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rire; ou, si l'on veut, bouffonnerie : saint Paul l'appelle uτpanelia, eutrapelia (1), et le joint aux paroles sales ou déshonnêtes, et aux paroles folles ; turpitudo, stultiloquium. Ainsi donc, selon cet apôtre, les trois mauvais caractères du discours, c'est d'être déshonnête, ou d'être fou, léger, inconsidéré, ou d'être plaisant et bouffon, si on le veut ainsi traduire : car tous ces mots ont des sens qu'il est malaisé d'expliquer par des paroles précises. Et remarquez que saint Paul nomme un tel discours de son plus beau nom : car il pouvoit l'appeler Baμoloxíz, (bomolochia) qui est le mot propre que donnent les Grecs, et qu'Aristote a donné lui-même à la bouffonnerie, scurrilitas (2). Mais saint Paul, après avoir pris la plaisanterie sous la plus belle apparence, et l'avoir nommée de son plus beau nom, la range parmi les vices: non qu'il soit peut-être entièrement défendu d'être quelquefois plaisant; mais c'est qu'il est malhonnête de l'être toujours, et comme de profession. Saint Thomas, qui n'étoit pas attentif au grec, n'a pu faire cette réflexion sur l'expression de saint Paul; mais elle n'a pas échappé à saint Chrysostôme, qui a bien su décider, que le terme d'eutrapelos signifie un homme qui se tourne aisément de tous côtés (3); qui est aussi l'étymologie qu'Aristote donne à ce mot mais ce philosophe le prend en bonne part, au lieu que saint Chrysostôme regarde la mobilité de cet homme

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(1) Eph. v. 4. (2) Ibid. (3) Hom. vi in Matt. n. 7; tom. VII, pag. 99. Hom. xvi in Ep. ad Eph. n. 3; tom. xx, pag. 125.

qui se revêtit de toutes sortes de formes pour divertir le monde, ou le faire rire, comme un caractère de légèreté qui n'est pas digné d'un chrétien (1).

C'est ce qu'il répète cent fois; et il le prouve par saint Paul, qui dit que ces choses ne conviennent pas: car, où la Vulgate a traduit: scurrilitas quæ ad rem non pertinet; en rapportant ces derniers mots à la seule plaisanterie; le grec porte que toutes ces choses, dont l'apôtre vient de parler, ne conviennent pas; et c'étoit ainsi que portoit anciennement la Vulgate, comme il paroît

par

saint Jérôme, qui y lit, non pertinent. Quoi qu'il en soit, saint Chrysostôme explique que ces trois sortes de discours, le déshonnête, celui qui est fou, et celui qui est plaisant ou qui fait rire, ne conviennent pas à un chrétien: et il explique, qu'ils ne nous regardent point; qu'ils ne sont point de notre état, ni de la vocation du christianisme. Il comprend sous ces discours qui ne. conviennent pas à un chrétien, même ceux qu'on appeloit parmi les Grecs et les Latins ça, urbana: par où ils expliquoient les plaisanteries les plus polies. << Que vous servent, dit-il, ces

>>

politesses, asteia; si ce n'est que vous faites » rire » ? Et un peu après : « Toutes ces choses >> qui ne nous sont d'aucun usage, et dont nous » n'avons que faire, ne sont point de notre état. Qu'il n'y ait donc point parmi nous de parole >>oiseuse » où il fait une allusion manifeste à la sentence de Jésus-Christ qui défend la parole (1) Chrysost. ubi sup.

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XXXII.

Passages de saint Am

oiseuse ou inutile (1). Ce Père fait voir les suites fâcheuses de ces inutilités, et ne cesse de répéter que les discours qui font rire, quelque polis qu'ils semblent d'ailleurs, asteia, sont indignes des chrétiens, s'étonnant même, et déplorant qu'on ait pu les attribuer à une vertu (2). Il est clair qu'il en veut à Aristote, qui est le seul, où l'on trouve cette vertu que saint Chrysostôme ne vouloit pas reconnoître. On a déjà vu que c'est d'Aristote que ce Père a pris l'étymologie de l'eutrapelie: ainsi, en toutes manières, il le regardoit dans cette homélie; et ceux qui connoissent le génie de saint Chrysostôme, dont tous les discours sont remplis d'une érudition cachée sur les anciens philosophes, qu'il a coutume de reprendre sans les nommer, n'en douteront pas. Voilà donc ce qu'il a pensé de la vertu d'eutrapelie peu connue des chrétiens de ces premiers temps. Théophylacte et OEcuménius (3) ne font que l'abréger selon leur coutume, et n'adoucissent par aucun endroit la doctrine de leur maître.

Les Latins ne sont pas moins sévères. Saint Thomas cite un passage de saint Ambroise, qu'il broise et de a peine à concilier avec Aristote. Il est tiré de son livre des Offices (4), où ce Père traite à peu près les mêmes matières que Cicéron a traitées dans le livre de même titre, où ayant trouvé les préceptes que donne cet orateur, et les autres philosophes du siècle, sæculares viri, sur ce

saint Jérôme sur les discours qui font rire.

(1) Matt. XII. 36. (2) Ibid. (3) In Epist. ad Eph. cap. v. — (4) De Off. Minist. lib. 1, cap. xx111, n. 102; tom. 11, col. 28, 29.

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qu'on appelle joca, railleries et plaisanteries, mots qui font rire; commence par observer qu'il << n'a rien à dire sur cette partie des préceptes >> et de la doctrine des gens du siècle; de jocandi » disciplina: c'est un lieu, dit-il, à passer pour » nous, nobis prætereunda »; et qui ne regarde pas les chrétiens: parce qu'encore, continue-t-il, qu'il y «< ait quelquefois des plaisanteries hon» nêtes et agréables; licet interdum joca honesta » ac suavia sint; ils sont contraires à la règle de l'Eglise ab ecclesiasticâ abhorrent reguld » : à cause, dit-il, « que nous ne pouvons pratiquer » ce que nous ne trouvons point dans les Ecri>>tures: Quæ in Scripturis sanctis non reperi» mus, ea quemadmodum usurpare possumus »? En effet, il est bien certain qu'on ne voit dans les saints livres aucune approbation ni aucun exemple autorisé de ces discours qui font rire: en sorte que saint Ambroise, après avoir rapporté ces paroles de notre Seigneur : Malheur à vous qui riez, s'étonne que les chrétiens puissent « chercher des sujets de rire et nos ridendi ma» teriam requirimus, ut hic ridentes illic flea» mus »? où l'on pourroit remarquer, qu'il défend plutôt de les chercher avec soin, que de s'en laisser récréer quand on les trouve : mais cependant il conclut « qu'il faut éviter non-seu>> lement les plaisanteries excessives, mais encore » toute sorte de plaisanteries: non solùm pro» fusos, sed omnes etiam jocos declinandos ar » bitror»: ce qui montre que l'honnêteté qu'il

leur attribue est une honnêteté selon le monde, qui n'a aucune approbation dans les Ecritures, et qui, dans le fond, comme il dit, est opposée à la règle.

Saint Thomas, pour adoucir ce passage si contraire à l'eutrapélie d'Aristote, dit que ce Père a voulu exclure la plaisanterie, non point de la conversation, mais seulement de la doctrine sacrée, à doctrina sacrá (1) par où il entend toujours ou l'Ecriture, ou la prédication, ou la théologie; comme si ce n'étoit qu'en de tels sujets que la plaisanterie fût défendue : mais on a pu voir que ce n'est pas cette question que saint Ambroise propose, et on sait d'ailleurs, que par des raisons qui ne blessent pas le profond savoir de saint Thomas, il ne faut pas toujours attendre de lui une si exacte interprétation des passages des saints Pères, surtout quand il entreprend de les accorder avec Aristote, dont il est sans doute qu'ils ne prenoient pas les idées.

On pourroit conjecturer avec un peu plus de vraisemblance, que saint Ambroise ne regardoit en ce lieu que les ecclésiastiques, conformément au titre du livre rétabli dans l'édition des Bénédictins en cette forme: De Officiis Ministrorum. Mais les paroles de ce Père sont générales: ses preuves portent également contre tous les chrétiens, dont il explique par tout son livre les devoirs communs. Il est vrai que de temps en temps, et deux ou trois fois, il fait remarquer aux mi

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