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qui assurément, loin de scandaliser le peuple, l'a édifié.

J'ai toujours eu dans l'esprit qu'en expliquant l'autorité du saint Siége, de manière qu'on en ôte ce qui la fait plutôt craindre que révérer à certains esprits; cette sainte autorité, sans rien perdre, se montre aimable à tout le monde, même aux héréti ques et à tous ses ennemis.

Je dis que le saint Siege ne perd rien dans les explications de la France; parce que les Ultramontains même conviennent que dans les cas où elle met le concile au-dessus, on peut procéder contre le Pape d'une autre manière, en disant qu'il n'est plus Pape: de sorte qu'à vrai dire, nous ne disputons pas tant du fond que de l'ordre de la procédure; et il ne seroit pas difficile de montrer que la procédure que nous établissons, étant restreinte, comme j'ai fait, aux cas du concile de Constance, est non-seulement plus canonique et plus ecclésiastique; mais encore plus respectueuse envers le saint Siége, et plus fa

vorable à son autorité.

Mais ce qu'il y a de principal, c'est que les cas auxquels la France soutient le recours du Pape au concile sont si rares, qu'à peine en peut-on trouver de vrais exemples en plusieurs siècles: d'où il s'ensuit que c'est servir le saint Siége, que de réduire les disputes à ces cas; et c'est, en montrant un remède à des cas si rares, en rendre l'autorité perpétuellement chère et vénérable à tout l'univers.

Et pour dire un mot en particulier de la temporalité des rois, il me semble qu'il n'y a rien de plus odieux que les opinions des Ultramontains, ni qui

puisse apporter un plus grand obstacle à la conversion des rois hérétiques ou infidèles. Quelle puissance souveraine voudroit se donner un maître, qui lui pût par un décret ôter son royaume ? Les autres choses que nous disons en France ne servent pas moins à préparer les esprits au respect dû au saint Siége, et c'est, encore une fois, servir l'Eglise et le saint Siége, que de les dire avec modération. Seulement il faut empêcher qu'on n'abuse de cette doctrine; et j'ai tâché de le faire autant que j'ai pu : ce qui doit obliger Rome du moins au silence, et à nous laisser agir à notre mode; puisqu'au fond nous voulons le bien...

Je demande pardon à votre Eminence de la longueur de cette lettre. Mais quoiqu'elle fasse assez ces réflexions, et de beaucoup meilleures, et par elle-même, j'ai cru que s'agissant ici de mes intentions plus que de toute autre chose, je pouvois prendre la liberté de les lui expliquer. Au surplus, nous autres qui sommes de loin, nous discourons à notre mode et souvent en l'air. Votre Eminence, qui voit tout de près et à fond, sait précisément ce qu'il faut dire, etc.

A Paris, ce 1er décembre 1681.

LETTRE XCII.

A M. DIROIS, DOCTEUR DE SORBONNE.

Sur les différens objets qui devoient se traiter dans l'Assemblée actuelle du Clergé de France.

J'AI reçu, Monsieur, dans votre lettre du 4, des éclaircissemens considérables sur la matière de l'épiscopat.

Je conviens avec vous qu'il y a beaucoup de distinction à faire entre la puissance qu'ont les évêques de juger de la doctrine, et celle qu'ils ont de juger leurs confrères en première instance l'une est fondée sur leur caractère, et en est inséparable de droit divin; l'autre est une affaire de discipline, qui a reçu de grands changemens.

J'ai toujours jugé, comme vous, que Gerson avoit mal parlé (1), et nous avons repris M. Gerbais de l'avoir suivi. La doctrine de Gerson n'a rien de con

(1) Il paroîtroit que ce que Bossuet improuvoit ici dans Gerson, étoit d'avoir cru que les évêques doivent nécessairement et de droit divin être jugés par le concile de la province, en première instance, et que l'on reprenoit également M. Gerbais comme ayant suivi en cela ce docteur. La distinction que fait ici Bossuet, entre la double puissance qu'ont les évêques de juger de la doctrine et de juger leurs confrères, porteroit à croire que tel est le point que le prélat a ici en vue. Mais il n'avoit garde de reprendre ni Gerson, ni Gerbais, dans ce qu'ils disent de la puissance qu'ont les évêques de juger de la doctrine; puisqu'il reconnoît que ce pouvoir est fondé sur leur caractère, et en est inséparable de droit divin.

forme à l'ancienne tradition, et c'est une pure imagination de ce docteur.

Le droit qu'ont les évêques de juger des matières de doctrine est toujours sans difficulté, sauf la correction du Pape : et même en certains cas extraordinaires, dans des matières fort débattues, et où il seroit à craindre que l'épiscopat ne se divisât, le Pape, pour prévenir ce mal, peut s'en réserver la connoissance; et le saint Siége a usé avec beaucoup de raison de cette réserve, sur les matières de la grâce.

Quant au jugement des évêques, j'ai toujours été convaincu que le concordat supposoit que leur déposition étoit réservée au Pape. Le chapitre de Concubinariis m'a toujours paru le supposer; et la discipline en est si constante depuis six cents ans, qu'à peine peut-on trouver des exemples du contraire durant tant de siècles. Mais l'assemblée s'en tiendra à la délibération du clergé de l'assemblée de 1650, et à la protestation qui fut faite alors, semblable au fond à celle que le cardinal de Lorraine avoit faite à Trente sur le chapitre Causæ criminales (1).

(1) Le chapitre Causæ criminales, qui détermine la manière dont les évêques doivent être jugés, est ainsi conçu : « Que le souverain » Pontife seul connoisse des causes criminelles, qui seroient in» tentées contre des évêques, même pour raison d'hérésie, ce qu'à » Dieu ne plaise, et qui exigeroient la déposition ou la privation » de leur état, et que lui seul les décide. Si la cause est de nature » à demander absolument que l'on nomme des commissaires hors » de la Cour Romaine, qu'on ne la confie qu'à des métropolitains » ou des évêques choisis par le Pape. Que cette commission soit » spéciale, signée de la main du saint Père, et qu'elle n'attribue

Sur ela nous pouvons prétendre autre chose que de maintenir notre droit, en attendant qu'on puisse convenir d'une manière équitable et fixe de juger les évêques; les papes n'y ayant rien laissé de cer

>> aux juges que l'instruction du procès, qu'ils enverront aussitôt >> au Pape, en lui réservant le jugement définitif ». Concil. Trident. sess. XXIV, de Reformat. cap. v.

Le cardinal de Lorraine, lorsqu'on lut le décret que nous venons de rapporter, déclara que dans la congrégation du jour précédent, ce décret avoit été conçu de manière qu'il ne nuisoit point aux priviléges et aux droits du royaume, ainsi qu'aux constitutions des anciens conciles: ut Christianissimi Franciæ regni privilegiis, juribus, et sacris constitutionibus nihil præjudicii adferat; conditions qu'il désiroit beaucoup pour l'approuver : et il demanda, tant en son nom, qu'en celui des évêques de France, que sa Déclaration fût inscrite dans les actes du concile. Les ambassadeurs du Roi trèschrétien s'exprimèrent plus clairement, et dirent sans détour qu'ils ne pouvoient approuver le chapitre qui commençoit par ces mots, Causæ criminales, attendu qu'il donnoit atteinte aux droits du Roi et aux priviléges de l'Eglise Gallicane, qui ne permettent pas qu'aucun Français, même quand il y consentiroit, puisse être traduit hors du royaume, bien loin qu'il puisse y être condamné : Caput quod incipit Causæ criminales, non placet; adversatur enim antiquissimo juri Regis, et Ecclesiæ Gallicanæ privilegiis, quibus cavetur ne quis, etiam volens, extra regnum à quoquam, ex quácumque causá, in jus vocari, nedum condemnari possit. Ce sont ces défauts qui ont empêché la France de recevoir indéfiniment les décrets du concile de Trente: et quoique le Clergé ait fait en différens temps des démarches pour obtenir la publication de, ce concile, il a cependant toujours déclaré que ce seroit à condition que les libertés de l'Eglise gallicane n'en souffriroient aucun tørt. C'est ce que porte en particulier l'arrêté qu'il fit lors de l'assemblée des Etats généraux tenus à Paris en 1614. « Le Roi, dit le -» Clergé, sera très-humblement supplié d'ordonner que le saint » concile de Trente soit publié et gardé en son royaume, sitôt » arès qu'il aura plu à Sa Sainteté d'agréer que ladite publica>>tion soit faite sans préjudice des droits de Sa Majesté et de sa >> couronne, paix, repos, et tranquillité de son Etat, des fran» chises, libertés et immunités de l'Eglise Gallicane »>.

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