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cher qu'il fût son ennemi; et cependant il continua toujours ses menées. Il ne cessa de lui rendre de mauvais offices auprès du petit nombre de personnes qu'il voyait. Il attaquait à-la-fois son esprit et sa probité; il engagea même un homme attaché au service du roi, à lui écrire une lettre qui lui annonçait mille choses à craindre, s'il restait plus long-tems à Berlin.

M. de la Beaumelle ne fut point effrayé de ces avis, qu'il jugeait faux ; ce qui lui fut confirmé par plusieurs personnes qui lui dirent que le monarque n'était point indisposé contre lui. M. de Maupertuis fut un de ceux qui l'assurèrent le plus qu'il n'avait rien à craindre: il lui ménagea même l'occasion de se justifier pleinement auprès du prince royal de Prusse et de la reine mère, de quelques traits calomnieux qu'on avait répandus contre lui; et l'amitié qu'il lui témoigna dans cette circonstance, fut ce qui envenima le

plus la haine de M. de Voltaire, qui ne cessa, dès ce moment, de le persécuter de toutes les manières. Il poussa les choses jusqu'à dire, dans plusieurs maisons, qu'il n'était point Français ; que s'il l'était, il avait sans doute été chassé de France; que s'il n'avait pas été chassé de France, il l'avait été de Danemarck; que s'il ne l'avait pas été de Danemarck, il était du moins un mauvais sujet. Quand on raisonne ainsi, on trouve toujours des griefs à imputer aux gens. Enfin, M. de la Beaumelle, dégoûté d'un séjour qui lui offrait l'ennemi le plus artificieux, et par conséquent le plus à craindre, prit la résolution de quitter Berlin pour se rendre dans sa patrie, et en partit au mois de mai 1752, en emportant l'estime et les regrets de ses compatriotes, que son ennemi ne put lui enlever.

Arrivé à Francfort, il apprit que le libraire Eslinger allait faire une édition du Siècle de Louis XIV. Le cœur tout

ulcéré des mauvais traitemens qu'il avait récemment éprouvés de la part de l'auteur de cet ouvrage, il proposa au libraire d'insérer dans cette édition, des notes critiques de sa façon. Il lui en fournit d'abord pour le premier volume; mais lassé de ce genre de travail, il l'abandonna. Ce fut M. le chevalier de Mainvilers qui commenta les deux autres volumes.

A peine cette édition eut-elle vu lejour, que M. de Voltaire entra en fureur; et sans s'informer si toutes les notes étaient de la même main, ou du moins feignant d'ignorer qu'elles n'en étaient pas, il n'épargna rien pour soulever l'autorité contre celui qui avait osé le critiquer. Il écrivit vingt lettres à Paris contre lui. Mad. Denis, sa nièce, fut députée à M. d'Argenson pour se plaindre de l'injustice du commentateur, pour prouver au ministre que le régent était attaqué dans une note du troisième volume, et lui pro

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tester en outre que M. le duc d'Or léans en était fort irrité. M. de la Beaumelle apprit cette scène par feu M. l'abbé Sallier, un des spectateurs. Il resta tranquille, et se disposait à prouver, par une lettre du magistrat de Francfort, et une autre du libraire Eslinger, qu'il n'avait commenté que le premier volume, quand il fut arrêté le 23 avril 1753, et mené à la Bastille.

Le succès de cette noble manœuvre ne calma point l'auteur du Siècle de Louis XIV. Il profita de la détention de son ennemi, pour publier contre lui un libelle intitulé: Supplément au Siècle de Louis XIV, dans lequel il prodigue les personnalités et les injures les plus atroces. M. de la Beaumelle n'eut pas plutôt recouvré sa liberté, qu'il trouva Paris inondé d'exemplaires de cette satire odieuse, où l'on s'efforçait de le noircir dans un tems où il ne pouvait se défendre, où il ignorait même qu'il fût attaqué. Il

J

crut devoir y répondre; et ce fut alors que parurent ses lettres (1) à M. de Voltaire, qui pour lors était à Colmar, où il s'était retiré après sa disgrace à la cour de Prusse. On jugera par les morceaux que nous allons en citer, où nous réunirons l'attaque et la défense, quel est celui des deux qui mérite le plus d'indulgence du public. Nous disons l'indulgence, car rien n'est plus avilissant pour la littérature, que ces démêlés qui animent les gens de lettres les uns contre les autres,ools:

«Je viens de lire votre Supplément au Siècle de Louis XIV. C'est un tissu d'injures contre moi; j'en ai eu honte pour vous. Vous faites des fautes, on vous reprend ; vous répondez à la critique par des invectives, et vous appe

(1) Ces lettres, au nombre de vingt-quatre,

parurent en 1753, en un vol. in-12, avec cette épigraphe: An si quis atro ardente me petiveril inultus ut flebo puer? HOR.

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