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terre, qui, dans les plaintes qu'on faisoit contre les briseurs d'images, « encore qu'ils fussent d'hu» meur à donner des bornes au zèle du peuple, >> ne vouloient point qu'on s'y prêt d'une manière » à lui faire perdre cœur (1) ». Les chefs de nos Calvinistes n'en usèrent pas d'une autre sorte; et encore que par honneur ils blâmassent ces emportés, nous ne voyons pas qu'on en fit aucune justice. On n'a qu'à lire l'histoire de Bèze, pour y voir nos Réformés toujours prêts au moindre bruit à prendre les armes, à rompre les prisons, à occuper les Eglises; et jamais on ne vit rien de si remuant. Qui ne sait les violences que la reine de Navarre exerça sur les prêtres et sur les religieux? On montre encore les tours d'où on précipitoit les Catholiques, et les abîmes où on les jetoit. Le puits de l'évêché où on les noyoit dans Nîmes, et les cruels instrumens dont on se servoit pour les faire aller au prêche, ne sont pas moins connus de tout le monde. On a encore les informations et les jugemens, où il paroît que ces sanglantes exécutions se faisoient par délibération du conseil des Protestans. On a en original les ordres des généraux, et ceux des villes, à la requête des consistoires, pour contraindre les papistes à embrasser la Réforme, par taxes, par logemens, par démolition de maisons, et par découverte des toits. Ceux qui s'absentoient, pour éviter ces violences, étoient dépouillés de leurs biens : les registres des hôtels-de-ville de Nîmes, de Montauban, d'Alais, de Montpellier, et des (1) Burn. II. part. liv. 1. p. 13.

autres villes du parti, sont pleins de telles ordonnances; et je n'en parlerois pas sans les plaintes dont nos fugitifs remplissent toute l'Europe. Voilà ceux qui nous vantent leur douceur: il n'y avoit qu'à les laisser faire, à cause qu'ils appliquoient à tout l'Ecriture sainte, et qu'ils chantoient mélodieusement des psaumes rimés. Ils trouvèrent bientôt les moyens de se mettre à couvert des martyres, à l'exemple de leurs docteurs, qui furent toujours en sûreté, pendant qu'ils animoient les autres; et Luther et Melancton, et Bucer et Zuingle, et Calvin et OEcolampade, et tous les autres se firent bientôt de sûrs asiles : et parmi ces chefs des Réformateurs je ne connois point de martyrs, même faux, si ce n'est peut-être un Cranmer, que nous avons vu, après avoir deux fois renié sa foi, ne se résoudre à mourir en la professant, que lorsqu'il vit son abjuration inutile à lui sauver la vie.

Mais à quoi bon, dira-t-on, rappeler ces choses, afin qu'un ministre fâcheux vous vienne dire que vous ne voulez par-là qu'aigrir les esprits, et accabler des malheureux ? Il ne faut point que de telles craintes m'empêchent de raconter ce qui est si visiblement de mon sujet : et tout ce que des Protestans équitables peuvent exiger de moi dans une histoire, c'est que, sans m'en rapporter à leurs adversaires, j'écoute aussi leurs auteurs. Je fais plus: et non content de les écouter, je prends droit, pour ainsi parler, par leur témoignage. Que nos frères ouvrent donc les yeux; qu'ils les jettent sur l'ancienne Eglise,

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LIV. L'assassinat

Guise par

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qui durant tant de siècles d'une persécution si cruelle ne s'est jamais échappée, ni un seul moment, ni dans un seul homme, et qu'on a vue aussi soumise sous Dioclétien, et même sous Julien l'Apostat lorsqu'elle remplissoit déjà toute la terre, que sous Néron et sous Domitien lorsqu'elle ne faisoit que de naître c'est là qu'on voit véritablement le doigt de Dieu. Mais il n'y a rien de semblable, lorsqu'on se soulève aussitôt qu'on peut, et que les guerres durent beaucoup plus que la patience. L'expérience nous fait assez voir, dans tous les partis, que l'entêtement et la prévention peuvent imiter la force, du moins durant quelque temps; et on n'a point dans le cœur les maximes de la douceur chrétienne, quand on les change si tôt, non-seulement en des pratiques, mais encore en des maximes contraires, avec délibération, et par des décisions expresses, comme on a vu qu'ont fait nos Protestans. C'est donc ici une véritable variation dans leur doctrine, et un effet de la perpétuelle instabilité, qui doit faire considérer leur Réforme comme un ouvrage de la nature de ceux qui n'ayant rien que d'humain, doivent être dissipés, selon la maxime de Gamaliel (1).

L'assassinat de François duc de Guise ne doit du duc de pas être oublié dans cette histoire, puisque l'auteur de ce meurtre mêla sa religion dans son Poltrot, re- crime. C'est Bèze qui nous représente Poltrot gardé dans la comme ému d'un secret mouvement (2), lorsqu'il se détermina à ce coup infâme; et afin de nous

Réforme

comme un

(1) Act. v. 38. - (2) Liv. v1. p. 267.

1562.

faire entendre que ce mouvement secret étoit de acte de reliDieu, il nous dépeint encore le même Poltrot gion. tout prêt à exécuter ce noir dessein, «< priant >> Dieu très-ardemment qu'il lui fît la grâce de » lui changer son vouloir, si ce qu'il vouloit » faire lui étoit désagréable; ou bien qu'il lui >> donnât constance, et assez de force pour tuer » ce tyran, et par ce moyen délivrer Orléans de >> destruction, et tout le royaume d'une si mal» heureuse tyrannie (1). Sur cela, et dès le soir » du même jour, poursuit Bèze (2), il fit son » coup »; ce fut dans cet enthousiasme, et comme en sortant de cette ardente prière. Aussitôt que nos Réformés surent la chose accomplie, «< ils en >> rendirent grâces à Dieu solennellement avec » grandes réjouissances (3) ». Le duc de Guise avoit toujours été l'objet de leur haine. Dès qu'ils se sentirent de la force, on a vu qu'ils conjurèrent sa perte, et que ce fut de l'avis de leurs docteurs. Après le désordre de Vassi, encore qu'il fût constant qu'il avoit fait tous ses efforts pour l'appaiser (4), le parti se souleva contre lui avec d'effroyables clameurs; et Bèze, qui en porta les plaintes à la Cour, confesse «< avoir infinies » fois désiré et prié Dieu, ou qu'il changeât le » cœur du seigneur de Guise, ce que toutefois » il n'a jamais pu espérer, ou qu'il en délivṛât » le royaume; de quoi il appelle à témoins >> tous ceux qui ont ouï ses prédications et prières (5) ». C'étoit donc dans ses prédi

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(1) Liv. v1, p. 268. — (2) Ibid. 269. — (3) Ibid. 290.—(4) Thuan. lib. xxix. p. 77, 78. — (5) Liv. v1. p. 299.

cations et en public qu'il faisoit infinies fois ces prières séditieuses; à la manière de celles de Luther, par lesquelles nous avons vu qu'il savoit si bien animer le monde, et susciter des exécuteurs à ses prophéties. Par de semblables prières on représentoit le duc de Guise comme un persécuteur endurci, dont il falloit désirer que Dieu délivrât le monde par quelque coup extraordinaire. Ce que Bèze dit pour s'excuser, qu'il ne nommoit pas ce seigneur de Guise en public (1), est trop grossier. Qu'importe de nommer un homme quand on sait et le désigner par ses caractères, et s'expliquer en particulier à ceux qui n'auroient pas assez entendu? Ces manières mystérieuses de se faire entendre dans les prédications et le service divin sont plus propres à irriter les esprits, que des déclarations plus expresses. Bèze n'étoit pas le seul qui se déchaînât contre le duc : tous les ministres tenoient le même langage. Il ne faut donc pas s'étonner que parmi tant de gens d'exécution, dont le parti étoit plein, il se soit trouvé des hommes qui crussent rendre service à Dieu, en défaisant la Réforme d'un tel ennemi. L'entreprise d'Amboise, plus noire encore, avoit bien été approuvée par les docteurs et par Bèze. Celle-ci, dans la conjoncture du siége d'Orléans, où le soutien du parti alloit succomber avec cette ville sous le duc de Guise, étoit bien d'une autre importance; et Poltrot croyoit plus faire pour sa religion que la Renaudie. Aussi

(1) Liv. vI. p. 299.

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