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Il est même beaucoup mieux de ne donner cette division du triangle, qu'après avoir expliqué et démontré toutes les propriétés du triangle en général; d'où l'on aura appris qu'il faut nécessairement que deux angles au moins du triangle soient aigus, parce que les trois ensemble ne sauraient valoir plus de deux droits.

Ce défaut retombe dans celui de l'ordre, qui ne voudrait pas. qu'on traitât ni même qu'on définît les espèces qu'après avoir bien connu le genre, surtout quand il y a beaucoup de choses à dire du genre, qui peut être expliqué sans parler des espèces.

CHAPITRE X.

Réponse à ce que disent les géomètres à ce sujet.

Il y a des géomètres qui croient avoir justifié ces défauts, en disant qu'ils ne se mettent pas en peine de cela; qu'il leur suffit de ne rien dire qu'ils ne prouvent d'une manière convaincante; et qu'ils sont par là assurés d'avoir trouvé la vérité qui est leur unique but.

On avoue aussi que ces défauts ne sont pas si considérables, qu'on ne soit obligé de reconnaître que, de toutes les sciences humaines, il n'y en a point qui aient été mieux traitées que celles qui sont comprises sous le nom général de mathématiques; mais on prétend seulement qu'on pourrait encore y ajouter quelque chose qui les rendrait plus parfaites; et que, quoique la princi

pale chose qu'ils aient dû y considérer soit de ne rien avancer que de véritable, il aurait été néanmoins à souhaiter qu'ils eussent eu plus d'attention à la manière la plus naturelle de faire entrer la vérité dans l'esprit.

Car ils ont beau dire qu'ils ne se soucient pas du vrai ordre, ni de prouver par des voies naturelles ou éloignées, 'pourvu qu'ils fassent ce qu'ils prétendent, qui est de convaincre; ils ne peuvent pas changer par là la nature de notre esprit, ni faire que nous n'ayons une connaissance beaucoup plus nette, plus entière et plus parfaite des choses que nous savons par leurs vraies causes et leurs vrais principes, que de celles qu'on ne nous a prouvées que par des voies obliques et étrangères.

Et il est de même indubitable qu'on apprend avec une facilité incomparablement plus grande, et qu'on retient beaucoup mieux ce qu'on enseigne dans le vrai ordre; parce que les idées qui ont une suite naturelle s'arrangent bien mieux dans notre mémoire, et se réveillent bien plus aisément les unes les autres.

On peut dire même que ce qu'on a su une fois pour en avoir pénétré la vraie raison, ne se retient pas par mémoire, mais par jugement, et que cela devient tellement propre, qu'on ne peut l'oublier; au lieu que ce qu'on ne sait que par des démonstrations qui ne sont point fondées sur des raisons naturelles s'échappe aisément, et se retrouve difficilement quand il nous est une fois sorti de la mémoire, parce que notre esprit ne nous donne point de voie pour le retrouver.

Il faut donc demeurer d'accord qu'il est en soi beaucoup mieux de garder cet ordre que de ne point le garder; mais tout ce que pourraient dire des personnes équitables, est qu'il faut négliger un petit inconvénient, lorsqu'on ne peut l'éviter sans tomber dans un plus grand; qu'ainsi c'est un inconvénient de ne pas toujours garder le vrai ordre; mais qu'il vaut mieux néanmoins ne pas le garder que de manquer à prouver invinciblement ce que l'on avance, et s'exposer à tomber dans quelque erreur et quelque paralogisme, en recherchant de certaines preuves qui peuvent être plus naturelles, mais qui ne sont pas si convain→ cantes ni si exemptes de tout soupçon de tromperie.

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Cette réponse est très-raisonnable; et j'avoue qu'il faut préfé

rer à toute chose l'assurance de ne point se tromper, et qu'il faut négliger le vrai ordre, si con ne peut le suivre sans perdre beaucoup de la force des démonstrations, et s'exposer à l'erreur; mais je ne demeure pas d'accord qu'il soit impossible d'observer l'un et l'autre, et je m'imagine qu'on pourrait faire des éléments de géométrie où toutes choses seraient traitées dans leur ordre naturel, toutes les propositions prouvées par des voies très-simples et très-naturelles, et où tout néanmoins serait trèsclairement démontré. (C'est ce qu'on a depuis exécuté dans les NOUVEAUX ÉLÉMENTS DE GÉOMÉTRIE, et particulièrement dans.la nouvelle édition qui vient de paraître '.)

CHAPITRE XI.

La méthode des sciences réduite à huit règles principales.

On peut conclure de tout ce que nous venons de dire, que, pour avoir une méthode qui soit encore plus parfaite que celle qui est en usage parmi les géomètres, on doit ajouter deux ou trois règles aux cinq que nous avons proposées dans le chapitre II de sorte que toutes ces règles peuvent se réduire à huit, Dont les deux premières regardent les idées, et peuvent se rapporter à la première partie de cette Logique.

La troisième et la quatrième regardent les axiomes, et peuvent se rapporter à la seconde partie.

La cinquième et la sixième regardent les raisonnements, et peuvent se rapporter à la troisième partie,

Et les deux dernières regardent l'ordre, et peuvent se rappor ter à la quatrième partie.

1. Ces Éléments sont d'Arnauld; on les trouve au tome XL de ses œuvres complètes.

Deux règles touchant les définitions.

1. Ne laisser aucun des termes un peu obscurs ou equivoques sans le définir.

2. N'employer dans les définitions que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués.

Deux règles pour les axiomes.

3. Ne demander en axiomes que des choses parfaitement évidentes.

4. Recevoir pour évident ce qui n'a besoin que d'un peu d'attention pour être reconnu véritable.

Deux règles pour les démonstrations.

5. Prouver toutes les propositions un peu obscures, en n'employant à leur preuve que les définitions qui auront précédé, et les axiomes qui auront été accordés, ou les propositions qui auront déjà été démontrées.

6. N'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant de substituer mentalement les définitions qui les restreignent et qui les expliquent.

Deux règles pour la méthode.

7. Traiter les choses, autant qu'il se peut, dans leur ordre naturel, en commençant par les plus générales et les plus simples, et expliquant tout ce qui appartient à la nature du genre avant que de passer aux espèces particulières.

8. Diviser, autant qu'il se peut, chaque genre en toutes ses espèces, chaque tout en toutes ses parties, et chaque difficulté

en tous ses cas.

J'ai ajouté à ces deux règles, autant qu'il se peut, parce qu'il est vrai qu'il arrive beaucoup de rencontres où on ne peut pas les observer à la rigueur, soit à cause des bornes de l'esprit hu

main, soit à cause de celles qu'on a été obligé de donner à chaque science.

Ce qui fait qu'on y traite souvent d'une espèce, sans qu'on puisse y trailer tout ce qui appartient au genre; comme on traite du cercle dans la géométrie commune, sans rien dire en particulier de la ligne courbe, qui en est le genre, qu'on se contente seulement de définir.

On ne peut pas aussi expliquer d'un genre tout ce qui pourrait s'en dire, parce que cela serait souvent trop long; mais il suffit d'en dire tout ce qu'on veut en dire avant que de passer aux espèces.

Mais je crois qu'une science ne peut être traitée parfaitement, qu'on n'ait grand égard à ces deux dernières règles aussi bien qu'aux autres, et qu'on ne se résolve à ne s'en dispenser que par nécessité ou par une grande utilité.

CHAPITRE XII.

De ce que nous connaissons par la foi, soit humaine, soit divine.

Tout ce que nous avons dit jusqu'ici regarde les sciences humaines, purement humaines, et les connaissances qui sont fondées sur l'évidence de la raison; mais, avant de finir, il est bon de parler d'une autre sorte de connaissance, qui souvent n'est pas moins certaine ni moins évidente en sa manière, qui est celle que nous tirons de l'autorité.

Car il y a deux voies générales qui nous font croire qu'une chose est vraie. La première est la connaissance que nous en avons par nous-mêmes, pour en avoir reconnu et recherché la vérité, soit par nos sens, soit par notre raison; ce qui peut s'appeler généralement raison, parce que les sens mêmes dépendent du jugement de la raison; ou science, prenant ici ce nom plus. généralement qu'on ne le prend dans les écoles, pour toute connaissance d'un objet tirée de l'objet même.

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