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feur Lyfidas voulût les achever, & leur donner quelques petits coups de fa façon.

LYSIDA S.

Ce n'eft pas ma coûtume de rien blâmer, & je fuis affez indulgent pour les ouvrages des autres. Mais enfin, fans choquer l'amitié que Monfieur le chevalier témoigne pour l'auteur, on m'avouera que ces fortes de comédies ne font pas proprement des comédies & qu'il y a une grande différence de toutes ces bagatelles, à la beauté des piéces férieufes. Cependant tout le monde donne là-dedans aujourd'hui, on ne court plus qu'à cela, & l'on voit une folitude effroyable aux grands ouvrages, lorfque des fottifes ont tout Paris. Je vous avoue que le cœur m'en faigne quelquefois, & cela eft honteux pour la France.

CLIMEN E.

Il eft vrai que le goût des gens eft étrangement gâté là-deffus, & que le fiécle s'encanaille furieufement. ELISE.

Celui-là eft joli encore, s'encanaille. Eft-ce vous qui l'avez inventé, Madame ?

Hé!

CLIMEN E.

ELISE.

Je m'en fuis bien douté.

DORANTE.

Vous croyez donc, Monfieur Lyfidas, que tout l'efprit & toute la beauté font dans les poemes férieux, & que les piéces comiques font des niaiferies qui ne méritent aucune louange?

URANIE.

Ce n'est pas mon fentiment, pour moi. La tragédie, fans doute, eft quelque chofe de beau quand elle eft bien touchée; mais la comédie a fes charmes, & je tiens que l'une n'eft pas moins difficile que l'autre.

DORANTE.

Affurément, Madame; & quand, pour la difficulté, vous mettriez un peu plus du côté de la comédie peut-être que vous ne vous abufèriez pas. Car enfin, je trouve qu'il eft bien plus aifé de fe guinder fur de grands fentimens, de braver en vers la fortune, accufer les deftins, & dire des injures aux dieux, que d'entrer, comme il faut, dans le ridicule des hommes, & de rendre agréablement fur le théatre les défauts de tout le monde. Lorfque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez. Ce font des portraits à plaifir, où l'on ne cherche point de reffemblance; & vous n'avez qu'à fuivre les traits d'une imagination qui fe donne l'effor, & qui fouvent laiffe le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorfque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature. On veut que ces portraits reffemblent ; & vous n'avez rien fait, fi vous n'y faites reconnoître les gens de votre fiécle. En un mot, dans les piéces férieufes, il fuffit, pour n'être point blâmé, de dire des chofes qui foient de bon fens, & bien écrites; mais ce n'est pas affez dans les autres, il y faut plaifanter; & c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens.

CLIMEN E.

Je crois être du nombre des honnêtes gens; & cependant je n'ai pas trouvé un mot pour rire dans tout co que j'ai vû.

LE MARQUIS.

Ma foi, ni moi non plus.

DORANT E.

Pour toi, Marquis, je ne m'en étonne pas. C'est que tu n'y as pas trouvé de turlupinades.

LYSIDA S.

Ma foi, Monfieur, ce qu'on y rencontre ne vaut guéres mieux, & toutes les plaifanteries y font affez froides, à mon avis.

DORANTE.

La cour n'a pas trouvé cela....

LYSIDA S.

Ah! Monfieur, la cour.

DORANTE.

Achevez, Monfieur Lyfidas. Je vois bien que vous voulez dire que la cour ne fe connoît pas à ces chofes; & c'eft le refuge ordinaire de vous autres Meffeurs les auteurs dans le mauvais fuccès de vos ouvrages, que d'accufer l'injuftice du fiécle, & le peu de lumière des courtifans. Sachez, s'il vous plaît Monfieur Lyfidas, que les courtifans ont d'auffi bons yeux que d'autres, qu'on peut être habile avec un point de Venise & des plumes, auffi-bien qu'avec une perruque courte, & un petit rabat uni; que la grande épreuve de toutes vos comédies, c'eft le jugement de la cour; que c'eft fon goût qu'il faut étudier pour trouver l'art de réuffir; qu'il n'y a point de lieu où les décisions foient fi juftes, &, fans mettre en ligne de compte tous les gens favans qui y font, que, du fimple bon fens naturel & du commerce de tout le beau monde, on s'y fait une maniére d'efprit, qui, fans comparaifon, juge plus finement des chofes, que tout le favoir enrouillé des pédans.

URANIE.

Il eft vrai que pour peu qu'on y demeure, il vous paffe-là tous les jours affez de chofes devant les yeux, pour acquérir quelque habitude de les connoître ; & fur-tout, pour ce qui eft de la bonne ou mauvaisfe plaifanterie.

DORANTE.

La cour a quelques ridicules, j'en demeure d'accord, & je fuis, comme on voit, le premier à les fronder. Mais, ma foi, il y en a un grand nombre parmi les beaux efprits de profeffion ; & fi l'on joue quelques marquis, je trouve qu'il y a bien plus de quoi jouer

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les auteurs, & que ce feroit une chose plaifante à mettre fur le théatre, que leurs grimaces favantes & leurs rafinemens ridicules, leur vicieuse coûtume d'affaffiner les gens de leurs ouvrages, leurs friandifes de louange, leurs ménageinens de penfées, leur trafic de réputation, & leurs ligues offenfives & défenfives, auffi-bien que leurs guerres d'efprit, & leurs combats de profe & de vers.

LYSIDA S.

Moliere eft bien-heureux, Monfieur, d'avoir un protecteur auffi chaud que vous. Mais enfin, pour venir au fait, il eft question de savoir si la piéce eft bonne, & je m'offre d'y montrer par tout cent défauts vifibles. URANIE.

C'est une étrange chofe de vous autres Meffieurs les poëtes, que vous condamniez toujours les piéces où tout le monde court, & ne difiez jamais du bien que de celles où perfonne ne va. Vous montrez pour les unes une haine invincible, & pour les autres une tendreffe qui n'eft pas concevable.

DORANTE.

C'eft qu'il eft généreux de fe ranger du côté des affligés.

URANIE.

Mais de grace, Monfieur Lyfidas, faites-nous voir ces défauts, dont je ne me fuis point aperçue.

LYSIDA S.

Ceux qui poffédent Ariftote & Horace, voyent d'abord, Madame, que cette comédie péche contre toutes les régles de l'art.

URANIE.

Je vous avoue que je n'ai aucune habitude avec ces Meffieurs-là, & que je ne fais point les régles de l'art. DORANTE.

Vous étes de plaifantes gens avec vos régles dont yous ́embarrassez les ignorans, & nous étourdiffez

tous les jours. Il femble à vous ouir parler, que ces régles de l'art foient les plus grands mystéres du monde, & cependant, ce ne font que quelques obfervations aifées que le bon fens a faites fur ce qui peut ôter le plaifir que l'on prend à ces fortes de poemes ;* & le même bon fens qui a fait autrefois ces obfervations, les fait fort aisément tous les jours fans le fecours d'Horace & d'Ariftote. Je voudrois bien savoir fi la grande régle de toutes les régles n'est pas de plaire, & fi une pièce de théatre qui a attrapé fon but, n'a pas fuivi un bon chemin? Veut-on que tout un public s'abuse fur ces fortes de chofes, & que chacun n'y foit pas juge du plaifir qu'il y prend?

URANIE.

J'ai remarqué une chofe de ces Meffieurs-là, c'eft que ceux qui parlent le plus des régles, & qui les favent mieux que les autres, font des comédies que perfonne ne trouve belles.

DORANTE.

Et c'eft ce qui marque, Madame, comme on doit s'arrêter peu à leurs difputes embarrassantes. Car enfin, fi les piéces qui font felon les régles ne plaisent pas, & que celles qui plaifent ne foient pas felon les régles, il faudroit de néceffité que les régles euffent été mal faites. Moquons-nous donc de cette chicane, où ils veulent affujettir le goût du public, & ne confultons dans une comédie que l'effet qu'elle fait fur nous. Laiffons-nous aller de bonne foi aux chofes qui nous prennent par les entrailles, & ne cherchons point de raifonnement pour nous empêcher d'avoir du plaifir.

URANIE.

Pour moi, quand je vois une comédie, je regarde feulement fi les chofes me touchent, &, lorfque je m'y fuis bien divertie, je ne vais point demander fi j'ai eu tort, & fi les régles d'Ariftote me défendoiem de rire.

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