Images de page
PDF
ePub

On voit donc bien où l'auteur en vouloit venir : c'étoit à la prétendue démonstration de la nécessité de l'incarnation (44), pour procurer à la justice de Dieu une satisfaction, dont il n'étoit pas possible qu'elle se passât; et c'est là que je trouve trois erreurs (45) la première, que Dieu ne puisse pas laisser les hommes dans la masse de perdition (46): la seconde, qu'il ait besoin de la satisfaction infinie de Jésus-Christ pour les damnés, sans qu'on en puisse excepter les démons (47); en sorte qu'il ne

satisfaire à l'ordre et à la justice divine. Il faut voir ce qu'on a dit, dans la 31. remarque, sur cette prétendue infinité de peines.

(44) J'ai déjà dit que ce n'étoit point là mon dessein. Mais enfin je veux que ce le soit : est-il si criminel?

(45) Oui, dit l'illustre prélat : « C'est là que je trouve >> trois erreurs ». C'est être bien libéral d'erreurs : mais encore voyons donc quelles elles sont?

e

(46) Mais j'ai fait voir, dans la 37. remarque, que cette proposition n'est nullement comprise dans la nécessité de l'incarnation.

(47) Est-il possible qu'on ne veuille pas voir qu'il y a une extrême différence entre satisfaire pour la faute d'un criminel, et satisfaire en faveur et à la décharge du criminel; entre satisfaire pour l'amour de la personne offensée, et satisfaire pour l'amour du coupable; entre offrir à Dieu une satisfaction par un pur zèle de la justice, et vouloir que cette satisfaction soit encore favorable aux criminels? Cette différence saute aux yeux; et il est, ce me semble, très-aise à comprendre qu'il se peut très-bien faire que Dieu ait besoin de la satisfaction infinie de Jésus-Christ pour les péchés des damnés, sans que pour cela on puisse dire que Jésus-Christ ait satisfait

pût

pût pas ne pas satisfaire infiniment pour ceux à qui positivement il ne vouloit pas appliquer sa satisfaction infinie.

La troisième erreur, où l'on veut venir par les deux autres, est que, supposé le péché ou des démons ou des hommes, Dieu soit autant nécessité d'incarner son Fils (48), que de s'aimer lui-même; en sorte que l'œuvre de la plus grande miséricorde et de l'amour le plus gratuit, soit en même temps l'œuvre de la plus grande et de la plus inévitable nécessité.

en leur faveur, et sans qu'il ait eu nulle bonne volonté pour eux.

(48) Mais ce n'est pas là une troisième erreur comprise dans la proposition : ce n'est que la proposition même en question. Voici néanmoins quelque chose de différent qu'on y oppose.

C'est, dit l'illustre prélat, qu'à ce compte il faudra que « l'œuvre de la plus grande miséricorde et de l'a» mour le plus gratuit, soit en même temps l'œuvre de » la plus grande et de la plus inévitable nécessité ».

Mais ce qu'on regarde là comme une contradiction, loin d'être une erreur, est ce qui fait une partie de la grandeur du mystère : en voici le dénouement. Le mystère de l'Incarnation, regardé par rapport à Dieu, est, dans cette supposition, d'une inévitable nécessité; parce que la justice, la loi éternelle, l'ordre inviolable le demande mais il est en même temps l'œuvre de la plus grande miséricorde, et de l'amour le plus gratuit; parce que Dieu a bien voulu que les hommes y eussent part, et que Jésus-Christ a bien voulu répandre son sang, pour retirer de la damnation de misérables et d'indignes pécheurs, pouvant justement les y laisser.

:

BOSSUET. XXXVII.

28

Je condamne hardiment ces trois propositions (49), comme inouies dans l'Eglise, et comme contraires à la tradition et à la théologie de nos pères.

Quand l'auteur se voudra réduire à soutenir seulement que Dieu, pour l'amour de Jésus-Christ, punit les damnés, et même, si l'on veut, les démons, au-dessous de leurs mérites (50), selon mes Jumières présentes je ne m'y opposerai pas. Mais j'espère aussi qu'il voudra bien corriger cette proposition, « que les satisfactions de Jésus-Christ » soient un supplément de celle des damnés » car ce terme de supplément est dur et odieux, pour deux raisons l'une, à cause que c'est mal parler de la satisfaction de Jésus-Christ, qui pourroit acquitter la dette entière, de la faire considérer comme un supplément : l'autre est, mon révérend Père, que, quoi que vous puissiez dire, ce qui est regardé comme un supplément ne fait qu'un seul et même paiement total avec la somme, dont il supplée le défaut. Avec ces deux correctifs, j'accorde sur ce sujet tout ce qu'il vous plaira (51). Mais si je devine

(49) On espère que l'illustre prélat voudra bien lever ces censures, lorsqu'il se sera donné la peine de lire nos éclaircissemens.

(50) Je vous ai déjà dit, Monseigneur, que bien loin d'avoir peine à me réduire à cette proposition, je n'en demande pas tant; et que toute ma peine en m'y réduisant, seroit d'en dire peut-être trop, et toujours plus que je ne voudrois.

(51) Nous voilà donc, Monseigneur, parfaitement d'accord sur cette proposition, qui sembloit d'abord m'éloigner de votre Grandeur par de si prodigieux espaces.

bien, vous ne vous soucierez guère en cela de ma complaisance; puisque vous n'y trouverez pas votre incarnation démontrée, qui est le but où vous ten→ dez avec votre ami, et où je puis bien vous assurer que vous ne ferez jamais venir les orthodoxes (52).

Que si vous me demandez maintenant, d'où vient donc que Dieu a pris cette voie de la satisfaction de Jésus-Christ : quand je diraï que je n'en sais rien, et que j'aime mieux demeurer court sur cette demande, que d'y chercher des réponses contraires à l'analogie de la foi (53), il faudra en demeurer

Car assurément le mot de supplément ne me tient nullement au cœur : et quoique, après les explications que je lui ai données, dans la Démonstration et dans la lettre qui l'accompagnoit, il ne doive faire nulle difficulté ; néanmoins je vous l'abandonne, n'étant nullement d'humeur à disputer d'un mot.

(52) Je me suis déjà expliqué là-dessus; et assurément les orthodoxes ne devroient avoir nulle peine à se rendre à un sentiment qui paroît si avantageux à la religion, et d'une si grande force contre les libertins et les Sociniens.

(53) Est-il possible qu'il faille regarder comme contraire à l'analogie de la foi, de dire qu'il n'y a eu qu'un hommeDieu qui ait pu satisfaire en rigueur à la justice divine, et nous réconcilier avec Dieu ? Et n'est-ce pas ce que saint Paul insinue en tant d'endroits de son Epître aux Hébreux, et ce qu'il marque surtout par ces paroles (*): Talis enim decebat ut nobis esset Pontifex, sanctus, innocens, impollutus, segregatus à peccatoribus, et excelsior coelis factus, etc.

Le malentendu de tout cela, c'est que dans l'incarna(*) Hebr. vII. 26.

là. Je crois néanmoins pouvoir trouver dans les Ecritures et dans la doctrine des saints, un dénouement plus solide et plus simple de toutes les questions de la satisfaction de Jésus-Christ. Mais ce n'est pas de quoi il s'agit, et je ne veux pas m'engager dans cette matière: tout ce que j'en puis dire en trois mots, c'est que quiconque croira trouver dans les satisfactions de Jésus-Christ les règles d'une justice étroite, demeurera court en deux endroits essentiels : l'un, quand il faudra expliquer comment Jésus-Christ a satisfait à la seconde personne de la Trinité (54), c'est-à-dire, à lui-même; et l'autre,

tion on ne veut songer qu'à l'intérêt de l'homme, et point du tout aux intérêts de Dieu, ni de sa justice. Si cependant on vouloit examiner les saintes Ecritures sous ces deux regards, on trouveroit que quelque soin qu'elles aient eu de nous rendre l'incarnation aimable du côté de notre intérêt, elles n'en ont pas moins eu de nous la rendre vénérable du côté de la gloire de Dieu, et de l'intérêt de sa justice. Gloria in excelsis Deo, et in terrå pax hominibus bonæ voluntatis : voilà les deux fins de l'incarnation nettement marquées par les anges, qui eurent ordre d'en porter la nouvelle aux hommes: premièrement, la réparation de la gloire de Dieu, avant toutes choses, Gloria Deo; et puis, la réconciliation des hommes, Pax hominibus.

(54) On ne voit pas qu'il y ait-là une fort grande difficulté, ni que rien de cela empêche que la satisfaction de Jésus-Christ ne soit parfaitement étroite. Car premiè rement, comme le péché est opposé à la sainteté de Dieu et à l'ordre, qui, comme nous l'avons dit dans la Démonstration, consiste dans les rapports qui se trouvent entre les perfections comprises dans l'essence divine, il

« PrécédentContinuer »