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glais, qui est que, par une longue habitude de profanation, le sens moral s'émousse, le génie même s'abâtardit. »

Dans la guerre de Genève, M. de Voltaire n'a point oublié M. Vernet. On en jugera par les vers suivans, auxquels il est inutile de joindre aucune réflexion :

Du noir sénat, le grave directeur

Est jean Vernet de maint volume auteur;
Le vieux Vernet ignoré du lecteur,
Mais trop connu des malheureux libraires.
Dans sa jeunesse il a lu les saints pères,
Se croit savant, affecte un air dévot,
Broun (1) est moins fat, et Nedhan est moins sot, etc.

(1) « Broun, prédicant écossais, qui a écrit des «sottises avec des injures, de compagnie avec « Vernet. Ce prédicant écossais venait souvent << manger chez l'auteur sans être prié ; et c'est

ainsi qu'il témoigna sa reconnaissance. Nedhan « est un jésuite irlandais, imbécille, qui a cru << faire des anguilles avec de la farine. On a donné « quelque tems dans sa chimère, et quelques philosophes ont bâti un systême sur cette pré<< tendue expérience, aussi fausse que ridicule. » il est inutile, je pense, d'avertir que cette nota

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est de M. Voltaire.

CHAPITRE V I I.

M. LEFRANC DE POMPIGNAN.

NË doit-on pas être étonné qu'un

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talens que par

homme aussi recommandable par ses que par le bon usage qu'il en a fait, se soit attiré la haine d'un autre homme qui s'annonça toujours pour le zélateur de l'humanité? Ne doit-on pas être surpris que cette haine se soit servi des plus misérables ressources, pour jeter de l'opprobre et du ridicule sur son adversaire irréprochable ?

A en juger par la manière dont M. de Voltaire a traité M. de Pompignan pour s'être élevé contre les excès de la fausse philosophie, et en avoir fait connaître les travers dans son discours de réception à l'Académie Française, ne croirait-on pas qu'il suffirait d'être

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bon citoyen et sage littérateur, pour s'attirer une nuée d'injures de la part du prétendu héros de la littérature ? Telle a été pourtant l'origine des turlupinades dont M. de Voltaire a accablé un des hommes de lettres les plus respectables. Ne prendrait-on pas ce même homme de lettres pour un fou, pour un extravagant, si on s'en rapportait aux libelles de son ennemi. On a ri des quand, des si, des pourquoi. Mais l'indignation de toute ame honnête n'en est pas moins émue par l'acharnement et l'indécence qui s'y font sentir. C'est ainsi que l'Arétin des Alpes préfère le succès passager de ses bouffonneries aux droits de la justice, de sa réputation, et le plus souvent de son esprit. Voici comment il s'égaie aux dépens de cet auteur, ou plutôt à ses propres dépens :

« (1) Les parens de M. Lefranc de

(1) Cette gentillesse se trouve dans la tro

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Pompignan, qui demeurait pour lors à Paris, lui députèrent en poste un avocat de Montauban, et lui enjoignirent de s'informer exactement de sa santé, et d'en faire un rapport juri, dique. Ledit avocat, accompagné d'un témoin irréprochable, alla à Paris et se transporta chez le malade; il le trouva debout à la vérité, mais les yeux un peu égarés et le pouls élevé. Le patient cria d'abord devant les deux députés : « Jeovah, Jupiter, Seigneur. » « Je ne suis qu'un avocat, répondit le voyageur; je ne m'appelle point Jeovah. Avez-vous vu le roi? dit le malade. Non, monsieur, je viens vous voir. Allez dire au roi de ma part, reprit le sieur malade, qu'il relise mon mémoire, et portez-lui le cata

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sième partie des nouveaux Mélanges, page 207, sous le titre d'Extrait des Nouvelles à la main de la ville de Montauban en Quercy, ce premier juillet 1760.

logue de ma bibliothèque. L'avocat lui conseilla (1) de manger de bons potages, de se baigner et de se coucher de bonne heure. A ces mots, le patient eut des convulsions, et dans l'accès il s'écria:

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(2) Créateur de tous les êtres,
Dans ton amour paternel,
Pour nous former tu pénètres
Dans l'ombre du sein maternel.

Eh! monsieur, dit l'avocat, pourquoi me citez-vous ces détestables vers, quand je vous parle raison? - Le malade écuma à ce propos ; et grinçant les dents, il dit :

(3) Le cruel Amalet tombé
Sous le fer de Josué;

L'orgueilleux jabin succombe

(1) M. de Voltaire se plaisait à conseiller aux autres, ce qui ne convenait qu'à lui-même. C'était bien là le cas de lui répondre: Medice, cura te ipsum.

(2) Poésies sacrées, page 61. (3) Ibid. page 87.

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