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Apprens, Marquis, je te prie, & les autres aufli, que le bon fens n'a point de place déterminée à la comédie; que la différence du demi louis d'or, & de la piéce de quinze fols, ne fait rien du tout au bon goût; que debout ou affis l'on peut donner un mauvais jugement; & qu'enfin, à le prendre en général, je me ferois affez à l'approbation du parterre, par la raifon qu'entre ceux qui le compofent, il y en a plufieurs qui font capables de juger d'une piéce felon les régles, & que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui eft de fe laiffer prendre aux chofes, & de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicateffe ridicule.

LE MARQUIS.

Te voilà donc, Chevalier, le défenfeur du parterre? Parbleu, je m'en réjouis, & je ne manquerai pas de l'avertir, que tu es de fes amis. Hai, hai, hai, hai, hai, hai.

DORANT E.

&

Ri tant que tu voudras. Je fuis pour le bon fens, ne faurois fouffrir les ébullitions de cerveau de nos marquis de Mafcarille. J'enrage de voir de ces gens qui fe traduifent en ridicules, malgré leur qualité ;

ces gens qui décident toujours & parlent hardiment de toutes chofes, fans s'y connoître ; qui, dans une comédie fe récrieront aux méchans endroits, & ne branleront pas à ceux qui font bons; qui, voyant un tableau, ou écoutant un concert de mufique, blâment de même & louent tout à contre sens, prennent par où ils peuvent les termes de l'art qu'ils attrapent, & ne manquent jamais de les eftropier, & de les mettre hors de place. Hé, morbleu, Meffieurs, aifez-vous. Quand Dieu ne vous a pas donné la connoiffance d'une chofe, n'apprêtez point à rire à ceux qui vous entendent parler, & fongez qu'en ne difant mot, on croira peut-être que vous étes d'habiles gens,

LE MARQUIS.

Parbleu, Chevalier, tu le prens là...
DORANT E.

Mon Dieu, Marquis, ce n'est pas à toi que je parle. C'est à une douzaine de Meffieurs qui déshonorent les gens de cour par leurs maniéres extravagantes, & font croire parmi le peuple que nous nous reffemblons tous. Pour moi, je m'en veux juftifier le plus qu'il me fera poffible; & je les dauberai tant en toutes rencontres, qu'à la fin ils fe rendront fages.

LE MARQUIS.

Dis-moi un peu, Chevalier, crois-tu que Lyfandro ait de l'efprit?

DORANTE.

Oui, fans doute, & beaucoup.

URANIE.

C'eft une chofe qu'on ne peut pas nier.
LE MARQUIS.

Demande-lui ce qu'il lui femble de l'Ecole des fem→ mes. Tu verras qu'il te dira qu'elle ne lui plaît pas. DORANTE.

Hé, mon Dieu ! Il y en a beaucoup que le trop d'ef prit gâte, qui voyent mal les chofes à force de lumiére, & même qui feroient bien fâchés d'être de l'avis des autres pour avoir la gloire de décider.

URANIE.

Il eft vrai. Notre ami eft de ces gens-là, fans doute. Il veut être le premier de fon opinion, & qu'on attende par refpect fon jugement. Toute approbation qui marche avant la fienne eft un attentat fur fes lumiéres, dont il fe venge hautement en prenant le contraire parti. Il veut qu'on le confulte fur toutes les affaires d'efprit; & je fuis fûre que fi l'auteur lui eût montré fa comédie avant que de la faire voir au public, il l'eût trouvée la plus belle du monde.

LE MARQUIS.

Et que diriez-vous de la marquife Araminte, qui la publie par tout pour épouvantable, & dit qu'elle n'a pu jamais fouffrir les ordures dont elle est pleine?

DORANTE.

Je dirai que cela eft digne du caractere qu'elle a pris, & qu'il y a des perfonnes qui fe rendent ridicules pour vouloir avoir trop d'honneur. Bien qu'elle ait de l'efprit, elle a suivi le mauvais exemple de celles qui, étant fur le retour de l'âge, veulent remplacer de quelque chofe ce qu'elles voyent qu'elles perdent, & prétendent que les grimaces d'une pruderie fcrupu leufe leur tiendront lieu de jeunesse & de beauté. Celleci pouffe l'affaire plus avant qu'aucune, & l'habileté de fon fcrupule découvre des faletés, où jamais perfonne n'en avoit vû. On tient qu'il va, ce fcrupule, jufques à défigurer notre langue, & qu'il n'y a point prefque de mots, dont la févérité de cette Dame ne veuille retrancher ou la tête ou la queue, pour les fyllabes déshonnêtes qu'elle y trouve.

URANIE. Vous étes bien fou, Chevalier.

LE MARQUIS.

Enfin, Chevalier, tu crois défendre ta comédie, en faisant la fatire de ceux qui la condamnent.

DORANTE.

Non pas; mais je tiens que cette Dame se scandalise à

toft...

ELISE.

Tout beau, Monfieur le Chevalier, il pourroit y en avoir d'autres qu'elles, qui feroient dans les mêmes fentimens.

DORANT E.

Je fais bien que ce n'eft pas vous, au moins, & que, lorfque vous avez vû cette représentation...

ELISE.

(montrant Climene.) Il eft vrai; mais j'ai changé d'avis, & Madame fait appuyer le fien, par des raifons fi convaincantes,qu'elle m'a entraînée de fon côté.

DORANTE à Climéne.

Ah! Madame, je vous demande pardon, &, fi vous le voulez, je me dédirai, pour l'amour de vous, de tout ce que j'ai dit.

CLIMENE.

Je ne veux pas que ce foit pour l'amour de moi; mais pour l'amour de la raifon car enfin cette pièce, à le bien prendre, est tout-à-fait indéfendable, & je ne conçois pas ...

URANIE.

1.

Ah! Voici l'auteur Monfieur Lyfidas. Il vient tout à propos, pour cette matiére. Monfieur Lyfidas, prenez un fiége vous-même, & vous mettez-là.

SCENE VII.

LYSIDAS, CLIMENE, URANIE, ELISE, DORANTE, LE MARQUIS.

M

LYSIDA S.

Adame, je viens un peu tard; mais il m'a fallu lire ma piéce chez Madame la marquife, dont je vous avois parlé, & les louanges qui iui ont été données, m'ont retenu une heure plus que je ne croyois.

ELISE.

C'eft un grand charme que les louanges pour arrêter

un auteur,

URANIE.

URANIE.

Afféyez-vous donc, Monfieur Lyfidas, nous lirons votre piéce après souper.

LYSIDA S.

Tous ceux qui étoient-là doivent venir à fa premiére représentation, & m'ont promis de faire leur devoir comme il faut.

URANIE.

Je le crois. Mais, encore une fois, afféyez-vous, s'il vous plaît. Nous fommes ici fur une matiére que je ferai bien aife que nous pouffions.

LYSIDA S.

Je penfe, Madame, que vous retiendrez auffi une loge pour ce jour-là.

URANIE.

Nous verrons. Pourfuivons de grace notre discours. LYSIDA S.

Je vous donne avis, Madame, qu'elles font prefque

toutes retenues.

URANIE.

Voilà qui eft bien.Enfin j'avois befoin de vous, lorfque vous étes venu, & tout le monde étoit ici contre moi. ELISE à Uranie.

(montrant Dorante.)

Il s'est mis d'abord de votre côté : mais maintenant (montrant Climéne.)

qu'il fait que Madame eft à la tête du parti contraire, je penfe que vous n'avez qu'à chercher un autre fecours.

CLIMEN E.

Non, non, je ne voudrois pas qu'il fit mal fa cour auprès de Madame votre coufine, & je permets à fon efprit d'être du parti de fon cœur.

DORANTE.

Avec cette permiffion, Madame, je prendrai la hardieffe de me défendre.

Tome III.

D

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