'entendent point toutefois la jeter au vent. Telle est la vérité. Déjà elle a pu se faire jour; mais il appartient à l'histoire de la rétablir formellement.

La fête d'inauguration du musée de Versailles fut splendide de tout point. Les portes du palais, ouvertes avant midi, donnèrent passage aux invités du roi, et ces invités nombreux, appartenant aux grands corps politiques ou académiques, aux arts ou à la presse, témoignèrent une admiration réelle pour l'œuvre entreprise par Louis-Philippe. C'était, en effet, un grand et magique spectacle que celui de cette longue série de tableaux ou de portraits embrassant l'ensemble de notre histoire depuis son origine jusqu'aux révolutions les plus récentes, reproduisant sinon avec un égal talent, du moins avec une sincérité constante les phases diverses de nos annales trop compliquées. A trois heures, un magnifique banquet fut somptueusement servi; puis le roi, précédé de valets portant des flambeaux et suivi de tous ses hôtes, véritable état-major de l'intelligence française, parcourut toutes les galeries dans une promenade qui ne dura pas moins de cinq heures. A huit heures du

soir, la salle de spectacle, restaurée avec un goût merveilleux, réunit les invités qui assistèrent à la représentation du Misanthrope. C'était une heureuse pensée que d'associer ainsi le grand Molière à la rénovation du vieux Versailles; elle fut trèsgoûtée de cette réunion d'élite, à laquelle une étiquette de fraîche date avait imposé l'uniforme ou l'habit de cour, détail qui ajoutait encore à l'éclat de l'ensemble.

Un fait particulier, en se produisant à l'occasion de cette fête, donna lieu à quelques commentaires et eut un certain retentissement: Mme la duchesse d'Orléans, en sa qualité d'Allemande lettrée, connaissait et appréciait l'œuvre capitale de l'un des chefs de l'école romantique en France, de M. Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, la seule production de ce talent étrange et incomplet qui ait quelque chance d'être lue de la génération qui nous suit, œuvre éclatante de style qui eut cette bonne fortune de voir le jour au moment où le courant de l'opinion remontait avec fureur vers le moyen âge dédaigné. La princesse avait désiré connaître l'écrivain dont ce roman avait popularisé le nom de l'autre côté du Rhin. Elle en parla au duc d'Orléans qui s'empressa, pour satisfaire son désir, de faire inviter M. Hugo à la fête artistique de Versailles. Cette avance directe de la cour fut repoussée d'abord par le poëte: il répondit que de

vant au roi Charles X la décoration de l'ordre de la Légion d'honneur, il se croyait engagé par la reconnaissance à ne pas se rapprocher du nouveau pouvoir. Un tel refus était honorable; il devint habile, car le duc d'Orléans insista en envoyant au poëte la croix d'officier de l'ordre, et M. Hugo partit aussitôt pour Versailles. Les tendances de l'esprit du prince à rallier autour de lui tous les hommes en évidence se retrouvent dans ce détail historique. Quant à l'écrivain, il devait plus tard solliciter et obtenir de la royauté de 1830 la pairie viagère, objet de nombreuses convoitises; mais tel fut en quelque sorte le début dans la vie politique d'un homme que nous retrouverons au milieu des luttes des partis, et qui, comme tant d'autres, aurait mieux fait de ne jamais sortir de la vie littéraire, noble et intarissable source de consolations ou d'espérances.

Les dernières fêtes du mariage de M. le duc d'Orléans furent attristées par un déplorable incident; il impressionna vivement le prince dont l'imagination se laissait quelquefois entraîner à de vagues et presque superstitieuses appréhensions trop bien légitimées, du reste, par sa fin si douloureusement tragique : un de ces spectacles affectionnés de la population parisienne avait été préparé pour elle dans le centre du Champ-de-Mars. C'était le simulacre pyrotechnique de la prise de

la citadelle d'Anvers. Les derniers coups de canon s'étaient à peine fait entendre, les dernières fusées venaient de s'évanouir dans l'air, lorsque la foule se précipitant vers les issues du Champ-de-Mars, se trouva tout à coup agglomérée en si grand nombre vers la grille de l'avenue la Motte-Piquet, qu'une horrible confusion s'ensuivit : des femmes, des enfants furent foulés aux pieds; des hommes périrent étouffés après de terribles et lamentables efforts; catastrophe inattendue qui jeta Paris dans la stupeur et le deuil, tout en retardant de quelques jours, suivant le vœu du prince, spontanément et énergiquement exprimé, le bal qui devait lui être offert à l'hôtel de ville par la municipalité parisienne.

III

Les amis de la dynastie de juillet s'étaient réjouis à bon droit du mariage de M. le duc d'Orléans; car, bien qu'au point de vue des alliances européennes ce mariage fût un des moindres qu'eût jamais recherchés un prince de la maison de Bourbon, il n'en assurait pas moins, autant que permettait la prévoyance humaine, la succession au trône de 1830. Mais, en regard de cette chance heureuse, un fait regrettable, plein de dangers

le

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