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d'un diplomate de son école, M. Reinhardt, et il semblait que le vieillard eût voulu jusqu'à la fin entretenir le public, pour renouveler le bruit qui, si souvent, s'était fait autour de son nom. LouisPhilippe le sachant dangereusement malade, et se souvenant sans doute des services, si grands en effet, que M. de Talleyrand lui avait rendus dans les premiers mois de la révolution de 1830, lui fit une visite dont le prince se montra fort touché. <«< Sire, dit-il en se levant péniblement sur sa couche, c'est le plus grand honneur qu'ait jamais reçu ma maison. » M. de Talleyrand s'était réconcilié avec l'Église. Le jour même de sa mort, il signa une rétractation de sa conduite religieuse écrite le 10 mars précédent. Cette rétractation était adressée au pape, et en voici les termes : « Touché de plus en plus par de graves considérations, conduit à juger de sang froid les conséquences d'une révolution qui a tout entraîné et dure depuis cinquante ans, je suis arrivé au terme d'un grand âge, et après une longue expérience, à blâmer les excès du siècle auquel j'ai appartenu, à condamner franchement les graves erreurs qui, dans cette longue suite d'années, ont troublé et affligé l'Église catholique, apostolique et romaine, et auxquelles j'ai eu le malheur de participer. S'il plaît au respectable ami de ma famille, monseigneur l'archevêque de Paris, qui a bien voulu me faire

assurer des dispositions bienveillantes du souverain pontife à mon égard, de faire parvenir au Saint-Père, comme je le désire, l'hommage de ma respectueuse reconnaissance et de ma soumission entière à la doctrine et à la discipline de l'Église, aux décisions et aux jugements du Saint-Siége sur les matières ecclésiastiques de France, j'ose espérer que Sa Sainteté les accueillera avec bonté. Dispensé plus tard par le vénérable Pie VII de l'exercice des fonctions ecclésiastiques, j'ai recherché dans ma longue carrière politique les occasions de rendre à la religion et à beaucoup de membres honorables et distingués du clergé catholique tous les services qui étaient en mon pouvoir. Jamais je n'ai cessé de me regarder comme un enfant de l'Église. Je déplore de nouveau les actes de ma vie qui l'ont contristée, et mes derniers vœux seront pour elle et pour son chef suprême1. »

Désormais en paix avec sa conscience, le prince de Talleyrand vit venir la mort avec une grande énergie morale. Il la traita même, pourrait-on dire, avec l'étiquette qui avait toujours présidé aux circonstances de sa vie. Dans une lettre adressée au pape, et destinée à accompagner l'envoi de la rétractation, M. de Talleyrand avait écrit : « Des Mémoires achevés depuis longtemps, mais qui,

1. La minute de cette rétractation fut déposée aux archives de l'archevêché de Paris.

selon mes volontés, ne devront paraître que trente ans après ma mort, expliqueront à la postérité ma conduite pendant la tourmente révolutionnaire. >> Annoncés en ces termes, les Mémoires du prince de Talleyrand seraient-ils (s'ils paraissent jamais) bien précieux pour l'histoire? Ce qu'il faut à l'historien, ce ne sont pas d'habiles apologies, c'est la rude et scrupuleuse vérité.

IV

Le 20 juin 1837, à deux heures du matin, le roi d'Angleterre était mort au château de Windsor. La triple couronne d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande revenait à la princesse Alexandrina-Victoria, fille du feu duc de Kent et de la princesse Marie-Louise-Victoire de Saxe-Cobourg, sœur de Léopold I, roi des Belges. La jeune reine avait, le 24 mai, atteint dix-huit ans, majorité fixée par les lois anglaises. Un des résultats immédiats du changement de règne fut la séparation du Hanovre et le rétablissement de ce royaume comme État indépendant; car l'acte qui règle la succession des rois de Hanovre stipule que la couronne ne pourra appartenir à la branche féminine qu'à l'extinction absolue de la branche masculine. Le duc de Cum

berland devint en conséquence souverain de ce royaume allemand.

Le 20 juin, les ministres se rendirent au palais de Kensington; la reine, proclamée en présence des dignitaires de l'État, prêta aussitôt le serment exigé entre les mains du lord chancelier, et fit lire la déclaration suivante :

<«< La cruelle perte que vient d'éprouver la nation par la mort de S. M., mon oncle bien aimé, m'a imposé le devoir de gouverner ce royaume. Cette responsabilité terrible me frappe si soudainement, elle m'est dévolue à une époque si peu avancée de ma vie, que je me sentirais faiblir si je n'étais soutenue par l'espoir que la divine Providence, qui a voulu que cette mission me fût confiée, me donnera la force nécessaire pour l'accomplir, et que je trouverai dans la pureté de mes intentions, dans mon zèle pour le bien public, l'appui et les ressources qui sont d'ordinaire le partage d'un âge plus mûr, d'une plus longue expérience. Je mets toute ma confiance dans la sagesse du parlement, dans l'affection de mon peuple, et je regarde comme un précieux avantage de succéder à un souverain qui, par son respect constant pour les libertés de ses sujets, sa sollicitude pour l'amélioration des institutions nationales, est devenu l'objet de la vénération universelle. Élevée en Angleterre sous la direction d'une mère

aussi tendre qu'éclairée, j'ai appris, dès mon enfance, à respecter et à aimer la constitution de ma patrie. Je m'étudierai sans cesse à soutenir la religion réformée, telle qu'elle est établie dans la loi, assurant en même temps à tous l'entière jouissance de la liberté religieuse. Je protégerai avec fermeté les droits, et contribuerai de tout mon pouvoir au bonheur de toutes les classes de mes sujets. >>

Cette déclaration ayant été rendue publique, le serment de fidélité fut prêté par le duc de Cumberland, par les membres du conseil privé et par les ministres. Ces derniers, selon l'usage déposèrent leurs portefeuilles devant la reine; mais elle n'accepta pas leur démission, et il fut décidé en conseil que S. M. prendrait le nom de Victoria Ire.

Le 22 juin le parlement prêta şerment de fidélité. Lord Melbourne vint ensuite annoncer à la chambre des lords que, devant prévoir le cas où la jeune reine mourrait sans postérité, le ministre était dans l'intention de présenter un bill ayant pour but de régler les formes gouvernementales pendant le laps de temps qui pourrait s'écouler entre le décès de la reine Victoria et l'arrivée en Angleterre du roi de Hanovre, héritier présomptif de la couronne.

Quelques jours après le parlement adoptait, en effet, cette loi qui appelait à la dignité de juges du

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