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VIII.

Nous avons achevé de parcourir la série des travaux philosophiques d'Arnauld, travaux qui ne furent qu'un accident presque inaperçu dans sa vie, et qui, par une singulière vicissitude formeront peut-être son principal titre aux yeux de la postérité. Malgré les lacunes de notre exposition, elle peut servir à apprécier le génie de cet homme célèbre, dont la renommé balança un instant la gloire des personnages les plus illustres du siècle de Louis XIV. La nature lui avait refusé l'esprit d'inven tion, et il n'a produit aucune de ces idées fécondes qui éclairent toute une époque, et renouvellent la face entière de la philosophie. Il possédait moins encore, si on peut le dire, cette vive abondance de pensées hardies, ou cette rigueur inflexible qui, d'une ancienne opinion méditée fortement,, fait sortir des opinions nouvelles, et sur une base empruntée construit un système original.. Cependant, on ne saurait le placer parmi les esprits timides, qui ne font que suivre un sentier battu, et dont. le rôle consiste à interpréter fidèlement la doctrine du maître. Inférieur par l'originalité à Descartes, à Leibnitz, à Spinosa et à Malebranche, il dépasse indubitablement Rohault, Régis et Clerselier. Le trait le plus saillant de son caractère semble avoir été la justesse, l'exactitude, le bon sens qu'il possédait à ce degré, où le bon sens devient le génie, quand il s'allie, comme chez Bossuet, à la majesté. Aucun philosophe n'a parlé plus vivement con

tre les préjugés, et aucun n'a mieux su éviter les déplorables aberrations où le mépris des croyances populaires entraînait alors les meilleures intelligences. On a moins à lui reprocher des paradoxes que des ignorances, pour ainsi dire volontaires, et lorsqu'il échoua, ce fut plutôt par excès de prudence que par témérité. Les services qu'il a rendus à l'esprit humain peuvent se résumer en peu de mots : théologien de profession, philosophe par circonstance, il a maintenu avec une égale énergie les droits de la raison et ceux de la foi : par un ouvrage qui est un chef-d'œuvre, l'Art de penser, il a porté à la scolastique un dernier coup dont elle ne s'est pas relevée dans son livre Des vraies et des fausses idées, il a fait justice d'une vieille hypothèse, féconde en erreurs dans ses Réflexions sur le système de la Nature et de la Gráce, il a contribué à éclairer un des points les plus difficiles de la métaphysique. Si on réfléchit maintenant que la philosophie n'était pas son étude habituelle; que les traités qu'il y a consacrés ne forment qu'une partie imperceptible de ses œuvres; enfin qu'il a écrit ses innombrables ouvrages, non pas dans le silence d'une paisible retraite, avec le silence si nécessaire à la méditation, mais au milieu des inquiétudes de la persécution et de l'exil, loin de sa famille et de ses amis, et quelquefois ne sachant pas la veille où il reposerait le lendemain, on ne s'étonnere pas que ses contemporains, admirant les ressources inépuisables de son génie et de son courage, l'aient nommé le Grand Arnauld.

LA

LOGIQUE

OU

L'ART DE PENSER.

AVIS.

La naissance de ce petit ouvrage est due entièrement au hasard, et plutôt à une espèce de divertissement qu'à un dessein sérieux. Une personne de condition entretenant un jeune seigneur', qui dans un âge peu avancé faisait paraître beaucoup de solidité et de pénétration d'esprit, lui dit qu'étant jeune, il avait trouvé un homme qui l'avait rendu, en quinze jours, capable de répondre sur une partie de la logique. Ce discours donna occasion à une autre personne qui était présente, et qui n'avait pas grande estime pour cette science, de répondre en riant, que si Monseigneur.... voulait en prendre la peine, on s'engagerait bien à lui apprendre en quatre ou cinq jours tout ce qu'il y avait d'utile dans la logique.. Cette proposition faite en l'air ayant servi quelque temps d'entretien, on se résolut d'en faire l'essai; mais comme on ne jugea pas les logiques ordinaires assez courtes, ni assez nettes, on eut l'idée d'en faire un petit abrégé qui ne fût que pour lui.

C'est l'unique vue qu'on avait lorsqu'on se mit en devoir d'y travailler et l'on ne pensait pas y employer plus d'un jour; mais

1. Honoré d'Albert, duc de Chevreuse. (Note de Port-Royal.)

1.

quand on voulut s'y appliquer, il vint dans l'esprit tant de réflexions nouvelles qu'on fut obligé de les écrire pour s'en décharger: ainsi, au lieu d'un jour, on y en employa quatre ou cinq, pendant lesquels on forma le corps de cette logique, à laquelle on a depuis ajouté diverses choses.

Or, quoiqu'on y ait embrassé beaucoup plus de matières qu'on ne s'était engagé de faire d'abord, néanmoins l'essai a réussi comme on se l'était promis; car ce jeune seigneur l'ayant luimême réduite en quatre tables, il en apprit facilement une par jour, sans même qu'il eût presque besoin de personne pour l'entendre. Il est vrai qu'on ne doit pas espérer que d'autres que lui y entrent avec la même facilité, son esprit étant tout à fait extraordinaire dans toutes les choses qui dépendent de l'intelligence.

Voilà la rencontre qui a produit cet ouvrage : mais, quelque sentiment qu'on en ait, on ne peut, au moins avec justice, en désapprouver l'impression, puisqu'elle a été plutôt forcée que volontaire : car plusieurs personnes en ayant tiré des copies manuscrites, ce qu'on sait assez ne pouvoir se faire sans qu'il s'y glisse beaucoup de fautes, on a eu avis que les libraires se disposaient. à l'imprimer; de sorte qu'on a jugé plus à propos de le donner au public correct et entier, que de permettre qu'on l'imprimât sur des copies défectueuses; mais c'est aussi ce qui a obligé d'y faire diverses additions qui l'ont augmenté de près d'un tiers, parce qu'on a cru devoir étendre ces vues plus loin qu'on n'avait fait en ce premier essai. C'est le sujet du discours suivant, où l'on explique la fin qu'on s'y est proposée, et la raison des matières qu'on y a traitées.

AVERTISSEMENT DE LA CINQUIÈME ÉDITION.

On a fait diverses additions importantes à cette nouvelle édition de la Logique, dont l'occasion a été que les ministres se sont

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