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voulut régler ce différend; il mit en état de blocus les ports mexicains, et fit présenter par le baron Deffaudis un ultimatum qui fut repoussé par le président Bustamente. Désormais il devenait urgent de frapper un coup vigoureux, et la grande difficulté était de le faire avant que les Anglais ou les Américains intervinssent. Le contre-amiral Baudin se porta rapidement devant la Véra-Cruz. Le fort de Saint-Jean-d'Ulloa, qui défend cette ville, fut attaqué si énergiquement par cinq vaisseaux français, dont l'un était commandé par le prince de Joinville, fils du roi, qu'après un bombardement de moins de quatre heures ce fort était emporté, et la ville mise dans l'alternative de capituler ou de subir un désastreux assaut. Le général Rincon occupait la Véra-Cruz avec cinq mille hommes. La prise du fort, dont l'artillerie le commandait de tous côtés, l'engagea à capituler. Une convention avec le Mexique, très-favorable aux intérêts français, fut la conséquence presque immédiate de ce brillant fait d'armes, au succès duquel le prince de Joinville avait activement coopéré et qui allait jeter sur son nom une popularité que les circonstances ultérieures devaient singulièrement accroître.

Mais (nous avons eu déjà l'occasion de le dire) qu'était-ce alors qu'un fait glorieux, qu'une victoire de nos armes au milieu des complications

parlementaires et des grands combats de tribune? L'opinion, un instant détournée de l'arène du palais Bourbon, s'inquiétait beaucoup plus en ce moment des progrès de la coalition que de tous les succès possibles de nos marins et de nos soldats. Il est vrai que ces progrès, pour être lents, n'en étaient pas moins sûrs. Découragée d'abord par le grave échec qu'elle avait éprouvé lors du vote des fonds secrets dans la session de 1838, la coalition avait semblé se désorganiser. Ses chefs s'étaient dispersés. Les éléments hétérogènes qui la composaient paraissaient en dissolution complète. Un homme rempli d'initiative, et dont l'esprit agressif était plein de ressources, M. Duvergier de Hauranne, sut rallier à sa voix les bataillons en déroute et les disposer à marcher de nouveau à l'assaut du ministère. Ce fut dans un article publié par la Revue française, fondée en haine de la Revue des DeuxMondes, dont les sympathies étaient acquises à M. Molé, que ce rude et spirituel champion des oppositions coalisées attaqua le ministère avec sa verve habituelle, et dressa, au point de vue de son parti, l'acte d'accusation du cabinet, réveillé et déjà ébranlé par cette agression soudaine. Les journaux dévoués à la coalition, tels que le Constitutionnel, le Siècle, le Journal général de France, continuèrent aussitôt l'attaque, et une nouvelle campagne commença.

Elle fut des plus vives: la session s'ouvrit le 17 décembre 1838, et la rédaction du projet d'adresse en réponse au discours du trône fut le terrain où se rencontrèrent, pour la première fois, les deux armées ennemies. L'avantage resta à la coalition. Sur neuf membres composant la commission de rédaction, six appartenaient aux coalisés, parmi lesquels se trouvaient MM. Guizot, Thiers et Duvergier de Hauranne. Ce triumvirat menaçant se chargea de rédiger l'adresse, dont le projet ne fut communiqué, en quelque sorte, que par courtoisie aux trois membres ministériels de la commission. Cette adresse, d'une singulière vivacité de termes, passait sévèrement en revue tous les actes du pouvoir. C'était d'un bout à l'autre un véritable acte d'accusation dirigé contre le cabinet, et depuis le fameux Compte-rendu, de révolutionnaire mémoire, aucun manifeste d'opposition n'avait affiché de semblables hardiesses. Elle se terminait ainsi : « Une administration ferme, habile, s'appuyant sur les sentiments généreux, faisant respecter au dehors la dignité du trône et le couvrant au dedans de sa responsabilité est le gage du concours que nous avons tant à cœur, Sire, de vous prêter. >>

On comprend tout l'effet que produisit sur la Chambre la lecture de ce projet d'adresse. La lutte s'engagea aussitôt. L'impression des scènes.

parlementaires qu'elle provoqua est demeurée longtemps dans la mémoire du pays. M. Dupin, nommé président grâce au concours du parti ministériel et malgré les efforts des opposants, dont le candidat était M. Passy, s'était presque immédiatement jeté dans le camp des coalisés. MM. Guizot, Thiers, Passy, Duvergier de Hauranne, Billault, Mauguin attaquèrent, sinon avec un talent égal, du moins avec un égal acharnement. Toutes les questions de politique intérieure ou extérieure furent passées en revue, et servirent successivement de texte aux plus amères récriminations. L'influence personnelle du roi sur les décisions gouvernementales, la part directe qu'il prenait aux affaires, étaient signalées, à mots peu couverts, comme la plaie véritable du gouvernement constitutionnel en France. Les ministres étaient représentés tout à la fois comme incapables et comme traîtres au pays, puisqu'ils acceptaient la situation servile que leur faisait la volonté royale.

A la Chambre des pairs, l'agression fut également très-vive. Non-seulement le cabinet fut attaqué par MM. Cousin, Villemain, de Montalembert, mais aussi par le duc de Broglie, dont la parole influente fut sévère pour le comte Molé et sa politique extérieure.

Mais partout le cabinet se défendit bien. Il semblait avoir grandi dans le péril, et ces dernières

épreuves le firent singulièrement valoir. MM. Molé, de Salvandy, de Montalivet, montrèrent surtout une fermeté d'attitude, une vivacité de reparties qui embarrassèrent quelquefois leurs adversaires. Quelques-uns des détails de cette lutte acharnée sont encore présents à tous les souvenirs, mais ils appartiennent à l'histoire. Ainsi, au moment où M. Guizot, parlant des courtisans et cherchant à bien faire comprendre l'allusion, citait une phrase célèbre de Tacite : «Omnia serviliter pro dominatione, sur un mot dit à voix basse par Royer Collard, le comte Molé, se levant brusquement, lança cette réponse à son rude adversaire : « Ce n'est pas des courtisans que Tacite a dit cela, mais des ambitieux!» M. de Lamartine prêta au cabinet menacé l'appui de sa brillante parole. C'était surtout en haine de la coalition qu'il agissait, du reste, et son concours fut plutôt l'appui d'un protecteur que celui d'un ami.

Enfin, après les plus orageux débats, un amendement ayant été proposé qui atténuait faiblement le sens agressif de l'adresse, les voix conservatrices s'y rallièrent au nombre de deux cent vingt et une. Toutefois, une minorité de deux cent huit votants avait approuvé la première rédaction, et ce fait parut suffisamment grave au ministère pour qu'il proposât au roi de se retirer immédiatement. Louis-Philippe n'accepta pas cette démission col

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