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souffrez résigné pour une cause populaire... » Nous venons de dire que cette lettre était datée d'Arenenberg: le prince Louis-Napoléon avait, en effet, quitté les États-Unis pour revenir au foyer maternel sur les bords du lac de Constance. Le gouvernement français s'émut de sa présence à une si courte distance de ses frontières, et non content d'avoir sévèrement frappé un de ses plus fidèles adhérents, il se mit en mesure de le repousser lui-même loin du sol helvétique.

M. de Montebello, ministre de France en Suisse, reçut donc des instructions en ce sens, et une dépêche de M. Molé, en date du 14 août 1838, se terminait de la sorte : « La France se doit à elle

même de ne pas souffrir plus longtemps que la Suisse autorise, par sa tolérance, les intrigues d'Arenenberg. Vous déclarerez au vorort que si, contre toute attente, la Suisse prenant fait et cause pour celui qui compromet si grandement son repos, refusait l'expulsion de Louis Bonaparte, vous avez ordre de demander vos passe-ports. Aussitôt que cette dépêche vous sera parvenue, vous irez en donner lecture à M. l'avoyer Kopp. Vous ne vous séparerez pas de M. l'avoyer sans lui donner encore une fois l'assurance que la France, forte de son droit et de la justice de sa demande, usera de tous les moyens dont elle dispose pour obtenir de la Suisse une satisfaction à laquelle aucune

considération ne saurait la faire renoncer. » Et comme pour donner une énergique sanction à ce langage, un corps d'armée d'environ vingt-cinq mille hommes fut rassemblé sur la frontière. L'agitation était extrême en Suisse; mais qu'aurait pu tette agitation contre l'épée de la France? Le prince Louis Napoléon, comprenant tout ce qu'une pareille situation avait de dangereux pour le pays où il avait reçu un affectueuse hospitalité, n'hésita pas à déclarer, dans une lettre adressée au président du petit conseil du canton de Thurgovie qui lui avait accordé les honneurs de la bourgeoisie cantonale, que, du moment où le refus de la Diète helvétique d'obtempérer à la demande du gouvernement français pourrait devenir le signal d'une conflagration dont la Suisse serait victime, il ne lui restait plus qu'à s'éloigner d'un pays où sa présence deviendrait le prétexte d'incalculables malheurs. « Je vous prie donc, Monsieur le landammann, ajoutait-il, d'annoncer au directoire fédéral que je partirai dès qu'il aura obtenu des ambassadeurs des diverses puissances les passe-ports qui me sont nécessaires pour me rendre dans un lieu où je trouve un asile assuré...; en m'éloignant des lieux qui m'étaient devenus chers à tant de titres, j'espère prouver au peuple suisse que j'étais digne marques d'estime et d'affection qu'il m'a prodiguées... » Le prince se retira en Angleterre et

des

fixa sa résidence à Londres. La haute police du roi Louis-Philippe l'y suivit et l'entoura, toute prête, comme nous le verrons, à le faire tomber en ses embûches habilement préparées.

Des faits extérieurs détournèrent bientôt l'attention publique de ces préoccupations toutes dynastiques du chef de l'État. Ce fut d'abord l'évacuation d'Ancône par les troupes françaises qui gardaient encore cette place pontificale : la situation politique de l'Italie, plus calme en apparence, avait permis au gouvernement autrichien d'accorder une amnistie à l'occasion du couronnement de l'empereur Ferdinánd à Milan. Bien plus, il avait cru pouvoir retirer ses troupes des légations, et, se basant sur la convention signée en 1832 par Casimir Périer, demandait que les troupes françaises évacuassent également Ancône. Il devenait difficile, disons même impossible, à moins de sortir brutalement des habitudes d'une politique civilisée, de ne pas admettre cette demande. L'entrée des Autrichiens dans les Légations avait provoqué l'expédition d'Ancône; leur retraite devait logiquement être considérée comme le signal de la nôtre. Les journaux de l'opposition en France n'en attaquèrent pas moins avec une véritable fureur cette rationnelle et convenable mesure du cabinet Molé qui, dans la session suivante, devait devenir le texte des récriminations les plus amères. Et, chose

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bien curieuse, le pape lui-même souhaitait tellement cet éloignement des Français, qu'il s'adressait au gouvernement anglais pour l'obtenir ainsi que l'indique cette réponse de lord Seymour, Ambassadeur d'Angleterre, à une note du cardinal Bernetti. Monseigneur, en réponse à la demande confidentielle de Votre Excellence, je vous adresse cette communication : le gouvernement anglais, dans l'intérêt de la paix générale et pleinement convaincu de la loyauté des intentions du cabinet français, m'autorise à vous dire qu'en cas de besoin il emploierait ses bons offices près dudit cabinet afin d'obtenir l'évacuation. En conformité des engagements pris par la France vis-à-vis du saint-siége, je suis autorisé à affirmer que l'uniformité de vues entre l'Angleterre et la France ne laisse pas de doute sur l'efficacité des représentations que le gouvernement anglais aurait à faire dans le but d'obtenir l'évacuation d'Ancône. » Ajoutons que dans les circonstances données, le maintien de l'occupation d'un point des États pontificaux sans l'adhésion du pape eût été un fait de politique révolutionnaire que le ministère Molé ne pouvait sérieusement pas admettre.

Un autre incident extérieur d'un retentissement européen, ce fut le couronnement de la reine d'Angleterre. Tous les États se firent représenter à cette cérémonie véritablement splendide. La France y

fut personnifiée par le maréchal Soult, duc de Dalmatie, et le choix du vieux soldat due à l'initiative individuelle du roi Louis-Philippe, obtint, en Angleterre, un grand succès de popularité. La reine en se rendant à Westminster, avec la pompe traditionnelle, fut saluée par les acclamations les plus vives, tout en elle tendant à exciter l'enthousiasme du peuple, la jeunesse aussi bien que le rang; d'autres cris, non moins vifs, des vivats en faveur de la France vinrent tout à coup s'y mêler. La foule entourait et suivait en applaudissant la riche voiture de gala dans laquelle le maréchal Soult figurait à cette solennité au milieu des de Ligne, des Schwartzemberg, des Strogonoff, des Miraflorès. Il eût été fort difficile, d'ailleurs, de pénétrer le véritable sentiment qui donna lieu à cette ovation éclatante: peut-être fut-ce un impartial hommage rendu par une grande nation aux talents d'un grand capitaine; peut-être encore n'y devaiton voir qu'une énergique et puissante expression de la vanité nationale: l'Angleterre se croyait assez forte de sa propre gloire pour admirer hautement l'homme qu'elle avait combattu.

Un fait d'armes qui eut un long retentissement vint encore, et à bon droit, caresser l'amourpropre français depuis plusieurs années, des griefs commerciaux s'étaient élevés entre la France et le gouvernement du Mexique. Le cabinet Molé

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