<«< A ces mots, dit Félibien (1), l'on vit s'approcher du fond du théâtre un grand rocher couvert d'arbres, sur lequel étoit assise toute la troupe de Bacchus, composée de quarante satyres. L'un d'eux, s'avançant à la tête, chanta fièrement ces paroles: >> Arrêtez, c'est trop entreprendre : Un autre dieu, dont nous suivons les lois, A des titres si beaux Bacchus seul peut prétendre, CHEUR DE SATYRES. Nous suivons de Bacchus le pouvoir adorable; Nous suivons en tous lieux Ses attraits glorieux; Il est le plus aimable Et le plus grand des dieux. (1) Relation de la Fête de Versailles du 18 juillet 1668. « Et l'on vit un combat des danseurs et des chantres de Bacchus contre les danseurs et les chantres qui soutenoient le parti de l'Amour. » 1 LE PARTI DE L'AMOUR. Ah! quel plaisir d'aimer! LE PARTI DE BACCHUS. Ah! quel plaisir de boire! LE PARTI DE L'AMOUR. A qui vit sans amour la vie est sans appas. LE PARTI DE BACCHUS. C'est mourir que de vivre et de ne boire pas. LE PARTI DE L'AMOUR. Aimables fers! LE PARTI DE BACCHUS. Douce victoire! LE PARTI DE L'AMOUR. Ah! quel plaisir d'aimer ! LE PARTI DE BACCHUS. Ah! quel plaisir de boire! LES DEUX PARTIS. Non, non, c'est un abus : Le plus grand dieu de tous... LE PARTI DE L'AMOUR. C'est l'Amour! LE PARTI DE BACCHUS. C'est Bacchus ! « Un berger arrive, qui se jette entre les deux partis pour les séparer, et leur chante ces vers : >> » C'est trop, c'est trop, bergers. Eh! pourquoi ces débats? LES DEUX CHŒURS. Melons donc leurs douceurs aimables, Mêlons nos voix dans ces lieux agréables, Et faisons répéter aux échos d'alentour Qu'il n'est rien de plus doux que Bacchus et l'Amour (1). Félibien s'extasie sur ces dialogues «< si tendres et si amoureux, >>> sur cette admirable musique de Lulli« où il n'y a rien qui n'exprime parfaitement toutes les passions. » En effet, c'est très-beau, et c'est peut-être ce que notre théâtre possède de meilleur et de plus antique dans ce genre. Mais ces charmes mêmes de la poésie et de la musique prennent les cœurs malgré eux: on ne peut pas entendre cela froidement, comme une simple dissertation mythologique. C'est un genre de corruption très-doux, d'autant plus dangereux qu'il s'insinue d'une manière tout insensible, et qu'il s'offre comme un divertissement très-délicat, très-innocent. Le moraliste doit protester avec Boileau (2) contre l'influence de ce (1) Relation de la Fête de Versailles du 18 juillet 1668, par Félibien. (2) Satire X, v. 131 : Par toi-même bientôt conduite à l'opéra, De quel air penses-tu que ta sainte verra D'un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse, Ces danses, ces héros à voix luxurieuse, plaisir qui amollit les âmes et les prépare tout doucement à succomber au premier assaut de la passion. Quoi que puisse dire l'ami des arts et de la poésie, l'ami de la vertu ne peut approuver un seul pas sur une pente si fleurie et si glissante. C'est la même leçon tendrement corruptrice que chantent en sérénade à Julie les musiciens d'Eraste dans M. de Pourceaugnac : Répands, charmanté nuit, répands sur tous les yeux 10!!b De tes pavots la douce violence, Et ne laisse veiller en ces aimables lieux Que les cœurs que l'amour soumet à sa puissance. Tes ombres et ton silence, Plus beaux que le plus beau jour, Offrent de doux moments à soupirer d'amour. il Que soupirer d'amour Est une douce chose, Quand rien à nos vœux ne s'oppose'!t 2012:05 831 A d'aimables penchants notre cœur nous dispose);. Tuomiokijit Aimons-nous donc d'une ardeur éternelle : volattal Les rigueurs des parents, la contrainte cruelle, L'absence, les travaux, la fortune rebelle Saura d'eux, qu'à l'amour, comme au seul dieu suprême malolong On doit immoler tout, jusqu'à la vertu même ; Qu'on ne sauroit trop tôt se laisser enflammer; Qu'on n'a reçu du ciel un cœur que pour aimer; atolls Et tous ces lieux communs de morale lubrique 1 115 7 |