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1'Eglise les plaisirs qui étoient bannis de la synagogue: quoi qu'il en soit, c'est un grand exemple pour les chrétiens, que celui qu'on voit dans les Juifs; et c'est une honte au peuple spirituel, de flatter les sens par des joies que le peuple charnel ne connoissoit pas.

XXI. Réflexion

sur le Canti

que des Cantiques et sur

le chant de l'Eglise.

Il n'y avoit parmi les Juifs qu'un seul poème dramatique, et c'est le Cantique des Cantiques. Ce cantique ne respire qu'un amour céleste et cependant, parce qu'il y est représenté sous la figure d'un amour humain, on défendoit la lecture de ce divin poème à la jeunesse : aujourd'hui on ne craint point de l'inviter à voir soupirer des amans pour le plaisir seulement de les voir s'aimer, et pour goûter les douceurs d'une folle passion. Saint Augustin met en doute, s'il faut laisser dans les églises un chant harmonieux, ou s'il vaut mieux s'attacher à la sévère discipline de saint Athanase et de l'église d'Alexandrie, dont la gravité souffroit à peine dans le chant ou plutôt dans la récitation des Psaumes, de foibles inflexions (1): tant on craignoit, dans l'Eglise, de laisser affoiblir la vigueur de l'ame par la douceur du chant. Je ne rapporte pas cet exemple pour blâmer le parti qu'on a pris depuis, quoique bien tard, d'introduire les grandes musiques dans les églises pour ranimer les fidèles tombés en langueur, ou relever à leurs yeux la magnificence du culte de Dieu, quand leur froideur a eu besoin de ce secours. Je ne veux donc point condamner cette pratique nouvelle par la

(1) Conf. lib. x, cap. xxx11; tom. 1, col. 187.

BOSSUET. XXXVII.

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XXII.

On vient à saint Tho

tion de la

doctrine de ce saint.

simplicité de l'ancien chant, ni même par la gravité de celui qui fait encore le fond du service divin je me plains qu'on ait si fort oublié ces saintes délicatesses des Pères, et que l'on pousse si loin les délices de la musique, que loin de les craindre dans les cantiques de Sion, on cherche à se délecter de celles dont Babylone anime les siens. Le même saint Augustin reprenoit des gens qui étaloient beaucoup d'esprit à tourner agréablement des inutilités dans leurs écrits : Et, leur disoit-il (1), je vous prie «< qu'on ne >> rende point agréable ce qui est inutile: Ne fa» ciant delectabilia quæ sunt inutilia » : maintenant on voudroit permettre de rendre agréable ce qui est nuisible; et un si mauvais dessein dans la Dissertation n'a pas laissé de lui concilier quelque faveur dans le monde.

Il est temps de la dépouiller de l'autorité qu'elle. a prétendu se donner par le grand nom de saint mas: exposi- Thomas et des autres saints. Pour saint Thomas, on oppose deux articles de la question de la modestie extérieure (2); et on dit qu'il n'y a rien de si exprès que ce qu'il enseigne en faveur de la comédie. Mais d'abord il est bien certain que ce n'est pas ce qu'il a dessein de traiter. La question qu'il propose dans l'article second, est à savoir s'il y a des choses plaisantes, joyeuses, ludicra, jocosa, qu'on puisse admettre dans la vie humaine, tant en actions qu'en paroles, dictis seu factis : en d'autres termes, s'il y a des jeux, des divertissemens, des récréations innocentes:

(1) De Anim. et ejus orig. lib. 1, n.3; tom. x, col. 339.
(2) 2.
2.2. q. CLXVш, art. 2 et 3.

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:

et il assure qu'il y en a, et même quelque vertu à bien user de ces jeux, ce qui n'est point révoqué en doute et dans cet article il n'y a pas un seul mot de la comédie: mais il y parle en général des jeux nécessaires à la récréation de l'esprit, qu'il rapporte à une vertu qu'Aristote a nommée eutrapelia (1), par un terme qu'il nous faudra bientôt expliquer.

:

Au troisième article, la question qu'il examine est à savoir s'il peut y avoir de l'excès dans les divertissemens et dans les jeux et il démontre qu'il peut y en avoir, sans dire encore un seul mot de la comédie au corps de l'article, en sorte qu'il n'y a là aucun embarras.

Ce qui fait la difficulté, c'est que saint Thomas, dans ce même article, se fait une objection, qui est la troisième en ordre, où, pour montrer qu'il ne peut y avoir d'excès dans les jeux, il propose l'art des baladins, histrionum, histrions, comme le traduisent quelques-uns de nos auteurs, qui ne trouvent point dans notre langue de terme assez propre pour exprimer ce mot latin; n'étant pas même certain qu'il faille entendre par-là les comédiens. Quoi qu'il en soit, saint Thomas s'objecte à lui-même, que dans cet art, quel qu'il soit et de quelque façon qu'on le tourne, on est dans l'excès du jeu, c'est-à-dire, du divertissement, puisqu'on y passe la vie, et néanmoins la profession n'en est pas blâmable. A quoi il répond, qu'en effet elle n'est pas blâmable pourvu qu'elle garde les règles qu'il lui prescrit,

(1) De Mor. lib. 1v, cap. XIV.

Première et

<< qui sont de ne rien dire et ne rien faire d'illi» cite, ni rien qui ne convienne aux affaires et » au temps » : et voilà tout ce que l'on tire de ce saint docteur en faveur de la comédie.

XXIII. Mais afin que la conclusion soit légitime, il seconde ré- faudroit en premier lieu qu'il fût bien certain, flexion sur la que sous le nom d'histrions, saint Thomas eût doctrine de entendu les comédiens : et cela, loin d'être cer

saint Tho

mas.

tain, est très-faux; puisque sous ce mot d'histrions il comprend manifestement un certain joueur, joculator, qui fut montré en esprit à saint Paphnuce, comme un homme qui l'égaloit en vertu. Or, constamment ce n'étoit pas un comédien, mais un simple « joueur de flûte qui » gagnoit sa vie à cet exercice dans un village, in » vico » comme il paroît par l'endroit de la vie de ce saint solitaire qui est cité par saint Thomas (1). Il n'y a donc rien, dans ce passage, qui favorise les comédiens au contraire, on peut remarquer que Dieu voulant faire voir à un grand saint que dans les occupations les plus vulgaires il s'élevoit des ames cachées, d'un rare mérite, il ne choisit pas des comédiens, dont le nombre étoit alors si grand dans l'empire, mais un homme qui gagnoit sa vie à jouer d'un instrument innocent: qui encore se trouva si humble, qu'il se croyoit le dernier de tous les pécheurs, à cause, dit-il, que de la vie des voleurs il avoit passé à cet état honteux, fœdum artificium; comme il l'appeloit: non qu'il y eût rien de vicieux, mais parce que la flûte étoit parmi les

(1) Vit. Patr. Ruf. in Paphn. cap. xvi. Hist. Laus. c. LXIII.

anciens un des instrumens les plus méprisés : à quoi il faut ajouter, qu'il quitta ce vil exercice aussitôt qu'il eut reçu les instructions de saint Paphnuce et c'est à quoi se réduit cette preuve si décisive, qu'on prétend tirer de saint Thomas à l'avantage de la comédie.

:

Secondement, lorsqu'il parle dans cet endroit du plaisir que ces histrions donnoient au peuple en paroles et en actions, il ne sort point de l'idée des discours facétieux accompagnés de gestes plaisans ce qui est encore bien éloigné de la comédie. On n'en voit guère en effet, et peutêtre point, dans le temps de ce saint docteur. Dans son livre sur les Sentences, il parle luimême des «< jeux du théâtre comme de jeux qui >> furent autrefois ludi qui in theatris ageban» tur(1) » : et dans cet endroit, non plus que dans tous les autres où il traite des jeux de son temps, les théâtres ne sont pas seulement nommés. Je ne les ai non plus trouvés dans saint Bonaventure son contemporain. Tant de décrets de l'Eglise et le cri universel des saints Pères les avoit décrédités, et peut-être renversés entièrement. Ils se relevèrent quelque temps après sous une autre forme, dont il ne s'agit pas ici mais comme l'on ne voit pas que saint Thomas en ait fait aucune mention, l'on peut croire qu'ils n'étoient pas beaucoup en vigueur de son temps, où l'on ne voit guère que des récits ridicules d'histoires pieuses, ou en tout cas certains jongleurs, joculatores, qui divertissoient le peuple,

(1) In 4. dist. XVI, q. IV, art. 2. C..

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