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sur le territoire du Canada; ces masses d'émigrants se composaient des débris des armées royales, de fonctionnaires civils qui fuyaient avec leurs familles; des colons qui ne partageaient pas les principes d'indépendance de leurs concitoyens d'Amérique; enfin, des aventuriers que font toujours surgir les grandes commotions politiques. Tous ces loyalistes, ne possédant rien au monde, demandèrent des secours aux autorités canadiennes, qui mirent le plus grand empressement à aider des hommes dont la fidélité n'avait pas redouté la misère et l'exil. On créa en conséquence des places nouvelles, et peu à peu on en vint à déposséder, au profit des nouveaux venus, le petit nombre de Français qui occupaient encore des emplois publics.

Si la conduite des agents anglais eût été plus équitable et plus désintéressée, la fusion des deux populations aurait pu s'accomplir à la longue; mais les Canadiens français pouvaient-ils voir, sans indignation, le pays abandonné à la rapacité de leurs adversaires, et ne devaient-ils pas concevoir une haine profonde pour ces étrangers qui, non contents de s'être approprié des biens sur lesquels ils n'avaient aucun droit, s'étaient rendus maîtres des finances publiques, dé l'administration de la justice, de tous les emplois civils et militaires?

La domination britannique eut cependant pour les Canadiens d'incontestables avantages au point de vue matériel. L'esprit, mercantile de la nation anglaise s'infiltra dans la population française, dont les idées se tournèrent insensiblement vers le commerce. Cette dernière acquit rapidement une aisance remarquable et put dès lors participer à la jouissance des droits électoraux. Sentant sa force, elle résolut de reconquérir en partie l'indépendance qu'elle avait perdue et de contraindre. le gouvernement à sortir des voies de l'arbitraire. Les Canadiens d'origine française, participant aux élections, se décidèrent à repousser de l'assemblée législative tous les hommes qui ne professeraient pas certains principes, tandis que les Canadiens d'origine anglaise s'unissaient pour combattre les tendances démocratiques du parti français. A dater de ce moment, la lutte prit de larges proportions. L'assemblée élective représenta le progrès, le conseil législatif la résistance. Tous les bills votés pår les députés, et qui contenaient des principes de réforme ou seulement d'amélioration furent systématiquement rejetés par le conseil. En 1828, le parlement britannique jugea cette situation tellement grave qu'il provoqua des explications à la suite desquelles la chambre des communes nomma un comité pour examiner les griefs des habitants de la colonie.

En 1831, le cabinet, prenant l'initiative, proposa l'adoption de plusieurs mesures dans le but d'y apaiser l'effervescence publique ; mais le parlement n'apporta à la situation administrative que des modifications si légères qu'elles eurent pour résultat, loin de calmer l'irritation, de l'accroître au contraire et de pousser les colons aux plus graves extrémités.

Des indices d'insurrection se produisirent dès lors en diverses circonstances, et le ministère anglais se crut obligé, en 1835, d'envoyer un nouveau gouverneur au Canada; l'assemblée législative répondit à ses propositions conciliatrices qu'elle ne pourrait croire aux intentions bienveillantes de la Grande-Bretagne tant que le conseil ne serait pas électif et tant que subsisteraient les actes rendus par le parlement anglais pour régler les affaires intérieures du Canada, actes qui constituaient en faveur de certaines individualités des priviléges désastreux pour la majorité de la population.

Joignant les faits aux paroles, cette assemblée vota, dès le commencement de la session de 1836, et à la majorité de cinquante voix, la résolution de refuser l'impôt si le pays n'obtenait pas la justice qui lui était due.

Le gouverneur rendit immédiatement une ordonnance de prorogation.

Les collisions prochaines qu'une telle situation

faisaient pressentir durent enfin appeler la sérieuse attention de la chambre des communes qui, dans les derniers mois de 1837, examina les demandes des Français du Bas-Canada. Ces demandes pouvaient se résumer ainsi : 1° partage égal des emplois publics entre les colons anglais et français; 2o nomination des membres du conseil législatif par la voie de l'élection et non plus au choix de la couronne; 3° responsabilité du conseil exécutif jusqu'alors irresponsable; 4° modifications considérables à la loi des tenures; 5° abolition de la compagnie des terrains.

En réponse à ces prétentions, lord John Russell proposait un bill sur l'état de la constitution du Canada; il repoussait les vœux de l'assemblée législative, et consentait seulement à abolir la loi des tenures après que le parlement colonial aurait adopté une autre loi sur cette matière, ce qui était absolument impossible par suite des dissentiments qui séparaient les deux chambres canadiennes. Il se refusait d'ailleurs à rendre élective la nomination des membres du conseil législatif. Le ministre avouait la partialité des gouverneurs pour les Canadiens d'origine anglaise, et demandait que les membres du conseil fussent choisis par portions égales dans les deux populations. Il proposait en outre de composer le conseil exécutif de membres du conseil législatif et de l'assemblée législative

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auxquels seraient adjoints plusieurs fonctionnaires d'un rang élevé mais dépendants de la couronne.

Les décisions de ce conseil ne devaient point du reste contraindre le gouverneur de la colonie, qui demeurerait libre d'agir dans un sens opposé, mais à la charge de publier officiellement les motifs de sa détermination. Lord John Russell n'adhérait pas enfin à l'abolition de la compagnie des terrains de l'Amérique du Nord, dont il trouvait l'existence utile.

Quoique amèrement critiqué par MM. Leader, Roebuck, Molesworth, O'Connell, Hume, et d'autres orateurs de l'opposition avancée, qui le flétrirent comme un déni de justice éclatant, le bill du cabinet fut.voté par les Communes, puis par la Chambre Haute, et peu de temps après revêtu de la sanction royale. Lorsque la nouvelle en parvint à Montréal, elle y fit éclater les premiers symptômes de l'insurrection. Le parti patriote ou français tint des réunions dans lesquelles il fut convenu que désormais on n'achèterait aucun objet soumis aux droits de douane, ni aucune marchandise provenant de l'Angleterre ou apportée par des navires anglais.

L'assemblée législative canadienne, réunie le 18 août 1837, disait dans son adresse : « Le gouvernement de la Grande-Bretagne ayant préféré les menaces aux mesures conciliatrices, et l'emploi

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