DORIMENE. Tout-à-fait aife, je vous jure. Car enfin, la sévérité de mon pere m'a tenue jufques-ici dans une fujettion la plus fâcheufe du monde. Il y a je ne fais combien que j'enrage du peu de liberté qu'il me donne, & j'ai cent fois fouhaité qu'il me mariât, pour fortir promptement de la contrainte où j'étois avec lui, & me voir en état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous étes venu heureusement pour cela, & je me prépare déformais à me donner du divertiffement, & à réparer, comme il faut, le temps que j'ai perdu. Comme vous étes un fort galant homme, & que vous favez comme il faut vivre, je crois que nous ferons le meilleur ménage du monde ensemble, & que vous ne ferez point de ces maris incommodes, qui veulent que leurs femmes vivent comme des loups-garous. Je vous avoue que je ne m'accommoderois pas de cela, & que la folitude me désespére. J'aime le jeu, les vifites, les affemblées, les cadeaux & les promenades; en un mot, toutes les chofes de plaifir: & vous devez être ravi d'avoir une femme de mon humeur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé enfemble, & je ne vous contraindrai point dans vos actions, comme j'efpére que, de votre côté, vous ne me contraindrez point dans les miennes ; car, pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaifance mutuelle, & qu'on ne fe doit point marier pour fe faire enrager l'un l'autre. Enfin, nous vivrons, étant mariés, comme deux personnes qui favent leur monde. Aucun foupçon jaloux ne nous troublera la cervelle ; & c'eft affez que vous ferez affuré de ma fidélité, comme je ferai perfuadée de la vôtre. Mais qu'avez-vous? Je vous vois tout changé de visage. SGANARELLE. Ce font quelques vapeurs qui me viennent de monter à la tête. DORIMENE. C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de gens; mais notre mariage diffipera tout cela. Adieu. Il me tarde déja que je n'aye des habits raisonnables, pour quitter vîte ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les chofes qu'il me faut, & je vous envoyerai les marchands. A GERONIMO. H! Seigneur Sganarelle, je fuis ravi de vous trouver encore ici, & j'ai rencontré un orfévre qui, fur le bruit que vous cherchiez quelque beau diamant en bague pour faire un présent à votre époufe, m'a fort prié de vous venir parler pour lui, & de vous dire qu'il en a un à vendre, le plus parfait du monde. SGANARELLE. Mon Dieu ! Cela n'eft pas preffé. GERONIMO. Comment ? Que veut dire cela ? Où eft l'ardeur que yous montriez tout-à-l'heure? SGANARELLE. Il m'eft venu, depuis un moment, de petits fcrupules fur le mariage. Avant que de paffer plus avant je voudrois bien agiter à fond cette matiére, & que l'on m'expliquât un fonge que j'ai fait cette nuit, & qui vient tout-à-l'heure de me revenir dans l'esprit. Vous favez que les fonges font comme des miroirs où l'on découvre quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me fembloit que j'étois dans un vaiffeau, fur une mer bien agitée ; & que... GERONIMO. Seigneur Sganarelle, j'ai maintenant quelque petite affaire, qui m'empêche de vous ouïr. Je n'entens rien du tout aux fonges, &, quant au raisonnement du mariage, vous avez deux favans, deux philofophes vos voifins, qui font gens à vous débiter tout ce qu'on peut dire fur ce fujet. Comme ils font de feces différentes, vous pouvez examiner leurs diverses opinions là-deffus. Pour moi, je me contente de ce que je vous ai dit tantôt, & demeure votre ferviteur. SGANARELLE feul. Il a raifon. Il faut que je confulte un peu ces gens là fur l'incertitude où je suis. PANCRACE fe tournant du côté par où il eft entré, & fans voir Sganarelle. Allez, vous étes un impertinent, mon ami, un homme ignare de toute bonne difcipline, ban niffable de la république des lettres. SGANARELLE. propos. Ah! Bon. En voici un fort à PANCRACE de même, fans voir Sganarelle. Oui, je te foutiendrai par vives raisons, je te montrerai par Ariftote, le philofophe des philofophes, que tu es un ignorant, ignorantiffime, ignorantifiant & ignorantifié par tous les cas, & modes imaginables. SGANARELLE à part. (à Pancrace.) Il a pris querelle contre quelqu'un. Seigneur... PANCRAC E de méme, fans voir Sganarelle. Tu te veux mêler de raisonner, & tu ne fais pas feulement les élemens de la raison. SGANARELLEà part. La colére l'empêche de me voir. Seigneur... SGANARELLE à part. Il faut qu'on l'ait fort irrité. Je.. PANCRAC E de même, fans voir Sganarelle, Toto cælo, totâ viâ aberras. SGANARELLE. Je baife les mains à Monfieur le docteur. PANCRACE. Serviteur. SGANARELLE. Peut-on... PANCRACE fe retournant vers l'endroit par où il eft entré. Sais-tu bien ce que tu as fait ? Un fyllogifme in ba◄ lordo. Je vous... SGANARELLE. PANCRA CE de même. La majeure en eft inepte, la mineure impertinente, & la conclufion ridicule. Je... SGANARELLE. PANCRACE de même. Je creverois pluftôt que d'avouer ce que tu dis; & je foutiendrai mon opinion jusqu'à la derniére goutte de mon encre. Puis-je ... SGANARELLE. PANCRA CE de même. Oui, je défendrai cette propofition, pugnis & calcibus, unguibus & roftro. SGANARELLE. Seigneur Ariftote, peut-on favoir ce qui vous met fi fort en colére? PANCRACE. Un fujet le plus jufte du monde. SGANARELLE. Et quoi encore? PANCRACE. Un ignorant m'a voulu foutenir une propofition erronée, une propofition épouvantable, effroyable, exécrable. SGANARELLE. Puis-je demander ce que c'eft? PANCRACE. Ah! Seigneur Sganarelle, tout est renverfé aujourd'hui, & le monde eft tombé dans une corruption générale. Une licence épouvantable régne par tout; & les magiftrats, qui font établis pour maintenir l'ordre dans cet état, devroient mourir de honte, en fouffrant un scandale auffi intolérable que celui dont je veux parler. Quoi donc ? SGANARELLE. PANCRACE. N'eft-ce pas une chofe horrible, une chofe qui crie vengeance au ciel, que d'endurer qu'on dise publiquement la forme d'un chapeau? Comment? SGANARELLE. PANCRACE. Je foutiens qu'il faut dire la figure d'un chapeau, & |