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simula pourtant; mais son amourpropre était trop sensible pour lui permettre de se soutenir long-tems dans une apparente docilité.

Il alla voir Rousseau à Bruxelles, où cet illustre poëte s'était retiré. Ce fut là qu'il fit connaître la trempe de son esprit et de son naturel, dans une circonstance où il aurait dû s'instruire au lieu de se révolter. Il lui fit la lecture de son Epître à Uranie. Rousseau, qui avait fait voir qu'on pouvait être un grand poëte en respectant la religion, ou qui s'était repenti de quelques traits échappés à sa plume dans sa jeur nesse, ne put s'empêcher de lui témoi gner de l'étonnement et de l'horreur pour une production aussi impie et aussi contraire à sa façon de penser. Il imposa silence au jeune Arouet. Ce fut assez pour allumer dans son cœur une haine implacable. Dès-lors il se permit, dans ses conversations en Hol lande et à Paris, les propos les plus

odieux contre celui qu'il appelait, peu auparavant, son maître et son ami. Mais la grande époque de son ressentiment fut à l'occasion de sa tragédie de Zaïre. On envoya cette pièce à Rousseau lorsqu'elle fut imprimée, en le priant de vouloir bien en dire son sentiment. Rousseau en releva les défauts dans sa réponse; on fit courir sa lettre contre son intention, et M. de Voltaire ne put voir cette critiqué sans un surcroit de fureur. Dès ce moment il ne garda plus de mesures. Il publia contre Rousseau plusieurs écrits sati riques, dont nous allons donner quel→ ques extraits, sans nous asservir à l'ordre des tems. On pourra juger par ces citations de la droiture de son cœur, de la justesse de son esprit, de l'équité de sa critique, de l'honnêteté de son style.

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Dans une Epitre sur la Calomnie adressée à madame la marquise du Cha telet, il s'élève avec force contre les

médisans et les calomniateurs, et y prodigue en même tems lui-même les médisances et les calomnies les plus atroces : de sorte qu'on y voit son caractère bien mieux tracé que celui qu'il attribue à l'Horace français.

Ce vieux rimeur couvert d'ignominies,
Organe impur'de tant de calomnies;
Cet ennemi du public outragé,
Puni sans cesse et jamais corrigé ;
Ce vil Rufus que fadis votre père (1)

(1) M. de Voltaire veut parler de M. le baron de Breteuil, le protecteur et l'ami de Rousseau, qui ne fut jamais ingrat envers ce seigneur. «M. le baron de Breteuil, dit Rousseau luimême dans une de ses lettres, qui m'a toujours écrit régulièrement jusqu'à sa mort, ne man quait jamais de me parler de Voltaire, de m'informer, tantôt de ses succès, tantôt de ses disgraces. C'est par les lettres de ce seigneur, què je conserve encore, écrites la plupart de sa main, que j'ai su une partie des malheurs de ce poêle fougueux, dont un seul aurait dû suffire pour le corriger, s'il était susceptible de correction....

A par pitié tiré de la misère,
Et qui bientôt serpent envenimé,,
Piqua le sein qui l'avait ranimé :
Lui qui mêlant la rage à l'imprudence,
Devant Thémis accusa l'innocence ;
L'affreux Rufus, loin de cacher en paix,
Des jours tissus de honte et de forfaits,
Vient rallumer aux marais de Bruxelles,
D'un feu mourant les pâles étincelles,
Et contre moi croit rejeter l'affront
De l'infamie écrite sur son front.

Et

que feront tous les traits satiriques
Que d'un bras faible (1) il décoche aujourd'hui,
Et ce ramas de larcins marotiques,

Moitié français et moitié germaniques,
Pétris d'erreurs, et de haine et d'ennui ?
Quel est le but, l'effet, la récompense

Quelle est l'impudence d'un imposteur qui ose avancer que j'ai manqué à mon bienfaiteur, pendant que son amitié et ma reconnaissance sont un fait avéré publiquement dans mes ouvrages mêmes, dont un des plus considérables est l'épître que je lui ai adressée. A Enghein, ce 22 mai 1736. (1) Si l'on voulait s'attacher aux fautes contre la justesse et la grammaire, nous aurions souvent occasion d'en relever. Nous demandons seulement si l'on a jamais vu des traits satiriques décochés d'un bras....

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De ces recueils d'impure médisance?

Le malheureux, délaissé des humains,

Meurt des poisons qu'ont préparé ses mains.

Qu'on juge par ces vers du motif de son zèle. Une âme honnête s'exprimet-elle ainsi? N'est-on pas forcé de croire qu'une muse si remplie de fiel dans ses déclamations, annonce plus de disposition à tomber dans le vice qu'elle re proche, que de droits de s'en plaindre et de talent pour en inspirer l'horreur ? Tel a toujours été le style de M. de Voltaire. Tout le mal qu'on a dit de cet écrivain n'a été, selon lui, que des calomnies; et les injures qu'il a dites aux autres n'étaient que des vérités.

Voici comme il s'exprime dans une autre épître à la même marquise, où il étoit question de la philosophie de Newton, et où Rousseau trouve encore sa place :

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Que le jaloux Rufus à la terre attaché,

Traîne au bord du tombeau la fureur insensée
D'enfermer dans un vers une fausse pensée,

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