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Pèlements et mugissements,

Là vous me plaisez davantage;

Les airs des pâtres sont charmants
Dans la senteur du pâturage.

Son cœur, continuent de dire ceux qui le connaissent, est affectueux et chaud, doué de riches qualités. Il a de la grâce et de la séduction; il acquerrait aisément de la finesse. Le péril, pour lui, est dans cette disposition à se laisser aller au souffle qui passe. Tout poëte doit obéir au souffle, mais que ce soit surtout à celui du dedans. Et pour résumer, non pas mon jugement (ce serait prématuré), mais tout mon vœu sur lui, je dirai Il a en ce moment la vogue, il a ce que tant d'autres, et des plus dignes, ont vainement attendu toute leur vie, l'attention et le regard du public; il a le cri du moment, comme dit le poëte; il chante pendant des heures, et on l'écoute, on l'applaudit; il a de l'action. Qu'il en use en véritable artiste et en véritable ami de son pays; car il lui en sera demandé compte.

Lundi 28 avril 1851.

NOUVEAUX DOCUMENTS

SUR

MONTAIGNE,

recueillis et publiés

PAR M. LE DOCTEUR PAYEN,

(4850.)

Pendant que le vaisseau de la France va un peu à l'aventure, qu'il gagne les mers inconnues et s'apprête à doubler ce que nos pilotes (si pilote il y a) appellent à l'avance le Cap des Tempêtes, pendant que la vigie au haut du mât croit voir se dresser déjà à l'horizon le spectre du géant Adamastor, bien d'honnêtes et paisibles esprits s'obstinent à continuer leurs travaux, leurs études, et suivent jusqu'au bout et tant qu'ils peuvent leur idée favorite. Je sais, à l'heure qu'il est, tel érudit qui compare plus curieusement que jamais les diverses Éditions premières de Rabelais, des Éditions (notez-le bien) dont il ne reste qu'un exemplaire unique, et dont un second exemplaire serait introuvable: de cette collation attentive des textes jaillira quelque conséquence littéraire assurément, et philosophique peut-être, sur le

génie de notre Lucien-Aristophane. Je sais tel autre savant qui a placé sa dévotion et son culte en tout autre lieu, en Bossuet, et qui nous prépare une Histoire complète, exacte, minutieuse, de la vie et des ouvrages du grand évêque. Et comme les goûts sont divers, et que les fantaisies humaines se découpent en cent façons (c'est Montaigne qui dit cela), Montaigne aussi a ses dévots, lui qui l'était si peu : il fait secte. De son vivant, il avait eu sa fille d'alliance, Mlle de Gournay, qui s'était vouée solennellement à lui, et son disciple Charron, de plus près, le suivait pas à pas, ne faisant guère que ranger avec plus d'ordre et de méthode ses pensées. De nos jours, des amateurs, gens d'esprit, ont continué sous une autre forme cette religion : ils se sont consacrés à recueillir les moindres vestiges de l'auteur des Essais, à rassembler ses moindres reliques; et, en tête de ce groupe, il est juste de mettre le docteur Payen, qui prépare depuis des années un livre sur Montaigne, lequel aura pour titre :

MICHEL DE MONTAIGNE, recueil de particularités inédites ou peu connues sur l'auteur des ESSAIS, son livre et ses autres écrits, sur sa famille, ses amis, ses admirateurs, ses contempteurs.

En attendant que s'achève un tel livre, occupation et amusement de toute une vie, le docteur Payen nous tient au courant, dans de courtes brochures, des divers travaux et des découvertes qui se font sur Montaigne.

Si l'on dégage ces petites découvertes, faites depuis cinq ou six ans, de tout ce qui s'y est mêlé de contestations, disputes, chicanes, charlataneries et procès (car il y a eu de tout cela), voici en quoi elles consistent :

En 1846, M. Macé a trouvé dans les manuscrits de la Bibliothèque (alors) royale, fonds Du Puy, une lettre

de Montaigne adressée au roi Henri IV, du 2 septembre 1590.

En 1847, M. Payen a fait imprimer une lettre ou fragment de lettre de Montaigne du 16 février 1588, lettre altérée d'ailleurs et incomplète, provenant de la Collection de la comtesse Boni de Castellane.

Mais surtout en 1848, M. Horace de Viel-Castel a trouvé à Londres, dans le British Museum, une notable lettre de Montaigne, alors maire de Bordeaux, et adressée à M. de Matignon, lieutenant pour le roi dans cette même ville, à la date du 22 mai 1585. Cette lettre a cela de curieux, qu'elle nous montre pour la première fois Montaigne en plein exercice de sa charge, et dans toute l'activité et la vigilance dont il était capable. Ce soi-disant paresseux avait, au besoin, beaucoup plus de ces qualités actives qu'il n'en promettait.

M. Detcheverry, archiviste de la mairie à Bordeaux, a trouvé et publié (1850) une lettre de Montaigne, encore maire, aux Jurats ou échevins de cette ville, du 30 juillet 1585.

M. Achille Jubinal a trouvé dans les manuscrits de la Bibliothèque nationale, et il a publié (1850) une longue et remarquable lettre de Montaigne au roi Henri IV, du 18 janvier 1590, et qui se rejoint heureusement à celle qu'avait déjà trouvée M. Macé.

Enfin, pour ne rien omettre et pour rendre justice à chacun, dans une Visite au château de Montaigne en Périgord, dont la relation a paru en 1850, M. le docteur Bertrand de Saint-Germain a décrit les lieux et relevé les diverses inscriptions grecques ou latines qui se lisent encore dans la tour de Montaigne, dans cette pièce du troisième étage (le rez-de-chaussée comptant pour un) où le philosophe avait établi sa librairie et son cabinet d'études.

En rassemblant et en appréciant dans sa dernière brochure ces diverses notices et découvertes, qui toutes ne sont pas d'égale importance, M. le docteur Payen se laisse lui-même aller à quelque petit excès d'admiration; mais nous n'avons garde de le lui reprocher. L'admiration, quand elle s'applique à des sujets si nobles, si parfaitement innocents et si désintéressés, est vraiment une étincelle du feu sacré : elle fait entreprendre des recherches qu'un zèle plus froid aurait vite laissées et qui aboutissent quelquefois à des résultats réels. Pourtant, que ceux qui, à l'exemple de M. Payen, sentent en gens d'esprit et admirent si bien Montaigne, daignent se souvenir, jusque dans leur passion, des conseils du sage et du maître : « Il y a plus à faire, disait Montaigne en parlant des commentateurs de son temps, à interpréter les interprétations qu'à interpréter les choses; et plus de livres sur les livres que sur autre sujet : nous ne faisons que nous entregloser. Tout fourmille de commentaires d'auteurs, il en est grand'cherté. » Ils sont hors de prix, en effet, et bien rares de tout temps les auteurs, c'est-à-dire ceux qui augmentent réellement le trésor de la connaissance humaine. Je voudrais que tous ceux qui écrivent sur Montaigne et qui nous transmettent sur lui le détail de leurs recherches et de leurs découvertes, se représentassent en idée une seule chose, à savoir Montaigne lui-même les lisant et les jugeant. « Que penserait-il de moi et de la façon dont je vais parler de lui au public? » Combien une telle question, si on se la posait, retrancherait, ce semble, de phrases inutiles et raccourcirait de discussions oiseuses! La dernière brochure de M. Payen est dédiée à un homme qui a également bien mérité de Montaigne, à M. Gustave Brunet de Bordeaux. Celui-ci, dans un écrit où il faisait connaître d'intéressantes corrections

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