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siècle; il faut rendre à Molière l'honneur et la honte des bergeries.

L'Aurore chante, en ouvrant le jour qui verra se dénouer les amours de la Princesse d'Elide (1) :

Quand l'amour à vos yeux offre un choix agréable,
Jeunes beautés, laissez-vous enflammer;
Moquez-vous d'affecter cet orgueil indomptable
Dont on vous dit qu'il est beau de s'armer:
Dans l'âge où l'on est aimable,

Rien n'est si beau que d'aimer.

Soupirez librement pour un amant fidèle,

Et bravez ceux qui voudroient vous blâmer.
Un cœur tendre est aimable, et le nom de cruelle
N'est pas un nom à se faire estimer;

Dans le temps où l'on est belle,

Rien n'est si beau que d'aimer (2).

Cette Aurore voit bientôt paraître un jeune prince, avec un précepteur qui lui donne ces leçons :

(1) 1664.

Moi, vous blâmer, seigneur, des tendres mouvements
Où je vois qu'aujourd'hui penchent vos sentiments!
Le chagrin des vieux jours ne peut aigrir mon âme
Contre les doux transports de l'amoureuse flamme;
Et, bien que mon sort touche à ses derniers soleils,
Je dirai, que l'amour sied bien à vos pareils;
Que ce tribut qu'on rend aux traits d'un beau visage
De la beauté d'une âme est un clair témoignage,
Et qu'il est malaisé que, sans être amoureux,
Un jeune prince soit et grand et généreux...
Devant mes yeux, seigneur, a passé votre enfance,
Et j'ai de vos vertus vu fleurir l'espérance...

(2) La Princesse d'Elide, Prologue, sc. 1.

Votre cœur, votre adresse éclatoient chaque jour :
Mais je m'inquiétois de ne voir point d'amour.

Et, puisque les langueurs d'une plaie invincible

Nous montrent que votre âme à ses traits est sensible,

Je triomphe, et mon cœur, d'allégresse rempli,

Vous regarde à présent comme un prince accompli (1). »

Or cette tirade était dite à Louis XIV, jeune et triomphant, dans ces fameuses fêtes appelées les Plaisirs de l'Ile enchantée, qu'il donnait, sous le couvert de la reine mère, et en présence de la jeune reine délaissée, à Mlle de La Vallière, en sorte que sa mère et sa femme servaient de prétexte aux hommages royaux rendus publiquement à sa maîtresse (2).

Plus loin arrivent deux bergères qui se demandent

(1) La princesse d'Elide, act. I, sc. I.

(2) Là est une des raisons de la colère de Bossuet, car il y a une sainte colère dans la phrase célèbre du chap. V des Maximes et Réflexions sur la Comédie: « La postérité saura peut-être la fin de ce poëte comédien, qui, en jouant son Malade imaginaire ou son Médecin par force, reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut peu d'heures après, et passa des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit le dernier soupir, au tribunal de celui qui dit: Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez (Luc, VI, 25). Ceux qui ont laissé sur la terre de plus riches monuments n'en sont pas plus à couvert de la justice de Dieu; ni les beaux vers ni les beaux chants ne servent de rien devant lui; et il n'épargnera pas ceux qui, en quelque manière que ce soit, auront entretenu la convoitise. » Molière poussant au désordre, publiquement, devant sa mère, sa femme, et toute la cour, le roi de France, le représentant de Dieu sur la terre, et attirant ainsi les colères célestes sur le royaume! Molière lui disant tout haut: « Moi, vous blâmer!... » quand Bossuet employait toute son autorité d'évêque et son énergie de chrétien à arracher le roi aux scandales de l'adultère! Molière devait être le génie du mal aux yeux de Bossuet. Voir la même cause d'indignation dans Amphitryon, plus haut, p. 169; dans M. de Pourceaugnac, plus loin, p. 185, note 3; dans les Amants magnifiques, plus loin, p. 186, note 2. Voir d'ailleurs sur la question de Bossuet, plus loin, chap. XII.

si l'on doit croire de l'amour « ou le mal ou le bien, » et qui concluent en chantant:

Aimons, c'est le vrai moyen

De savoir ce qu'on en doit croire (1).

Et après elles viennent des bergers héroïques qui vident ainsi la question:

Usez mieux, ô beautés fières,
Du pouvoir de tout charmer :
Aimez, aimables bergères;
Nos cœurs sont faits pour aimer...
Songez de bonne heure à suivre
Le plaisir de s'enflammer :
Un cœur ne commence à vivre
Que du jour qu'il sait aimer.
Quelque fort qu'on s'en défende,
Il faut y venir un jour;

Il n'est rien qui ne se rende

Aux doux charmes de l'amour (2).

La charmante Daphné et la trop aimable Eroxène (3) suivent ces sages maximes, et viennent s'offrir (4) au jeune Myrtil, qui chante à son moineau :

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Votre destin est glorieux;

Je vous ai pris pour Mélicerte.

Elle vous baisera, vous prenant dans sa main ;

Et de vous mettre en son sein

Elle vous fera la grâce.

Est-il un sort au monde et plus doux et plus beau?
Et qui des rois, hélas ! heureux petit moineau,
Ne voudroit être en votre place (1) ?

Au Myrtil de Mélicerte succède le Philène de la Pastorale comique (2) qui dit à ses brebis :

Paissez, chères brebis, les herbettes naissantes;

Ces prés et ces ruisseaux ont de quoi vous charmer;
Mais si vous désirez vivre toujours contentes,

Petites innocentes,

Gardez-vous bien d'aimer (3).

On croit inutile d'insister sur cette assimilation des amours des hommes et des amours des bêtes: Molière, d'ailleurs, fait prononcer la moralité de tout cela par l'Egyptienne et les Egyptiens qui chantent à la fin de la Pastorale:

Croyez-moi, hâtons-nous, ma Sylvie,
Usons bien des moments précieux;
Contentons ici notre envie;

De nos ans le feu nous y convie;
Nous ne saurions, vous et moi, faire mieux.
Quand l'hiver a glacé nos guérêts,

Le printemps vient reprendre sa place,

(1) Mélicerte, act. I, sc. v.

(2) Nous n'en possédons que les paroles chantées, conservées dans la partition de Lulli Molière avait brûlé son manuscrit. La Pastorale comique ainsi que Mélicerte tenaient place dans la grande fête appelée le Ballet des Muses, donnée à Saint-Germain en décembre 1666.

(3) Pastorale comique, sc. III.

Et ramène à nos champs leurs attraits;
Mais hélas ! quand l'âge nous glace,
Nos beaux jours ne reviennent jamais.
Ne cherchons tous les jours qu'à nous plaire,
Soyons-y l'un et l'autre empressés;

Du plaisir faisons notre affaire ;

Des chagrins songeons à nous défaire :

Il vient un temps où l'on en prend assez (1).

Sur le même ton, sinon sur le même air, les bergères de la Fête de Versailles (2) chantent à leurs bergers :

CHLORIS.

Le zéphyr entre ces eaux
Fait mille courses secrètes,
Et les rossignols nouveaux
De leurs douces amourettes
Parlent aux tendres rameaux.
Prenez, bergers, vos musettes,
Ajustez vos chalumeaux,

Et mêlons nos chansonnettes
Aux chants des petits oiseaux.

CLIMÈNE.

Ah! qu'il est doux, belle Sylvie,
Ah! qu'il est doux de s'enflammer!

Il faut retrancher de la vie

Ce qu'on en passe sans aimer.

CHLORIS.

Ah! les beaux jours qu'amour nous donne,

Lorsque sa flamme unit les cœurs !

Est-il ni gloire ni couronne

Qui vaille ses moindres douceurs?

(1) Pastorale comique, sixième entrée de ballet. (2) 1668.

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