OEUVRES DE MOLIERE 300110 NOUVELLE ÉDITION REVUE SUR LES PLUS ANCIENNES IMPRESSIONS ET AUGMENTÉE des variantes, de notices, de notes, d'un lexique des mots et locutions remarquables, AVERTISSEMENT. PLUS que tout autre peut-être de nos grands écrivains, Molière impose à ses éditeurs des obligations bien difficiles à remplir. La première difficulté est l'intérêt même qu'une nouvelle édition ne manque guère d'éveiller. Après tant de travaux excellents et variés sur Molière et sur ses ouvrages, tant de recherches patientes et d'heureuses découvertes qui sont venues compléter et préciser surtout quelques points de sa biographie ou de l'histoire de son théâtre, il est devenu malaisé de répondre à une curiosité qui a le droit d'être exigeante. Malheureusement, en ce qui concerne la partie historique, il serait bien téméraire de compter sur des renseignements inédits, que des chances inespérées peuvent seules faire découvrir. Les documents anciens, sans cesse interrogés (nous parlons de ceux qui depuis longtemps sont connus et accessibles à tous), ont été épuisés par les premiers biographes, et l'on sait combien ils sont insuffisants. Molière n'a pas, comme Corneille et Racine, trouvé dans sa propre famille des historiens, prévenus sans doute, inexacts parfois, mais sincères du moins et en position d'être bien informés. Il n'a pas laissé de correspondance, il n'écrit guère de préfaces: il disparaît derrière ses ouvrages. Parmi ses contemporains, il n'y MOLIÈRE. I A a guère que ses ennemis qui s'occupent de sa personne ; et encore la malveillance ne lui accorde-t-elle pas toujours cet honneur. Elle prend à son égard le masque de l'indifférence. Nous avons pu constater un fait curieux, c'est que le seul journal du temps, la Gazette, nomme souvent des écrivains contemporains, surtout ceux qui ont quelque recommandation officielle; elle mentionne leurs succès à la cour, à l'Académie ou ailleurs; lorsqu'ils meurent, elle leur consacre une notice plus ou moins élogieuse: quant à Molière, elle ne le nomme jamais de son vivant, elle ne lui accorde pas une ligne à sa mort. La Gazette du 25 février 1673 nous apprendra avec détail que la France vient de perdre le P. Lalemant, prieur de Sainte-Geneviève, M. de Mesmes, conseiller du Roi, etc.: il ne semble pas que pendant la semaine précédente ait disparu celui que Boileau proclamait devant Louis XIV le plus rare des écrivains du siècle. Il n'est pas difficile d'entrevoir les raisons de ce silence affecté. Nous ne prétendons pas que le génie de Molière ait été méconnu par ses contemporains, quoique tout justifie l'assertion de Boileau assurant qu'en général on attendit sa mort pour reconnaître entièrement le prix de sa muse éclipsée1, et que même à une date où on lui rendait justice, Bossuet ne craignît pas d'écrire : « La postérité saura peut-être la fin de ce poëte comédien, qui en jouant son Malade imaginaire ou son Médecin par force, etc. 2. » On commençait en effet à soupçonner alors que peut-être la postérité en saurait quelque chose; mais ce n'était pas du moins la gazette officielle qui l'aurait appris aux contemporains. 1. Épire VII, à Racine, vers 35. 2. Maximes et réflexions sur la comédie, paragraphe v. |