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SGANARELLE.

-Qui? Moi ? Cela ne fe peut pas.

GERONIMO.

Mon Dieu ! Le calcul eft jufte ; &, là-deffus, je vous dirai franchement & en ami, comme vous m'avez fait promettre de vous parler, que le mariage n'eft guéres votre fait. C'eft une chofe à laquelle il faut que les jeunes gens pensent bien mûrement avant que de la faire, mais les gens de votre âge n'y doivent point penser du tout ; &, fi l'on dit que la plus grande de toutes les folies eft celle de fe marier, je ne vois rien de plus mal-à-propos, que de la faire, cette folie, dans la saison où nous devons être plus fages. Enfin je vous en dis nettement ma pensée. Je ne vous confeille point de fonger au mariage; & je vous trouverois le plus ridicule du monde, fi, ayant été libre jufqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pefante des chaînes.

SGANARELLE. Et moi, je vous dis que je fuis réfolu de me marier; & que je ne ferai point ridicule en époufant la fille que je recherche,

GERONIMO,

'Ah! C'est une autre chose. Vous ne m'aviez pas dit cela,

SGANARELLE.

C'est une fille qui me plaît, & que j'aime de tout mon

cœur.

GERONIMO.

Vous l'aimez de tout votre cœur?

SGANARELLE.

Sans doute; & je l'ai demandée à fon pere,

GERONIMO.

Vous l'avez demandée ?

SGANARELLE.

Oui. C'est un mariage qui se doit conclure ce soir;

& j'ai donné ma parole.

GERONIMO.

Oh! Mariez-vous donc. Je ne dis plus mot.
SGANARELLE.

Je quitterois le deffein que j'ai fait? Vous femble-t-il, Seigneur Geronimo, que je ne fois plus propre à fonger à une femme? Ne parlons point de l'âge que je puis avoir; mais regardons feulement les chofes. Y a-t-il homme de trente ans qui paroiffe plus frais & plus vigoureux que vous me voyez ? N'ai-je pas tous les mouvemens de mon corps auffi bons que jamais,& voit-on que j'aye besoin de carroffe ou de chaise pour cheminer? N'ai-je pas encore toutes mes dents les meil(Il montre fes dents.)

leures du monde? Ne fais-je pas vigoureusement mes quatre repas par jour, & peut-on voir un estomac qui (Il touffe.) ait plus de force que le mien? Hem, hem, hem. Hé? Qu'en dites-vous?

GERONIMO. Vous avez raison, je m'étois trompé. Vous ferez bien de vous marier.

SGANARELLE. J'y ai répugné autrefois, mais j'ai maintenant de puiffantes raifons pour cela. Outre la joie que j'aurai de pofféder une belle femme qui me dorlotera, & me viendra frotter lorfque je ferai las, outre cette joie, dis-je, je confidére, qu'en demeurant comme je fuis, je laiffe périr dans le monde la race des Sganarelles; &, qu'en me mariant, je pourrai me voir revivre en d'autres moi-mêmes; que j'aurai le plaifir de voir des créatures, qui feront forties de moi, de petites figures qui me reffembleront comme deux gouttes d'eau, qui fe joueront continuellement dans la maison, qui m'appelleront leur papa quand je reviendrai de la ville, & me diront de petites folies les plus agréables du monde. Tenez, il me femble déjà que j'y fuis, &

que j'en vois une demi-douzaine autour de moi. GERONIMO.

Il n'y a rien de plus agréable que cela ; & je vous confeille de vous marier le plus vite que vous pour

rez.

SGANARELLE.

Tout de bon? Vous me le confeillez ?

GERONIMO.

'Affurément. Vous ne fauriez mieux faire.

SGANARELLE.

- Vraiment, je fuis ravi que vous me donniez cé confeil en véritable ami.

GERONIMO.

Hé quelle eft la perfonne, s'il vous plaît, avec qui vous allez vous marier?

SGANARELLE.

Doriméne.

GEROMINO.

Cette jeune Doriméne, fi galante & fi bien parée ?

Oui.

SGANARELLE.

GERONIMO.

SGANARELLE.

'GERONIMO.

Fille du Seigneur Alcantor?

Juftement.

Et fœur d'un certain Alcidas, qui fe mêle de porter

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Qu'en dites-vous?

GERONIMO.

Bon parti! Mariez-vous promptement.

SGANARELLE

N'ai-je pas raifon d'avoir fait ce choix?

GERONIMO.

Sans doute. Ah! Que vous ferez bien marié ! Dépè chez-vous de l'être.

SGANARELLE.

Vous me comblez de joie, de me dire cela. Je vous remercie de votre confeil, & je vous invite ce soir à

mes noces.

GERONIMO.

Je n'y manquerai pas ; & je veux y aller en masque, afin de les mieux honorer.

Serviteur.

SGANARELLE.

GERONIMO à part.

La jeune Doriméne, fille du Seigneur Alcantor; avec le Seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquantetrois ans ! Ŏ le beau mariage ! O le beau mariage! (Ce qu'il répéte plufieurs fois en s'en allant.)

C

SCENE III.

SGANARELLE feul.

E mariage doit être heureux, car il donne de la joie à tout le monde ; & je fais rire tous ceux à qui j'en parle. Me voilà maintenant le plus content des hommes,

SCENE

SCENE I V.

DORIMENE, SGANARELLE.

DORIMEN E, dans le fond du théatre, à un petit laquais qui la fuit.

A

Llons, petit garçon, qu'on tienne bien ma queue, & qu'on ne s'amufe pas à badiner.

SGAÑARELLE à part, apercevant Doriméne. Voici ma maîtreffe, qui vient. Ah! Qu'elle eft agréable! Quel air & quelle taille ! Peut-il y avoir un homme, qui n'ait, en la voyant, des démangeai(à Doriméne.)

fons de fe marier ? Où allez-vous, belle mignonne, chére épouse future de votre époux futur?

DORIMENE. Je vais faire quelques emplettes.

SGANARELLE.

Hé bien, ma belle, c'eft maintenant que nous allons être heureux l'un & l'autre. Vous ne ferez plus en droit de me rien refusers & je pourrai faire avec vous tout ce qu'il me plaira, fans que perfonne s'en fcandalife. Vous allez être à moi depuis la tête jufqu'aux piéds, & je ferai maître de tout: de vos petits yeux éveillés, de votre petit néz fripon, de vos lévres appétiffantes, de vos oreilles amoureuses, de votre petit menton joli, de vos petits tetons rondelets, de votre.... Enfin, toute votre perfonne sera à ma discrétion, & je ferai à même, pour vous careffer comme je voudrai. N'étes-vous pas bien aife de ce mariage, mon aimable pouponne?

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