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CHAPITRE XX.

De la conversion des propositions négatives.

Comme il est impossible qu'on sépare deux choses totalement, que cette séparation ne soit mutuelle et réciproque, il est clair que si je dis que nul homme n'est pierre, je puis dire aussi que nulle pierre n'est homme; car si quelque pierre était homme, cet homme serait pierre, et par conséquent il ne serait pas vrai que nul homme ne fût pierre. Et ainsi :

REGLE III. Les propositions universelles négatives peuvent se convertir simplement en changeant l'attribut en sujet, et conservant à l'attribut, devenu sujet, la même universalité qu'avait le premier sujet.

Car l'attribut, dans les propositions négatives, est toujours pris universellement, parce qu'il est nié selon toute son étendue, ainsi que nous l'avons montré ci-dessus.

Mais, par cette même raison, on ne peut faire de conversion des propositions négatives particulières, et on ne peut pas dire, par exemple; que quelque médecin n'est pas homme, parce que l'on dit que quelque homme n'est pas médecin. Cela vient, comme j'ai dit, de la nature même de la négation que nous venons d'expliquer, qui est que dans les propositions négatives l'attribut est toujours pris universellement et selon toute son extension; de sorte que lorsqu'un sujet particulier devient attribut par la conversion dans une proposition négative particulière, il devient universel, et change de nature contre les règles de la véritable conversion, qui ne doit point changer la restriction ou l'étendue des termes. Ainsi, dans cette proposition: Quelque homme n'est pas médecin, le terme d'homme est pris particulièrement. Mais dans cette fausse conversion: Quelque médecin n'est pas homme, le mot d'homme est pris universellement.

Or, il ne s'ensuit nullement de ce que la qualité de médecin est séparée de quelque homme dans cette proposition: Quelque homme n'est pas médecin, et de ce que l'idée de triangle est séparée de celle de quelque figure en cette autre proposition : Quelque figure n'est pas triangle, il ne s'ensuit, dis-je, nullement, qu'il y ait des médecins qui ne soient pas hommes, ni des triangles qui ne soient pas figures1.

1. C'est Aristote qui a posé le premier, dans les Premiers Analyti ques, les règles de la conversion des propositions exposées dans ce chapitre.

TROISIÈME PARTIE.

DU RAISONNEMENT.

Cette partie que nous avons maintenant à traiter, qui comprend les règles du raisonnement, est estimée la plus importante de la logique, et c'est presque l'unique qu'on y traîte avec quelque soin; mais il y a sujet de douter si elle est aussi utile qu'on se l'imagine. La plupart des erreurs des hommes, comme nous avons déjà dit ailleurs, viennent bien plus de ce qu'ils raisonnent sur de faux principes, que non pas de ce qu'ils raisonnent mal suivant leurs principes'. Il arrive rarement qu'on se laisse tromper par des raisonnements qui ne soient faux que parce que la conséquence en est mal tirée, et ceux qui ne seraient pas capables d'en reconnaître la fausseté par la seule lumière de la raison, ne le seraient pas ordinairement d'entendre les règles que l'on en donne et encore moins de les appliquer. Néanmoins, quand on ne considérerait ces règles que comme des vérités spéculatives, elles serviraient toujours à exercer l'esprit; et de plus, on ne peut nier qu'elles n'aient quelque usage en quelques rencontres, et à l'égard de quelques personnes, qui, étant d'un naturel vif et pénétrant, ne se laissent quelquefois tromper par de fausses conséquences, que faute d'attention, à quoi la réflexion qu'ils feraient sur ces règles serait capable de remédier. Quoi qu'il en soit, voilà ce qu'on en dit ordinairement, et quelque chose même de plus que ce qu'on en dit.

1. Voyez plus haut, p. 11, note 1.

CHAPITRE PREMIER.

De la nature du raisonnement, et des diverses espèces
qu'il peut y en avoir.

La nécessité du raisonnement n'est fondée que sur les bornes étroites de l'esprit humain qui, ayant à juger de la vérité ou de la fausseté d'une proposition qu'alors on appelle question, ne peut pas toujours le faire par la considération des deux idées qui la composent, dont celle qui en est le sujet est aussi appelée le petit terme, parce que le sujet est d'ordinaire moins étendu que l'attribut, et celle qui en est l'attribut est aussi appelée le grand terme par une raison contraire. Lors donc que la seule considération de ces deux idées ne suffit pas pour faire juger si l'on doit affirmer ou nier l'une de l'autre, il a besoin de recourir à une troisième idée, ou incomplexe ou complexe (suivant ce qui a été dit des termes complexes), et cette troisième idée s'appelle moyen.

Or, il ne servirait de rien, pour faire cette comparaison de deux idées ensemble par l'entremise de cette troisième idée, de la comparer seulement avec un des deux termes. Si je veux savoir, par exemple, si l'âme est spirituelle, et que, ne le pénétrant pas d'abord, je choisisse, pour m'en éclaircir, l'idée de pensée, il est clair qu'il me sera inutile de comparer la pensée avec l'âme, si je ne conçois dans la pensée aucun rapport avec l'attribut de spirituelle, par le moyen duquel je puisse juger s'il convient ou ne convient pas à l'âme. Je dirai bien, par exemple, l'âme pense; mais je n'en pourrai pas conclure: Donc elle est spirituelle, si je ne conçois aucun rapport entre le terme de penser et celui de spirituelle.

Il faut donc que ce terme moyen soit comparé tant avec le sujet ou le petit terme, qu'avec l'attribut ou le grand terme, soit qu'il ne le soit que séparément avec chacun de ces termes, comme dans les syllogismes qu'on appelle simples pour cette raison, soit

qu'il le soit tout à la fois avec tous les deux, comme dans les arguments qu'on appelle conjonctifs.

Mais en l'une ou l'autre manière, cette comparaison demande deux propositions.

Nous parlerons en particulier des arguments conjonctifs; mais pour les simples cela est clair, parce que le moyen étant une fois comparé avec l'attribut de la conclusion (ce qui ne peut être qu'en affirmant ou niant) fait la proposition qu'on appelle majeure, à cause que cet attribut de la conclusion s'appelle grand

terme.

Et, étant une autre fois comparé avec le sujet de la conclusion, fait celle qu'on appelle mineure, à cause que le sujet de la conclusion s'appelle petit terme.

Et puis la conclusion, qui est la proposition même qu'on avait à prouver, et qui, avant que d'être prouvée, s'appelait question. Il est bon de savoir que les deux premières propositions s'appellent aussi prémisses (præmissæ), parce qu'elles sont mises au moins dans l'esprit avant la conclusion qui en doit être une suite nécessaire si le syllogisme est bon; c'est-à-dire que, supposé la vérité des prémisses, il faut nécessairement que la conclusion soit vraie.

Il est vrai que l'on n'exprime pas toujours les deux prémisses, parce que souvent une seule suffit pour en faire concevoir deux à l'esprit; et, quand on n'exprime ainsi que deux propositions, cette sorte de raisonnement s'appelle enthymème, qui est un véritable syllogisme dans l'esprit, parce qu'il supplée la proposition qui n'est pas exprimée, mais qui est imparfait dans l'expression, et ne conclut qu'en vertu de cette proposition sousentendue.

J'ai dit qu'il y avait au moins trois propositions dans un raisonnement; mais il pourrait y en avoir beaucoup davantage, sans qu'il fût pour cela défectueux, pourvu qu'on garde toujours les règles; car, si, après avoir consulté une troisième idée, pour savoir si un attribut convient ou ne convient pas à un sujet, et l'avoir comparée avec un des termes, je ne sais pas encore s'il convient ou ne convient pas au second terme, j'en pourrais choisir une quatrième pour m'en éclaircir, et une cinquième si celle-là

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