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connoissoit bien ces hérétiques, comme nous verrons bientôt, y remarque ce caractère particulier (1); qu'au lieu que les autres hérétiques, poussés par l'esprit d'orgueil, ne cherchoient qu'à se faire connoître; ceux-ci au contraire ne travailloient qu'à se cacher : les autres vouloient vaincre; ceux-ci plus malins ne vouloient que nuire, et se couloient sous l'herbe pour inspirer plus sûrement leur venin par une secrète morsure. C'est que leur erreur découverte étoit à demi vaincue par sa propre absurdité : c'est pourquoi ils s'attaquoient à des ignorans, à des gens de métier, à des femmelettes, à des paysans, et ne leur recommandoient rien tant que ce secret mystérieux (2).

Enervin, qui servoit Dieu dans une Eglise auprès de Cologne, dans le temps qu'on y découvrit ces nouveaux Manichéens dont Ecbert nous

XXXIII.

Enervin

S.

consulte

Bernard sur

les Maniché

a parlé, en fait dans le fond le même récit que ens d'auprès cet auteur; et ne voyant point dans l'Eglise de de Cologne. plus grand docteur à qui il pût s'adresser pour les confondre que le grand saint Bernard, abbé de Clairvaux, il lui en écrivit la belle lettre que le docte P.Mabillon nous a donnée dans ses Analectes (3). Là, outre les dogmes de ces hérétiques que je ne veux plus répéter, nous voyons les partialités qui les firent découvrir : on y voit la distinction des auditeurs et des élus (4); caractère certain de manichéisme marqué par saint Augus

(1) Serm. LXV. in Cant. n. 1.— (2) Ibid. Ecb. init. lib. etc. Bern. serm. LXV, IXVI. (3) Enervin. ep. ad. S. Bern. Anal. 111. p. 452. — (4) Ib. 455, 456.

XXXIV.

ques interro

tin on y voit qu'ils avoient leur Pape (1); vérité qui se découvrit davantage dans la suite : et enfin qu'ils se glorifioient «< que leur doctrine avoit duré

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jusqu'à nous, mais cachée, dès le temps des » martyrs, et ensuite dans la Grèce, et en quel» ques autres pays » : ce qui est très-vrai; puisqu'elle venoit de Marcion et de Manès, hérésiarques du troisième siècle : et on peut voir par-là de quelle boutique est sortie la méthode de soutenir la perpétuité de l'Eglise, par une suite cachée et par des docteurs répandus deçà et delà sans aucune succession manifeste et légitime.

Au reste, qu'on ne dise pas que la doctrine. Ces héréti- de ces hérétiques fut peut-être calomniée pour gés devant n'avoir pas été bien entendue : il paroît, tant par tout le peu- la lettre d'Enervin que par les sermons d'Ecbert, ple.

XXXV.

que l'examen de ces hérétiques fut fait publiquement (2), et que c'étoit un de leurs évêques et un de leurs compagnons qui soutinrent leur doctrine autant qu'ils purent en présence de l'archevêque, de tout le clergé et de tout le peuple. Saint Bernard, que le pieux Enervin excitoit Les dogmes de ces héréti- à réfuter ces hérétiques, fit alors les deux beaux ques réfutés sermons sur les cantiques, où il attaque si vivepar S. Ber- ment les hérétiques de son temps. Ils ont un rapport si manifeste à la lettre d'Enervin, qu'on voit bien qu'elle y a donné occasion : mais on voit bien aussi, de la manière si ferme et si po-, sitive dont parle saint Bernard, qu'il étoit instruit d'ailleurs, et qu'il en savoit plus qu'Ener

nard, qui les avoit bien

connus à Toulouse.

(1) Enervin. ep. ad. S. Bern. Anal. 111. p. 457. — (2) Ibid. 453. Ecb. serm. I.

le

vin lui-même. En effet, il y avoit déjà plus de vingt ans que Pierre de Bruis et son disciple Henri avoient répandu secrètement ces erreurs dans le Dauphiné, dans la Provence, et surtout aux environs de Toulouse. Saint Bernard fit un voyage dans ces pays-là pour y déraciner ce mauvais germe; et les miracles qu'il y fit en confirmation de la vérité catholique sont plus éclatans que soleil. Mais ce qu'il importe de bien remarquer, c'est qu'il n'oublia rien pour s'instruire d'une hérésie qu'il alloit combattre, et qu'ayant conféré souvent avec les disciples de ces hérétiques, il n'en a pas ignoré la doctrine. Or il y remarque distinctement avec la condamnation du baptême des petits enfans, de l'invocation des saints et des oblations pour les morts, celle de l'usage du mariage, et de tout ce qui étoit sorti de près ou de loin de l'union des deux sexes, comme étoit la viande et le laitage (1). Il les taxe aussi de ne pas recevoir l'ancien Testament, et de ne recevoir que l'Evangile tout seul (2). C'étoit encore une de leurs erreurs notée par saint Bernard, qu'un pécheur n'étoit plus évêque, et « que que les » Papes, les archevêques, les évêques, et les prêtres n'étoient capables ni de donner, ni de >> recevoir les sacremens, à cause qu'ils étoient » pécheurs (3) ». Mais ce qu'il remarque le plus, c'est leur hypocrisie; non-seulement dans l'apparence trompeuse de leur vie austère et pénitente, mais encore dans la coutume qu'ils obser(2) Serm. LXV. n. 3.

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(1) Serm. LXVI. in Cant. n. 9. (3) Serm. LXVI. n. 11.

XXXVI.

Bruis, et

voient constamment de recevoir avec nous les
sacremens, et de professer publiquement notre
doctrine qu'ils déchiroient en secret (1). Saint
Bernard fait voir que leur piété n'étoit que dissimu
lation. En apparence ils blâmoient le commerce
avec les femmes, et cependant on les voyoit tous
passer avec une femme les jours et les nuits. La
profession qu'ils faisoient d'avoir le sexe en hor-
reur leur servoit à faire croire qu'ils n'en abusoient
pas. Ils croyoient tout jurement défendu ; et in-
terrogés sur leur foi, ils ne craignoient pas de
se parjurer tant il y a de bizarrerie et d'incon-
stance dans les esprits excessifs. Saint Bernard
concluoit de toutes ces choses, que c'étoit là
ce mystère d'iniquité prédit par saint Paul (2),
d'autant plus à craindre qu'il étoit plus caché;
et que ces hommes sont ceux que le Saint-Es-
prit a fait connoître au même apôtre comme des
hommes séduits par le démon, qui disent des
mensonges en hypocrisie; dont la conscience est
cautérisée; qui défendent le mariage et les vian-
des
que Dieu a créées (3). Tous les caractères y
conviennent trop clairement pour avoir besoin
d'être remarqués : et voilà les prédécesseurs que
se donnent les Calvinistes.

De dire que ces hérétiques toulousains, dont Pierre de parle saint Bernard, ne sont pas ceux qu'on apHenri. pela vulgairement les Albigeois, ce seroit une illusion trop grossière. Les ministres demeurent d'accord

que Pierre de Bruis et Henri sont deux

(1) Serm. LXV. in Cant. n. 5. LXVI. n. 1. I. Tim. IV., 1, 2, 3.

(2) II. Thess. 11. 7. — (3) Serm.

des chefs de cette secte, et que Pierre le Vénérable, abbé de Cluni, leur contemporain, dont nous parlerons bientôt, attaqua les Albigeois sous le nom de Pétrobusiens (1). Si les auteurs sont convaincus de manichéisme, les sectateurs n'ont pas dégénéré de cette doctrine; et on peut juger de ces mauvais arbres par leurs fruits: car encore qu'il soit constant par les lettres de saint Bernard, et par les auteurs du temps (2), qu'il convertit beaucoup de ces hérétiques toulousains disciples de Pierre de Bruis et de Henri, la race n'en fut pas éteinte, et ils gagnoient d'autant plus de monde qu'ils continuoient à se cacher. On les appeloit les bons hommes, tant ils étoient doux et simples en apparence: mais leur doctrine parut dans un interrogatoire que plusieurs d'eux subirent à Lombez, petite ville près d'Albi, dans un concile qui s'y tint en 1176 (3).

XXXVII.
Concile de

Lombez. Cé

lèbre inter

ces héréti

ques.

Gaucelin, évêque de Lodève, bien instruit de leurs artifices et de la saine doctrine, y fut chargé de les interroger sur leur croyance. Ils biaisent sur beaucoup d'articles, ils mentent sur d'autres; rogatoire de mais ils avouent en termes formels, « qu'ils re>> jettent. l'ancien Testament; qu'ils croient la >> consécration du corps et du sang de Jésus>> Christ également bonne, soit qu'elle se fasse » par un laïque ou par un clerc, pourvu qu'ils >> soient gens de bien; que tout serment est illi» cite; et que les évêques et les prêtres, qui n'a

(1) La Roq. hist. de l'Euch. 452, 453. (2) Epist. 241. ad. Tol. Vit. S. Bern. lib. 1. c. 5. — (3) Act. Conc. Lumb. t. x. Conc. Labb. col. 1471. an. 1176.

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