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colonisé par des Anglais et des Irlandais menaçait aussi de courir aux armes, et les Français de la province inférieure n'avaient pas à se plaindre seuls de l'arbitraire des hommes placés à la tête de l'administration. Sir Francis Head, qui dirigeait alors la colonie, était en effet accusé par eux d'en fausser les institutions. Ainsi, la mort du roi Guillaume IV devait, d'après le vœu de la loi, amener la dissolution du parlement canadien; mais sir Francis Head, comprenant à quel point il lui serait difficile de former une nouvelle assemblée législative exclusivement composée de loyalistes, fit voter, par les chambres, un bill qui autorisait les députés à conserver leurs fonctions. En présence d'une si éclatante illégalité, la population, depuis longtemps mécontente, sortit à son tour des voies légales. Les patriotes s'insurgèrent, et, sous les ordres d'un journaliste nommé Mackensie, s'emparèrent de la ville de Toronto dans la nuit du 4 au 5 décembre 1837.

Ce mouvement ne pouvait avoir de suites importantes. Bientôt les Canadiens révoltés se jetèrent dans les bois pour y chercher un refuge; · mais sir Francis Head les y fit poursuivre par les Indiens, auxquels il avait promis une récompense proportionnée au nombre de têtes qu'ils rapporteraient. Ne pouvant lutter de ruses avec ces habiles chasseurs, les insurgés furent presque tous

massacrés. Mackensie cependant parvint à gagner le territoire des États-Unis, et sa présence à Buffalo devint le prétexte de fêtes en honneur de la liberté; bientôt la population de la frontière, composée de marins, de contrebandiers, d'hommes énergiques et façonnés à la plus rude existence, offrit à Mackensie de le suivre et de tenter avec lui une expédition nouvelle. De jeunes Américains, désireux d'imiter leurs ancêtres et de combattre les Anglais, vinrent prêter à l'insurrection l'appui de leur enthousiasme et de leur courage. Les arsenaux de l'État furent ouverts; on y prit des fusils, des sabres, et jusqu'à des pièces de

canon.

Une fois armés, les Américains se montrèrent impatients de se signaler par quelque action d'éclat; et, pour satisfaire cette ardeur commune à tous, il fut décidé, d'un accord unanime, qu'on envahirait le territoire canadien; on choisit, pour s'y établir, l'île nommée Navy Island et située au milieu du fleuve Niagara, à deux milles au-dessus des célèbres cataractes. Grâce à sa position, cette île, dont l'insurgé Van-Reusselaer réussit à s'emparer, permettait de menacer la rive anglaise tout en laissant à la troupe expéditionnaire la facilité de communiquer avec les États-Unis.

Ce point était à peine occupé par l'insurrection que Mackensie organisa un gouvernement provi

soire, et fit répandre à profusion dans tout le Canada une longue proclamation où, après avoir dépeint, en termes saisissants, les injustices des autorités anglaises, les intolérables souffrances des habitants, il proclamait la résistance comme un devoir et appelait la population aux armes.

De son côté, sir Francis Head ordonna au colonel Mac-Nab de protéger la frontière et de prendre à son tour l'offensive, recommandation trèsdifficile à exécuter, du reste; car les volontaires ne se sentant pas assez forts pour attaquer les troupes royales et pour pénétrer sur la terre ferme, avaient disposé leur artillerie de telle sorte qu'elle fit face à la côte canadienne, et pût aisément détruire les nombreuses habitations dont cette rive se trouvait couverte. Le colonel résolut de mettre un terme à une telle dévastation, et de forcer Mackensie et ses soldats à s'éloigner de Navy-Island. Il savait qu'un bateau à vapeur, la Caroline, faisait un service réglé entre cette île et le rivage de l'Union; la destruction de ce navire ne pouvait donc manquer d'interrompre les communications, et de priver les insurgés des munitions et des vivres qu'ils se procuraient aux ÉtatsUnis. Toutefois, il y avait là une difficulté des plus sérieuses: non-seulement la Caroline naviguait sous le pavillon de l'Union, mais encore son équipage se composait de citoyens américains, et elle

ne sortait pas de la partie du fleuve appartenant à la république. Quoi qu'il en soit, le colonel ne se laissa pas dominer par ces considérations ni arrêter par de tels obstacles. Des soldats anglais et des miliciens sautèrent à bord du bâtiment, tandis qu'il était à l'ancre près de la rive américaine : le câble fut coupé; quelques hommes de l'équipage, restés sur le navire, furent massacrés avant qu'on eût pu leur porter le moindre secours, et la Caroline, incendiée, descendit le fleuve au gré du courant; puis, mêlant ses gerbes de feu aux gerbes de vapeur qui s'élevaient des cataractes, elle s'enfonça lentement, et disparut dans l'abîme.

Cet outrage, volontairement infligé au pavillon de l'Union, cet acte audacieux qui violait tous les principes internationaux, semblait devoir, presque inévitablement, donner lieu à une guerre entre les États-Unis et la Grande-Bretagne; il fallut, d'une part, bien de la modération, et de l'autre bien de l'habileté pour que cette affaire vint aboutir, en définitive, à une solution pacifique.

Quant à Mackensie et aux patriotes qui s'étaient associés à sa fortune, sentant l'impossibilité de se maintenir à Navy-Island, ils rentrèrent dans le Haut-Canada par petites fractions, se rejoignirent, et tentèrent simultanément divers coups de main presque toujours malheureux. Non-seulement cette

insurrection, qui mit au jour de grands courages et de nobles dévouements, fut matériellement vaincue, mais elle ne devait moralement rien produire pour les libertés et la régénération du Canada.

Nous voyons, en effet, dans la session de 1838 le Parlement anglais aborder de nouveau cette question canadienne, et le secrétaire d'État donner lecture du bill par lequel le cabinet demandait que la constitution de ce pays fût suspendue. M. Hume, en répondant au ministre et après avoir défendu les Canadiens avec autant d'habileté que de conviction, termina son discours par un mot qui produisit une sensation profonde. « Le coupable, le véritable coupable, s'écria-t-il, n'est point celui qui répand le sang, mais celui qui le fait répandre! »

Cette question souleva également à la Chambre haute les débats les plus irritants. Ce fut une particularité, assurément digne de remarque, que de voir les lords et les députés faire publiquement l'éloge de l'insurrection canadienne dans la discussion d'une loi destinée à la réprimer, au moment où toutes les feuilles de Londres, indépendantes et ministérielles, ne cessaient de publier que la Grande-Bretagne devait à sa dignité comme à son honneur de ne pas laisser impunie la révolte du Canada.

Quoi qu'il en soit, le bill fut successivement

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