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J'en aurois bien juré qu'elle auroit fait le tour
Et, la courfe des chars fe faisant en ce jour,
Il falloit affecter ce contre-temps de chaffe
Pour mépriser ces jeux avec meilleure grace,
Et faire voir... Mais chut. Achevons mon récit
Et reprenons le fil de ce que j'avois dit.
Qu'ai-je dit?

EURIAL E.

Tu parlois d'exercice pénible.
MORON.

2

'Ah! Oui. Succombant donc à ce travail horrible,
Car en chaffeur fameux j'étois enharnaché,
Et dès le point du jour je m'étois découché ;
Je me fuis écarté de tous en galant homme,
Et trouvant un lieu propre à dormir d'un bon fomme
J'effayois ma pofture, &, m'ajustant bien-tôt,
Prenois déjà mon ton pour ronfler comme il faut;
Lorfqu'un murmure affreux m'a fait lever la vûe,
Et j'ai, d'un vieux buiffon de la forêt touffue,
Vu fortir un fanglier d'une énorme grandeur
Pour....

Qu'est-ce?

EURIALE.

MORON.

Ce n'eft rien.N'ayez point de frayeur, Mais laiffez-moi paffer entre vous deux, pour cause, Je ferai mieux en main pour vous conter la chose. J'ai donc vi ce fanglier qui, par nos gens chaffé, Avoit d'un air affreux tout fon poil hériffé;

Ses deux yeux flamboyans ne lançoient que menace,
Et fa gueule faifoit une laide grimace,

Qui, parmi de l'écume, à qui l'ofoit preffer,
Montroit de certains crocs.... Je vous laiffe à penfer.
A ce terrible afpect j'ai ramaffé mes armes,
Mais le faux animal, fans en prendre d'alarmes,
Eft venu droit à moi, qui ne lui disois mot.

ARBATE.

Et tu l'as de piéd ferme attendu ?

MORON.

Quelque fot.
J'ai jetté tout par terre, & couru comme quatre
ARBATE.

Fuir devant un fanglier ayant de quoi l'abattre!
Ce trait, Moron, n'eft pas généreux...

MORON.

J'y confens,

Il n'eft pas généreux, mais il eft de bon fens.
ARBATE.

Mais, par quelques exploits fi l'on ne s'éternife...

MORON.

Je suis votre valet. J'aime mieux que l'on dife,
C'eft ici qu'en fuyant, fans fe faire prier,
Moron fauva fes jours des fureurs d'un fanglier,
Que fi l'on y disoit: Voilà l'illustre place
Où le brave Moron, d'une héroïque audace,
Affrontant d'un fanglier l'impétueux effort,
Par un coup de fes dents vit terminer fon fort.
EURIALE.

Fort bien.

MORON.

Oui. J'aime mieux, n'en déplaise à la gloire, Vivre au monde deux jours, que mille ans dans l'hif toire.

EURIALE.

En effet, ton trépas fâcheroit tes amis;
Mais, fi de ta frayeur ton efprit eft remis,
Puis-je te demander fi, du feu qui me brûle ............
MORON.

Il ne faut pas, Seigneur, que je vous diffimule.
Je n'ai rien fait encore, & n'ai point rencontré
De temps pour lui parler qui fût felon mon gré.

L'office de bouffon a des prérogatives;

Mais fouvent on rabat nos libres tentatives.
Le difcours de vos feux eft un peu délicat,
Et c'eft, chez la princeffe, une affaire d'état.
Vous favez de quel titre elle fe glorifie,
Et qu'elle a dans la tête une philofophie
Qui déclare la guerre au conjugal lier,
Et vous traite l'amour de déité de rien.
Pour n'effaroucher point fon humeur de tigreffe
Il me faut manier la chofe avec adreffe ;
Car on doit regarder comme l'on parle aux grands;
Et vous étes par fois d'affez fâcheufes gens.
Laiffez-moi doucement conduire cette trame:
Je me fens-là pour vous un zéle tout de flamme,
Vous étes né mon prince, & quelques autres nœuds
Pourroient contribuer au bien que je vous veux.
Ma mere, dans fon temps, paffoit pour affez belle,
Et naturellement n'étoit pas fort cruelle;
Feu votre pere alors, ce prince généreux,
Sur la galanterie étoit fort dangereux,

Et je fais qu'Elpénor, qu'on appelloit mon pere
A caufe qu'il étoit le mari de ma mere,

Comptoit pour grand honneur aux pafteurs d'aujour d'hui

Que le prince autrefois étoit venu chez lui,
Et que, durant ce temps, il avoit l'avantage
De fe voir falué de tous ceux du village.
Bafte. Quoi qu'il en foit, je veux par mes travaux.
Mais voici la princeffe & deux de nos rivaux,

SCENE III.

LA PRINCESSE, AGLANTE, CINTHIE, ARISTOMENE, THEOCLE, EURIALE, PHILIS, ARBATE, MORON.

R

ARISTOMENE.

Eprochez-vous, Madame, à nos juftes alarmes Ce péril dont tous deux avons fauvé vos charmes? J'aurois penfé, pour moi, qu'abattre fous nos coups Ce fanglier qui portoit fa fureur jufqu'à vous, Etoit une aventure, ignorant votre chaffe, Dont à nos bons deftins nous dûffions rendre grace; Mais, à cette froideur, je connois clairement Que je dois concevoir un autre fentiment, Et quereller du fort la fatale puiffance® Qui me fait avoir part à ce qui vous offense. THEOCLE.

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Pour moi, je tiens, Madame, à fenfible bonheur
L'action où pour vous a volé tout mon cœur,
Et ne puis confentir, malgré votre murmure
A quereller le fort d'une telle aventure.
D'un objet odieux je fais que tout déplaît;
Mais, dût votre courroux être plus grand qu'il n'eft,
C'eft extrême plaifir, quand l'amour eft extrême,
De pouvoir d'un péril affranchir ce qu'on aime.
LA PRINCESSE.

Er penfez-vous, Seigneur, puifqu'il me faut parler,
Qu'il eût eu, ce péril, de quoi tant m'ébranler?
Que l'arc & que le dard, pour moi fi pleins de charmes,
Ne foient entre mes mains que d'inutiles armes ?

Et que je faffe enfin mes plus fréquens emplois
De parcourir nos monts, nos plaines & nos bois,
Pour n'ofer, en chaffant, concevoir l'espérance
De fuffire, moi feule, à ma propre défense?
Certes, avec le temps j'aurois bien profité
De ces foins affidus dont je fais vanité,
S'il falloit que mon bras, dans une telle quête,
Ne pût pas triompher d'une chétive bête.
Du moins, fi pour prétendre à de fenfibles coups
Le commun de mon fexe eft trop mal avec vous,
D'un étage plus haut accordez-moi la gloire,
Et me faites tous deux cette grace de croire,
Seigneurs, que, quel que fût le fanglier d'aujourd'hui,
J'en ai mis bas, fans vous, de plus méchans

Mais,

THEOCLE.

Madame....

LA PRINCESSE.

que lui.

Hé bien, foit. Je vois que votre envie

Eft de perfuader que je vous dois la vie;

J'y confens. Oui. Sans vous, c'étoit fait de mes jours,
Je rens de tout mon cœur grace à ce grand fecours,
Et je vais de ce pas au prince, pour lui dire
Les bontés que pour moi votre amour vous infpire.

SCENE

I V.

EURIALE, ARBATE, MORON.

HB

MORON.

E'! A-t-on jamais vû de plus farouche efprit? De ce vilain fanglier, l'heureux trépas l'aigrit, Oh! Comme volontiers j'aurois d'un beau falaire Récompenfé tantôt qui m'en eût fù défaire!

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