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qui sait l'entendre, que cet homme rond craignit la force de la vérité dans la confrontation, et se préparoit des excuses, à la manière des autres coupables, à qui leur conscience et la crainte d'être convaincus en fait souvent avouer plus peut-être qu'on n'en tireroit des témoins. Il paroît même, si l'on pèse bien la manière dont s'explique l'amiral, qu'il craint qu'on ne le croie innocent; qu'il n'évite que l'aveu formel et la conviction juridique, et qu'au surplus il prend plaisir à étaler sa vengeance. Ce qu'il fit de plus politique pour sa décharge fut de demander que l'on réservât Poltrot pour lui être confronté (1), se confiant aux excuses qu'il avoit données et aux conjonctures des temps, qui ne permettoient pas qu'on poussât à bout le chef d'un parti si redoutable. La Cour le vit bien aussi, et on acheva le procès. Poltrot, qui s'étoit dédit de la charge qu'il avoit mis sus et à l'amiral et à Bèze, persista jusqu'à la mort à décharger Bèze : mais pour l'amiral, il le chargea de nouveau par trois déclarations consécutives, et jusqu'au milieu de son supplice, de l'avoir induit à ce meurtre pour le service de Dieu (2). A l'égard de Bèze, il ne paroît pas qu'il ait eu part à cette action autrement que par ses prêches séditieux, et par l'approbation qu'il avoit donnée à l'entreprise d'Amboise, beaucoup plus criminelle; mais, ce qui est bien certain, c'est que devant l'action il ne fit rien pour l'empêcher, encore qu'il ne pût pas ne la pas savoir, et qu'après qu'elle eût êté faite il (1) P. 308. (2) P. 312, 319, 327.

n'oublia rien pour lui donner la couleur d'une action inspirée. Le lecteur jugera du reste, et il n'y en a que trop pour faire connoître de quel esprit étoient animés ceux dont on nous vante la douceur.

LVI.

Les Catholiques et les

Protestans

Je n'ai pas besoin ici de m'expliquer sur la question, savoir si les princes chrétiens sont en droit de se servir de la puissance du glaive contre leurs sujets ennemis de l'Eglise et de la saine doc- d'accord sur la question trine, puisqu'en ce point les Protestans sont de la punid'accord avec nous. Luther et Calvin ont fait des tion des hélivres exprès pour établir sur ce point le droit et rétiques. le devoir du magistrat (1). Calvin en vint à la pratique contre Servet et contre Valentin Gentil (2). Melancton en approuva la conduite par une lettre qu'il lui écrivit sur ce sujet (3). La discipline de nos Réformés permet aussi le recours au bras séculier en certains cas; et on trouve parmi les articles de la discipline de l'Eglise de Genève, que les ministres doivent déférer au magistrat les incorrigibles qui méprisent les peines spirituelles, et en particulier ceux qui enseignent de nouveaux dogmes, sans distinction. Et encore aujourd'hui celui de tous les auteurs calvinistes qui reproche le plus aigrement à l'Eglise romaine la cruauté de sa doctrine, en demeure d'accord dans le fond, puisqu'il permet l'exercice de la puissance du glaive dans les matières de la religion et de la conscience (4) : chose aussi qui ne (1) Luth. de Magist. tom. 11. Calv. Opusc. p. 592. — (2) Ibid. p. 600, 659. (3) Melanc. Calvino, inter Calv. Ep. p. 169. (4) Jur. Syst. 11. ch. 22, 23. Lett. Past. de la 1. année 1, 11, 111. Hist. du Papism. 2. Recrim. ch. 11, et seq.

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LVII.

Calvin.

peut être révoquée en doute sans énerver et comme estropier la puissance publique; de sorte qu'il n'y a point d'illusion plus dangereuse que de donner la souffrance pour un caractère de vraie Eglise; et je ne connois parmi les chrétiens que les Sociniens et les Anabaptistes qui s'opposent à cette doctrine. En un mot, le droit est certain; mais la modération n'en est pas moins nécessaire.

Calvin mourut au commencement des trouMort de bles. C'est une foiblesse de vouloir trouver quelque chose d'extraordinaire dans la mort de telles gens: Dieu ne donne pas toujours de ces exemples. Puisqu'il permet les hérésies pour l'épreuve des siens, il ne faut pas s'étonner que, pour achever cette épreuve, il laisse dominer en eux jusqu'à la fin l'esprit de séduction avec toutes les belles apparences dont il se couvre; et sans m'informer davantage de la vie et de la mort de Calvin, c'en est assez d'avoir allumé dans sa patrie une flamme que tant de sang répandu n'a pu éteindre, et d'être allé comparoître devant le jugement de Dieu sans aucun remords d'un si grand crime.

LVIII.

de foi des

Sa mort ne changea rien dans les affaires du Nouvelle parti mais l'instabilité naturelle aux nouvelles Confession sectes donnoit toujours au monde de nouveaux Eglises hel- spectacles, et les Confessions de foi alloient leur train. En Suisse les défenseurs du sens figuré, bien éloignés de se contenter de tant de Confessions de foi faites en France et ailleurs pour expliquer leur doctrine, ne se contentèrent pas

vétiques.

même

même de celles qui s'étoient faites parmi eux. Nous avons vu celle de Zuingle en 1530, nous en avons une autre publiée à Bâle en 1532, et une autre de la même ville en 1536, une autre en 1554, arrêtée d'un commun accord entre les Suisses et ceux de Genève. Toutes ces Confessions de foi, quoique confirmées par divers actes, ne furent pas jugées suffisantes, et il en fallut faire une cinquième en 1566 (1).

Les ministres qui la publièrent virent bien que ces changemens dans une chose si importante, et qui doit être aussi ferme et aussi simple qu'une Confession de foi, décrioient leur religion. C'est pourquoi ils font une préface, où ils tâchent de rendre raison de ce dernier changement: et voici toute leur défense (2): « C'est qu'encore que plu» sieurs nations aient déjà publié des Confessions » de foi différentes, et qu'eux-mêmes aient fait >> la même chose par des écrits publics; toutefois >> ils proposent encore celle-ci (lecteur remar» quez) à cause que ces écrits ont peut-être été » oubliés, ou qu'ils sont répandus en divers » lieux, et qu'ils expliquent la chose si ample»ment, que tout le monde n'a pas le temps de » les lire ». Cependant il est visible que ces deux premières Confessions de foi que les Suisses avoient publiées tiennent à peine cinq feuilles; et une autre qu'on y pourroit joindre est à peu près de même longueur; au lieu que celle-ci, qui devoit être plus courte, en a plus de soixante. Et quand

(1) Synt. Gen. I. part. p. 1..(2) Ibid. init. Præf.

BOSSUET. XX.

5

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LX.

mence seule

connoître parmi les

Suisses la

tative.

leurs autres Confessions de foi auroient été ou

bliées, rien ne leur étoit plus aisé

que

de les pu

blier de nouveau, s'ils en étoient satisfaits; tellement qu'il n'eût pas été nécessaire d'en proposer une quatrième, n'étoit qu'ils s'y sentoient obligés par une raison qu'ils n'osoient dire; c'est qu'il leur venoit continuellement de nouvelles pensées dans l'esprit ; et comme il ne falloit pas avouer que tous les jours ils chargeassent leur Confession de foi de semblables nouveautés, ils couvrent leurs changemens par ces vains prétextes.

Nous avons vu que Zuingle fut apôtre et réOn com- formateur, sans connoître ce que c'étoit que la ment alors à grâce par laquelle nous sommes chrétiens; et sauvant jusqu'aux philosophes par leur morale, il étoit bien éloigné de la justice imputative. En justice impu- effet, il n'en parut rien dans les Confessions de foi de 1532 et de 1536. La grâce y fut reconnue d'une manière que les Catholiques eussent pu approuver si elle eût été moins vague, et sans rien dire contre le mérite des œuvres (1). Dans l'accord fait avec Calvin en 1554, on voit que le calvinisme commençoit à gagner; la justice imputative paroît (2); on avoit été réformé près de quarante ans, sans connoître ce fondement de la Réforme. La chose ne fut expliquée à fond qu'en 1566 (5); et ce fut par un tel progrès que des excès de Zuingle on passa insensiblement à ceux de Calvin.

(1) Conf. 1532. art. 1x. Synt. Gen. 1. p. 68. 1536. art. 11, 111. ibid. pag. 72. (2) Consens. art. 11. Opusc. Calv. 751.

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(3) Conf. fid. cap. XV. Synt. Gen. 1. part. pag. 26.

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