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Je triomphe, & mon cœur d'allégreffe rempli
Vous regarde à préfent comme un prince accompli
EURIAL E.

Si de l'amour un temps j'ai bravé la puiffance,
Hélas! mon cher Arbate, il en prend bien vengeance,
Et fachant dans quels maux mon cœur s'eft abymé,
Toi-même tu voudrois qu'il n'eût jamais aimé.
Car enfin, voi le fort où mon aftre me guide;
J'aime, j'aime ardemment la princeffe d'Elide
Et tu fais que l'orgueil fous des traits fi charmans
Arme contre l'amour fes jeunes fentimens,
Et comment elle fuit en cette illuftre fête
Cette foule d'amans qui briguent fa conquête.

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Ah! Qu'il eft. bien peu vrai que ce qu'on doit aimer Auffi-tôt qu'on le voit, prend droit de nous charmer, Et qu'un premier coup d'œil allume en nous les flam

mes

Où le ciel, en naissant, a destiné nos ames!
A mon retour d'Argos je paffai dans ces lieux,
Et ce paffage offrit la princeffe à mes yeux;
Je vis tous les appas dont elle est revêtue.,
Mais de l'œil dont on voit une belle ftatue.
Leur brillante jeunesse observée à loisir
Ne porta dans mon ame aucun fecret defir,
Et d'Ithaque en repos je revis le rivage,
Sans m'en être en deux ans rappellé nulle image.
Un bruit vient cependant à répandre à ma cour
Le célébre mépris qu'elle fait de l'amour;
On publie en tous lieux. que fon ame hautaine
Garde pour l'hyménée une invincible haine,
Et qu'un arc à la main, fur l'épaule un carquois,
Comme une autre Diane elle hante les bois,
N'aime rien que la chaffe, & de toute la Gréce
Fait foupirer en vain l'héroïque jeunesse.
Admire nos efprits, & la fatalité.

Ce que s'avoit point fait fa vûe & fa beauté,
Tome III.

K

Le bruit de fes fiertés en mon ame fit naître
Un transport inconnu, dont je ne fus point maître à
Ce dédain fi fameux eut des charmes fecrets
A me faire avec foin rappeler tous les traits,
Et mon efprit jettant de nouveaux yeux fur elle
M'en refit une image & fi noble & fi belle,
Me peignit tant de gloire & de telles douceurs
A pouvoir triompher de toutes fes froideurs,
Que mon cœur, aux brillans d'une telle victoire,
Vit de fa liberté s'évanouir la gloire ;

Contre une telle amorce il eut beau s'indigner,
Sa douceur dans mes fens prit tel droit de régner
Qu'entraîné par l'effort d'une occulte puiffance,
J'ai d'Ithaque en ces lieux fait voile en diligence,
Et je couvre un effet de mes vœux enflammés
Du defir de paroître à ces jeux renommés,
Où l'illuftre Iphitas, pere de la princeffe,
'Affemble la plufpart des princes de la Grèce.
ARBAT E.

Maís à quoi bon, Seigneur, les foins que vous prenez?
Et pourquoi ce fecret où vous vous obftinez?
Vous aimez, dites-vous, cette illuftre princesse,
Et venez à fes yeux fignaler votre adreffe,
Et nuls empreffemens, paroles, ni foupirs
Ne l'ont inftruite encor de vos brûlans defirs?
Pour moi, je n'entens rien à cette politique
Qui ne veut point fouffrir que votre cœur s'explique,
Et je ne fais quel fruit peut prétendre un amour
Qui fuit tous les moyens de fe produire au jour.
EURIALE.

Et que ferai-je, Arbate, en déclarant ma peine,
Qu'attirer les dédains de cette ame hautaine,
Et me jetter au rang de ces princes foumis
Que le titre d'amans lui peint en ennemis?
Tu vois les fouverains de Mefféne & de Pyle
Lui faire de leurs cœurs un hommage inutile,

Et, de l'éclat pompeux des plus hautes vertus,
En appuyer en vain les refpects affidus:
Ce rebut de leurs foins, fous un trifte filence,
Retient de mon amour toute la violence,
Je me tiens condamné dans ces rivaux fameux,
Et je lis mon arrêt au mépris qu'on fait d'eux.

ARBATE.

Et c'est dans ce mépris, & dans cette humeur fiére
Que votre ame à fes vœux doit voir plus de lumiére,
Puifque le fort vous donne à conquérir un cœur
Que défend feulement une simple froideur,

Et qui n'impofe point à l'ardeur qui vous preffe
De quelque attachement l'invincible tendreffe.
Un cœur préoccupé réfifte puiffamment ;

Mais quand une ame eft libre, on la force aisément,
Et toute la fierté de son indifférence

N'a rien dont ne triomphe un peu de patience.
Ne lui cachez donc plus le pouvoir de fes yeux,
Faites de votre flamme un éclat glorieux,

Et, bien loin de trembler de l'exemple des autres,
Du rebut de leurs vœux enflez l'efpoir des vôtres.
Peut-être, pour toucher fes févéres appas,
Aurez-vous des fecrets que ces princes n'ont pas;
Et, fi de fes fiertés l'impérieux caprice
Ne vous fait éprouver un deftin plus propice,
Au moins eft-ce un bonheur en ces extrémités
Que de voir avec foi fes rivaux rebutés.

EURIALE.

J'aime à te voir preffer cet aveu de ma flamme;
Combattant mes raisons, tu chatouilles mon ame、
Et, par ce que j'ai dit, je voulois préflentir
Si de ce que j'ai fait tu pourrois m'applaudir.
Car enfin, puifqu'il faut t'en faire confidence,
On doit à la princeffe expliquer mon filence.
Et peut-être, au moment que je t'en parle ici,
Le fecret de mon cœur, Arbate, est éclairci.

Cette chaffe, où pour fuir la foule qui l'adore,
Tu fais qu'elle eft allée au lever de l'aurore,
Eft le temps que Moron pour déclarer mon feu
A pris.

ARBATE.

Moron, Seigneur?

EURIALE.

Ce choix t'étonne un peus

Par fon titre de fou tu crois le bien connoître;
Mais fache qu'il l'eft moins qu'il ne le veut paroître
Et que, malgré l'emploi qu'il exerce aujourd'hui,
Il a plus de bon fens que tel qui rit de fui.
La princeffe fe plaît à fes bouffonneries,
Il s'en eft fait aimer par cent plaifanteries,
Et peut dans cet accès dire & perfuader
Ce que d'autres que lui n'oferoient hazarder;
Je le vois propre, enfin à ce que j'en fouhaite,
Il a pour moi, dit-il, une amitié parfaite,
Et veut,
dans mes états ayant reçû le jour,
Contre tous mes rivaux appuyer mon amour.
Quelque argent mis en main pour foutenir ce zéle....

SCENE 1 I.

EURIALE, ARBATE, MORON

Au

MORON derrière le théatre.

U fecours. Sauvez-moi de la bête cruelle.

EURIAL E.

Je pense ouïr fa voix.

MORON derrière le théatre.

A moi, de grace, à moi,
EURIAL E.

C'eft lui-même. Qù court-il avec un tel effroj?

MORON entrant fans voir perfonne. Où pourrai-je éviter ce fanglier redoutable? Grands dieux! Préfervez-moi de fa dent effroyable ;; Je vous promets, pourvû qu'il ne m'attrape pas, Quatre livres d'encens, & deux veaux des plus gras. (rencontrant Euriale que dans fa frayeur il prend pour le fanglier qu'il évite.)

Ah! Je fuis mort.

EURIALE.
Qu'as-tu ?

MORON.

Je vous croyois la bête,

Dont à me diffamer j'ai vû la gueule prête,
Seigneur, & je ne puis revenir de ma peur.

Qu'eft-ce?

EURIAL E.

MORON.

O! Que la princeffe eft d'une étrange humeur! Et qu'à fuivre la chaffe & fes extravagances, Il nous faut effuyer de fottes complaifances! Quel diable de plaifir trouvent tous les chaffeurs De fe voir expofés à mille & mille peurs? Encore fi c'étoit qu'on ne fût qu'à la chaffe Des liévres, des lapins, & des jeunes dains; passe: Ce font des animaux d'un naturel fort doux, Et qui prennent toujours la fuite devant nous. Mafs aller attaquer de ces bêtes vilaines

Qui n'ont aucun refpect pour les faces humaines, Et qui courent les gens qui les veulent courir, C'est un fot paffe-temps, que je ne puis souffrir. EURIALE.

Di-nous donc ce que c'eft?

MORON.

Le pénible exercice

Où de notre princeffe a volé le caprice!

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