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s'expliqua-t-il hautement de son dessein, comme d'une chose qui devoit être bien reçue. Encore qu'il fût connu dans le parti comme un homme qui se dévouoit à tuer le duc de Guise, quoi qu'il lui en pût coûter, ni les chefs, ni les soldats, ni même les pasteurs ne l'en détournèrent. Croira qui voudra ce que dit Bèze, que c'est qu'on prit ces paroles pour des propos d'un homme éventé (1), qui n'auroit pas publié son dessein s'il avoit voulu l'exécuter. Mais d'Aubigné, plus sincère demeure d'accord qu'on espéroit dans le parti qu'il feroit le coup; ce qu'il dit avoir appris en bon lieu (2). Aussi est-il bien certain que Poltrot ne passoit point pour un étourdi : Soubise, dont il étoit le domestique, et l'amiral le regardoient comme un homme de service, et l'employoient dans des affaires de conséquence (3); et la manière dont il s'expliquoit faisoit plutôt voir un homme déterminé à tout, qu'un homme éventé et léger. « Il » se présenta de sang froid » (ce sont les paroles de Bèze (4)), à M. de Soubise un des chefs du parti, « pour lui dire qu'il avoit résolu en son » esprit de délivrer la France de tant de misères, » en tuant le duc de Guise; ce qu'il oseroit bien › entreprendre A QUELQUE PRIX que ce fut ». La réponse que lui fit Soubise n'étoit guère propre à le ralentir car il lui dit seulement, qu'il fit son devoir accoutumé; et pour ce qu'il lui avoit proposé, que Dieu y sauroit bien pourvoir par

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(1) Liv. v1. p. 268. (3) D'Aub. t. 1. liv. n. ch. xvn. p. 176. (3) Bèze, ibid. 268, 295, 297. (4) Bèze, ibid. 267, 268.

autres moyens. Un discours si foible, dans une action dont il ne falloit parler qu'avec horreur, devoit faire sentir à Poltrot dans l'esprit de Soubise, ou la crainte d'un mauvais succès, ou le dessein de s'en disculper, plutôt qu'une condamnation de l'entreprise en elle-même. Les autres chefs lui parloient avec la même froideur : on se contentoit de lui dire qu'il falloit bien prendre garde aux vocations extraordinaires (1). C'étoit, au lieu de le détourner, lui faire sentir dans son dessein quelque chose d'inspiré et de céleste; et, comme dit d'Aubigné dans son style vif, les remontrances qu'on lui faisoit sentoient le refus, et donnoient le courage. Aussi s'enfonçoit-il de plus en plus dans cette noire pensée : il en parloit à tout le monde; et, continue Bèze, il avoit tellement cela dans son entendement que c'étoient ses propos ordinaires. Durant le siége de Rouen, où le roi de Navarre fut tué, comme on parloit de cette mort, Poltrot,.« en tirant du » fond de son sein un grand soupir, Ha! dit-il, » ce n'est pas assez, il faut encore immoler une » plus grande victime (2) »! Lorsqu'on lui demanda quelle elle étoit : « C'est, répondit-il, le

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grand Guise; et en même temps levant le bras » droit, voilà le bras, s'écria-t-il, qui fera le coup » et mettra fin à nos maux »! Ce qu'il répétoit souvent, et toujours avec la même force. Tous ces discours sont d'un homme résolu, qui ne se cache pas, parce qu'il croit faire une action ap

(1) D'Aub. t. 1, p. 176. — (2) Thuan. lib. xxx111. p. 207.

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prouvée. Mais ce qui nous découvre mieux la disposition de tout le parti, c'est celle de l'amiral, qu'on y donnoit à tout le monde comme un modèle de vertu et la gloire de la Réforme. Je ne veux pas ici parler de la déposition de Poltrot, qui l'accusa de l'avoir induit avec Bèze à ce dessein. Laissons à part le discours d'un témoin qui a trop varié pour en être tout-à-fait cru sur sa parole: mais on ne peut pas révoquer en doute les faits avoués par Bèze dans son histoire (1), et encore moins ceux qui sont compris dans la déclaration que l'amiral et lui envoyèrent ensemble à la Reine sur l'accusation de l'assassin (2). Par-là donc il demeure pour constant que Soubise envoya Poltrot avec un paquet à l'amiral, lorsqu'il étoit encore auprès d'Orléans pour tâcher de le secourir que ce fut de concert avec l'amiral que Poltrot alla dans le camp du duc de Guise (3), fit semblant de se rendre à lui comme un homme qui étoit las de faire la guerre au Roi : que l'amiral, qui d'ailleurs ne pouvoit pas ignorer un dessein que Poltrot avoit rendu public, sut de Poltrot même qu'il y persistoit encore, puisqu'il avoue qué Poltrot en partant pour faire le coup, s'avança jusqu'à lui dire qu'il seroit aisé de tuer le seigneur de Guise (4) : que l'amiral ne dit pas un mot pour le détourner, et qu'au contraire, encore qu'il sût son dessein, il lui donna vingt écus à une fois, et cent écus à une autre pour se

(1) Thuan. lib. xxxш11. p. 291, 308. — (2) Ibid. p. 294, 295, et seq. (3) P. 2 . (4) P. 301.

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· 209.

bien monter (1); secours considérable pour le temps, et absolument nécessaire pour lui faciliter tout ensemble et son entreprise et sa fuite. Il n'y a rien de plus vain que ce que dit l'amiral pour s'en excuser: il dit que, lorsque Poltrot leur parla de tuer le duc de Guise, lui amiral n'ouvrit jamais la bouche pour l'inciter à l'entreprendre. Il n'avoit pas besoin d'inciter un homme dont la résolution étoit si bien prise; et afin qu'il accomplît son dessein, il ne falloit, comme fit l'amiral, que l'envoyer dans le lieu où il pouvoit l'exécuter. L'amiral, non content de l'y envoyer, lui donne de l'argent pour y vivre, et se préparer tous les secours nécessaires dans un tel dessein, jusqu'à celui de se monter avec avantage. Ce que l'amiral ajoute, qu'il n'envoyoit Poltrot dans le camp de l'ennemi, que pour en avoir des nouvelles, n'est visiblement que la couverture d'un dessein qu'on ne vouloit pas avouer. Pour l'argent, il n'y a rien de plus foible que ce que répond l'amiral, qu'il le donna à Poltrot, sans jamais lui faire mention de tuer ou ne tuer pas le seigneur de Guise (2). Mais la raison qu'il apporte, pour se justifier de ne l'avoir pas détourné d'un si noir dessein, découvre le fond de son cœur. Il reconnoît donc que «< de» vant ces derniers tumultes il en a su qui étoient » délibérés de tuer le seigneur de Guise; que >> loin de les avoir induits à ce dessein, ou de » l'avoir approuvé, il les en a détournés », et (1) P. 297, 300. — (2) Ibid. 297.

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qu'il en a même averti madame de Guise que
depuis le fait de Vassi, il a poursuivi ce duc
comme un ennemi public; «< mais qu'il ne se
» trouvera pas qu'il AIT APPROUVÉ qu'on attentât
» sur sa personne, jusqu'à ce qu'il ait été averti
>> que le duc avoit attiré certaines personnes pour
» tuer M. le prince de Condé et lui ». Il s'ensuit
donc qu'après cet avis, sur lequel on ne doit
pas croire un ennemi à sa parole, il a approuvé
qu'on entreprît sur la vie du duc : mais «< depuis
» ce temps il confesse que quand il a ouï dire à
» quelqu'un que s'il pouvoit il tueroit le seigneur
» de Guise jusque dans son camp, il ne l'en a
point détourné » : par où l'on voit tout ensem-
ble, et que ce dessein sanguinaire étoit commun
dans la Réforme, et que les chefs les plus esti-
més pour leur vertu, tel qu'étoit sans doute
l'amiral, ne se croyoient pas obligés à s'y op-
poser; au contraire qu'ils y contribuoient par
tout ce qu'ils pouvoient faire de plus efficace :
tant ils se soucioient peu d'un assassinat, pourvu
que la religion en fût le motif.

>>

Si on demande ce qui porta l'amiral à reconnoître des faits qui étoient si forts contre lui, ce n'est pas qu'il n'en ait vu l'inconvénient; mais, dit Bèze (1), « l'amiral, homme rond et vraiment » entier, s'il y en a jamais eu de sa qualité, ré»pliqua que si puis après avenant confrontation, » il confessoit quelque chose davantage, il don>> neroit occasion de penser qu'encore n'auroit-il » pas confessé toute la vérité »; c'est-à-dire, à

(1) P. 306.

LV.

Suite.

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