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Au bout de ma quarantaine
Cent ivrognes m'ont promis
De venir, la tasse pleine,
Au gîte où l'on m'aura mis :
Pour me faire une hécatombe
Qui signale mon destin,
Ils arroseront ma tombe
De plus de cent brocs de viu.

De marbre ni de porphyre
Qu'on ne fasse mon tombeau ;
Pour cercueil je ne désire
Que le contour d'un tonneau,
Et veux qu'on peigne ma trogne
Avec ces vers à l'entour:

Ci-git le plus grand ivrogne
Qui jamais ait vu le jour.

LE VRAI MANGEUR,

PARODIE DE LA CHANSON PRÉCÉDENTE.

Air: Aussitôt que la lumière. ( N.o 50 ).
AUSSITÔT que la lumière

Vient éclairer mon chevet,
Je commence ma carrière
Par visiter mon buffet,

A chaque mets que je touche
Je me crois l'égal des dieux,
Et ceux qu'épargne ma bouche
Sont dévorés par mes yeux.

Boire est un plaisir trop fade
Pour l'ami de la gaîté:

On boit lorsqu'on est malade;
On mange en bonne santé.
Quand mon délire m'entraîne
Je me peins la Volupté
Assise, la bouche pleine,
Sur les débris d'un pâté.

A quatre heures, lorsque j'entre
Chez le traiteur du quartier,
Je veux que toujours mon ventre
Se présente le premier.

Un jour les mets qu'on m'apporte
Sauront si bien l'arrondir,

Qu'à moins d'élargir la porte
Je ne pourrai plus sortir.

Un cuisinier, quand je dîne,
Me semble un être divin,
Qui, du fond de sa cuisine,
Gouverne le genre humain.

Qu'ici bas on le contemple
Comme un ministre du ciel;
Car sa cuisine est un temple
Dont les fourneaux sont l'autel.

Mais, sans plus de commentaires,
Amis, ne savons-nous pas

Que les noces de nos pères

Finirent par un repas;

Qu'on vit une nuit profonde
Bientôt les envelopper,

Et que nous vinmes au monde
A la suite d'un souper?

Je veux que la mort me frappe
Au milieu d'un grand repas;
Qu'on m'enterre sous la nappe
Entre quatre larges plats,
Et que sur ma tombe on mette
Cette courte inscription:
« Ci-git le premier poëte
» Mort d'une indigestion. »

DÉSAUGIERS.

Chansons de table.

LES LOIS DE LA TABLE.

Air à faire.

POINT
OINT de gêne dans un repas :
Table fût-elle au mieux garnie,

Il faut, pour m'offrir des appas,
Que la contrainte en soit bannie.
Toutes les maisons où j'en voi
Sont des lieux que j'évite :
Amis, je veux être chez moi
Partout où l'on m'invite.

Quand on est sur le point d'honneur,
Quel désagrément on éprouve!
Point de haut-bout; c'est une erreur :
Il faut s'asseoir comme on se trouve ;
Surtout qu'un espace assez grand
En liberté nous laisse :

Même auprès d'un objet charmant,
Comus défend la presse.

Fuyons un convive pressant

Dont les soins importuns nous choquent,

Et qui nous tue en nous versant

Des rasades qui nous suffoquent :

Je veux que chacun sur ce fait
Soit libre sans réserve,

Qu'il soit son maître et son valet,

Qu'à son goût il se serve.

Tout ce qui ne plaît qu'aux regards
A l'utilité je l'immole;

D'un buffet chargé de cent marcs
La montre me paraît frivole :
Je ris tout bas lorsque je vois
L'élégant édifice

D'un surtout qui, pendant six mois,
Rentre entier dans l'office.

Des mets joliment arrangés
Le compartiment méthodique,
Malgré les communs préjugés,
Me paraît sujet à critique :
A quoi cet optique est-il bon?
Dites-moi, je vous prie,
Sert-on pour les yeux, et doit-on
Manger par symétrie ?

Se piquer d'être grand buveur
Est un abus que je déplore :
Fuyons ce titre peu flatteur;
C'est un honneur qui déshonore.

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