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concernant l'établissement d'un système vaste et complet de chemins de fer, fut également présentée aux Chambres durant cette session de 1838. Le ministère, personnifié en cette circonstance par M. Martin (du Nord), concluait à l'exécution par l'État des gigantesques travaux qu'allait nécessiter cette mesure. Le rapport fut confié à un homme spécial, M. Arago; il combattit le principe de l'exécution par l'État, tout en signalant les inconvénients de l'entreprise simultanée d'un trop grand nombre de lignes ferrées. Les Chambres entrèrent complétement dans les vues du savant rapporteur; l'exécution immédiate fut très-limitée, et elle demeura confiée à des compagnies particulières, auxquelles des conditions assez rigoureuses durent être imposées.

Nous venons de voir que la Chambre des Pairs semblait, dans une certaine mesure, disposée à prendre vis-à-vis de l'autre Chambre une attitude hautement indépendante et presque d'opposition. Ses discussions durant la session de 1838 eurent souvent un caractère remarquable d'animation et d'intérêt. Un jour, pendant les débats de l'adresse, M. de Dreux-Brézé ayant dit à propos des alliances. récentes de la famille d'Orléans : « J'ai le cœur français, et je ne me réjouis pas de ces alliances.

Vous devez vous en réjouir comme bon Français, répliqua M. Molé. - Non, non, comme bon

catholique je ne puis m'en réjouir, » reprit M. de Dreux-Brézé. Aussitôt le duc d'Orléans, présent à son banc de pair, réclama la parole. « La Chambre me permettra, dit-il, de répondre un mot à ce qu'il y a de personnel dans les paroles que l'orateur vient de prononcer. Je n'avais pas répondu au discours qu'il a fait entendre à la tribune, parce que l'insinuation ne me paraissait pas assez directe; mais je suis heureux de saisir cette occasion pour présenter la question sous son véritable point de vue. J'ai vu inscrit dans notre Code fondamental, à la première ligne, la liberté religieuse comme la plus précieuse de toutes celles accordées aux Français; je ne vois pas pourquoi la famille royale serait seule exclue de ce bienfait qui est entièrement d'accord avec les idées qui règnent aujourd'hui au sein de la société française. Je crois d'ailleurs, Messieurs, que l'application de ce principe faite à l'occasion de mon mariage, s'allie parfaitement avec les garanties qu'exige la religion de la majorité des Français. Et moi aussi, je suis catholique ; c'est la foi de mes pères, j'y suis né, j'y mourrai. Toute ma descendance sera élevée dans cette religion. Ce sont là les seules garanties qui puissent être réclamées; je les ai données, et je crois que personne ne peut en demander davantage. » Ce petit discours fut fort applaudi. C'était la première fois que cette jeune voix du

prince royal faisait ainsi vibrer les échos du Luxembourg. Ce devait être aussi la dernière, car la fatalité l'avait déjà marqué du doigt, et ses jours étaient comptés.

La pairie se montrait très-sympathique au cabinet Molé, et du reste, une promotion de plus de cinquante pairs était venue, vers la fin de 1837, renforcer ses rangs éclaircis par l'âge. Dans cette promotion faite sous l'inspiration du comte Molé, on remarquait les noms des généraux de Castellane, Darriule, Lalaing d'Audenarde, Petit, si connu par la scène des adieux de Napoléon Ier à Fontainebleau, Pelet, Tiburce Sébastiani et de Préval; des vice-amiraux Halgan et Willaumez; de MM. Ch. Dupin, d'Audiffret, Bignon, de Belbœuf, mêlés à d'autres qui représentaient plus directement peutêtre le gouvernement de 1830, tels que ceux de MM. Odier, Chevandier, Paturle.

Cette époque de la vie politique de M. Molé fut certainement l'apogée de sa longue et honorable carrière. Le triomphe de la coalition approchait ; mais nul ne pouvait encore le prédire ou le prévoir. Le cabinet jouissait de la popularité que lui avaient conquise l'amnistie et la prise de Constantine. Rien d'équivoque n'existait encore dans sa situation. De plus le comte Molé, personnellement aimé d'un grand nombre d'hommes politiques ses contemporains, avait rencontré chez M. le duc

d'Orléans des sentiments d'une sympathie toute particulière, à ce point que le prince royal, qui aimait à se mêler des affaires, et qui, sous la responsabilité du général Bernard, dirigeait à peu près celles du département de la guerre, venait presque tous les jours visiter familièrement M. Molé dans son cabinet du boulevard des Capucines. Le roi voulut aussi donner la mesure de la faveur dont jouissait auprès de lui le président du conseil. Il lui exprima le désir de passer une journée au château de Champlâtreux, cette résidence affectionnée des ancêtres du comte Molé, et qui provenait de la succession de Samuel Bernard. Voici la relation officielle de l'excursion royale : << Parti le 10 août à onze heures de Neuilly, le roi est arrivé au château de Champlâtreux vers une heure et demie. La reine, madame Adélaïde, la princesse Clémentine, les ducs d'Aumale et de Montpensier accompagnaient le roi. M. le duc d'Orléans, retenu à Paris auprès de la duchesse n'avait pu se joindre à la famille royale non plus que MM. les ducs de Nemours et de Joinville, tous deux au camp de Lunéville. M. Molé, entouré de ses collègues, a reçu le roi sur le seuil du château et lui en a fait les honneurs avec empressement. Pendant la promenade, tout le monde admirait la beauté des jardins et l'heureuse disposition du château, que décorait un ameublement nouveau.

Dans un des salons se trouvaient réunis les portraits de tous les ancêtres de M. Molé, ainsi que plusieurs tableaux auxquels se rattachaient des souvenirs chers à sa famille. Parmi ces derniers on remarquait un tableau donné par Louis XV à un des descendants de Mathieu Molé. Le roi avait envoyé dès le matin son portrait en pied peint par Hersent. Ce portrait a été placé sur-le-champ dans la galerie. » Louis-Philippe voulut tenir un conseil des ministres à Champlâtreux, et une peinture 1 conservée dans cette résidence, a fidèlement reproduit ce souvenir historique.

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L'honneur que Louis-Philippe avait prétendu faire au comte Molé en visitant ainsi sa demeure, il l'avait également accordé quelques mois auparavant, mais dans des circonstances bien différentes, à un autre personnage politique, le prince de Talleyrand.

Le 17 mai 1838, à quatre heures moins dix minutes du soir, Charles- Maurice de TalleyrandPérigord était mort dans cet hôtel de la rue SaintFlorentin, où jadis il avait donné l'hospitalité aux souverains alliés. Il était âgé de quatre-vingt-quatre ans. Au mois de mars précédent on l'avait vu encore prononcer, dans une séance de l'Académie des Sciences morales et politiques, l'éloge funèbre

1. Exécutée par Ary Scheffer.

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