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roient pas laissé la malade tranquille, si les visites que M. l'abbé Bossuet lui rendit, ne les eussent contraints de dissimuler leurs malicieuses intentions.

Cette mission de Metz fit de si grands fruits, que M. l'abbé de Chandenier qui la conduisoit, quoique grand et illustre personnage, neveu de M. le cardinal de la Rochefoucauld, ne se croyant pas assez considérable pour remercier ceux qu'il voyoit contribuer le plus à ce bon succès, en écrivit à M. Vincent en ces termes : « J'ai cru, Monsieur, que » vous n'auriez pas désagréable que je vous fasse part » d'une pensée qui m'est venue, qui est que vous » écrivissiez un petit mot de congratulation à mon» seigneur d'Auguste, de l'honneur de sa protection

qui nous est très-favorable; et pareillement une de >> congratulation à M. Bossuet, du secours qu'il nous » donne par les prédications et instructions qu'il » fait, auxquelles Dieu donne aussi beaucoup de » bénédictions (1) ».

(1) L'abbé Bossuet, que les missionnaires avoient associé à leurs travaux, prêcha quelquefois à la cathédrale avec messieurs les abbés de Blampignon et Gédoin : mais il exerça particulièrement son zèle dans l'église paroissiale de la citadelle qui est hors de la ville, où, dit notre Relation, la grâce et la piété triompherent dans les cœurs de M. le gouverneur, de madame la gouvernante, et de tous les officiers et soldats. L'abbé Bossuet, outre les prédications, faisoit dans cette église deux grands catéchismes chaque semaine.

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LETTRE VIII.

A UNE DAME DE CONSIDÉRATION,

SUR LA MORT DE SON MARI (1).

Il présente à sa foi les vérités les plus propres pour la consoler, et les motifs les plus capables de la rassurer sur l'état du défunt.

Je suis bien payé de mon dialogue; puisqu'au lieu de mon entretien avec la dame que vous savez, vous m'en rendez un de la Reine et de vous. Je ne vous ferai pas de remercîmens de la part que vous m'y avez donnée : ce sont, Madame, des effets ordinaires de vos bontés; et j'y suis accoutumé depuis si long

la

(1) Nous ne saurions découvrir quelle est la personne qui fait la matière de cette lettre, Bossuet ne disant rien qui puisse nous la faire connoître. Tout ce que nous pouvons assurer, c'est qu'il s'agit d'un maréchal ou d'un marquis, aussi distingué par ses vertus chrétiennes que par ses exploits militaires. Les premières lettres, M. le M. dont Bossuet se sert pour désigner celui dont il parle, et les victoires qu'il lui attribue, justifient pleinement ce que nous avançons. Quant à l'année où cette lettre a été écrite, nous ne sommes pas plus en état de l'indiquer, parce que Bossuet ne l'a point marquée; mais comme il y parle d'un entretien que dame, à qui il écrit, avoit eu avec la Reine, il est clair que sa lettre est antérieure ou à la mort de la Reine mère, ou à celle de Marie-Thérèse; c'est-à-dire, qu'elle a été écrite ou avant 1666, ou au plus tard avant 1683, époques de la mort des deux reines. Bossuet ayant eu part, comme il le dit, à l'entretien que cette dame avoit eu avec la Reine; et la Reine mère l'honorant d'une affection particulière, nous avons lieu de croire que c'est d'elle dont il s'agit ici : et par conséquent que cette lettre a été écrite immédiatement avant sa mort : le caractère de l'écriture et le style même nous confirment dans cette pensée; c'est pourquoi nous fixons la date de cette lettre vers 1665.

temps, qu'il n'y a plus rien de surprenant pour moi dans toutes les grâces que vous me faites. Je m'estimerois bien heureux, si, pour vous en témoigner ma reconnoissance, je pouvois contribuer quelque chose à soulager les inquiétudes qui vous travaillent depuis si long-temps, touchant l'état de M. le M. Je vois dans ces peines d'esprit une marque d'une foi bien vive, et d'une amitié bien chrétienne. Il est beau, Madame, que dans une affliction si sensible, votre douleur naisse presque toute de la foi que vous avez en la vie future; et que dans la perte d'une personne si chère, vous oubliez tous vos intérêts pour n'être touchée que des siens. Une douleur si sainte et si chrétienne est l'effet d'une ame bien persuadée des vérités de l'Evangile ; et toutes les personnes qui vous honorent doivent être fort consolées que vos peines naissent d'un si beau principe, non-seulement à cause du témoignage qu'elles rendent à votre piété; mais à cause que c'est par cet endroit-là qu'il est plus aisé de les soulager. Car j'ose vous dire, Madame, que vous devez avoir l'esprit en repos touchant le salut de son ame; et j'espère que vous en serez persuadée, si vous prenez la peine de considérer de quelle sorte les saints docteurs nous obligent de pleurer les morts selon la doctrine de l'Ecriture. Je n'ignore pas, Madame, qu'en vous entretenant de ces choses j'attendrirai votre cœur, et que je tirerai des pleurs de vos yeux; mais peutêtre que Dieu permettra qu'à la fin vous en serez consolée, et j'écris ceci dans ce sentiment.

Saint Paul avertit les fidèles « qu'ils ne s'affligent » pas sur les morts, comme les Gentils qui n'ont

» pas d'espérance (1) » ; et il explique, par ce peu de mots, tout ce qui se peut dire sur ce sujet-là. Car il est aisé de remarquer qu'il ne veut pas entièrement supprimer les larmes ; il ne dit point: Ne vous affligez pas; mais, Ne vous affligez pas comme les Gentils qui n'ont pas d'espérance; et c'est de même que s'il nous disoit : Je ne vous défends pas de pleurer; mais ne pleurez pas comme ceux qui croient que la mort leur enlève tout, et que l'ame se perd avec le corps affligez-vous avec retenue, comme vous faites pour vos amis qui vont en voyage, et que vous ne perdez que pour un temps. De là, Madame, nous devons entendre que la foi nous oblige de bien espérer dé ceux qui meurent dans l'Eglise et dans la communion de ses sacremens; et qu'encore qu'il soit impossible d'avoir une certitude entière en ce monde, il y a tant de fortes raisons de les croire en bon état, que le doute qui nous en reste ne nous doit pas extrêmement affliger. Autrement l'apôtre saint Paul, au lieu de consoler les fidèles, auroit redoublé leur douleur. Car s'il n'avoit dessein de nous obliger à faire que notre espérance l'emportât de beaucoup par-dessus la crainte, n'est-il pas véritable, Madame, que ce grand homme ne devoit pas dire : Ne vous affligez pas comme les Gentils; mais plutôt, Affligezvous plus que les Gentils, et ne vous consolez pas comme eux? Il leur est aisé de se consoler; puisqu'ils croient que les morts ne sont plus en état de souffrir. Mais à vous il n'en est pas de la sorte; puisque la vérité vous a appris qu'il y a un lieu de tour

(1) 1. Thess. IV, 12.

mens, à comparaison desquels tous ceux de cette vie ne sont qu'un songe.

:

Il est bien certain, Madame, qu'à prendre les choses de cette sorte, les Chrétiens ayant beaucoup plus à craindre, doivent être par conséquent plus sensibles à la mort des leurs néanmoins il est remarquable que saint Paul ne les reprend pas de ce qu'ils se consolent; mais il les reprend de ce qu'ils s'affligent comme les Gentils, qui n'ont pas d'espérance et nous pouvons assurer, sans doute, qu'il n'auroit jamais parlé de la sorte, s'il n'eût vu dans la vérité éternelle, dont son esprit étoit éclairé, qu'il y a sans comparaison plus de sujet de bien espérer, qu'il n'y a de raison de craindre.

C'est ce que saint Paul veut que nous pratiquions pour les morts: mais il ne faut pas abuser de cette doctrine, ni, sous le prétexte de cette espérance qu'il nous ordonne d'avoir pour eux, flatter la confiance folle et téméraire de quelques Chrétiens malvivans. Voyons donc, s'il vous plaît, Madame, quels sont ces bienheureux morts qui laissent tant d'espérance à ceux qui survivent. Ce sont, sans doute, ceux qui meurent avec les marques de leur espérance; c'est-à-dire, dans la participation des saints sacremens, et qui rendent les derniers soupirs entre les bras de l'Eglise, ou plutôt entre les bras de Jésus-Christ même, en recevant son corps adorable. De tels morts, Madame, ne sont pas à plaindre; c'est leur faire injure que de les appeler morts; puisqu'on les voit sortir de ce monde au milieu de ces remèdes sacrés, qui contiennent une semence de

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