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& qui ne laiffent pas de se presser, & d'occuper toutes les avenues de la porteLA GRANGE.

Crions nos deux noms à l'huissier, afin qu'il nous apè pelle.

MOLIER E.

Cela eft bon pour toi; mais, pour moi, je ne veux pas être joué par Moliere.

LA GRANGE.

Je pense pourtant, Marquis, que c'est toi qu'il joue dans la Critique.

MOLIER E.

Moi? Je fuis ton vales, c'eft toi-même en propre per Sonne.

LA GRANGE.

Ah! Ma foi, tu es bon de m'appliquer ton personnage, MOLIERE.

Parbleu, je te trouve plaifant de me donner ce qui t'ap partient.

LA GRANGE riant.

Ah, ah, ah! Cela eft drôle.

MOLIER E riant.

Ah, ah, ah! Cela eft bouffon.

LA GRANGE.

Quoi ! Tu veux foutenir que ce n'eft pas toi qu'on joue dans le marquis de la Critique?

MOLIERE.

Il est vrai; c'est moi. Déteftable, morbleu, détestable, tarte à la crême. C'est moi, c'est moï, assurément, c'est

moi.

LA GRANGE.

Oui, parbleu, c'eft toi, tu n'as que faire de railler; &, fi tu veux, nous gagerons, & verrons qui a raijon des deux.

MOLIERE.

Et que veux-tu gager encore ?

LA

LA GRANGE.

Je gage cent piftoles que c'eft toi.

MOLIER E.

Et moi, cent piftoles que c'eft toi.

LA GRANGE.

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Comptant. Quatre-vingt-dix piftoles fur Amyntas, &

dix piftoles comptant.

Je le veux.

Cela eft fait.

LA GRANGE.

MOLIERE.

LA GRANGE.

Ton argent court grand rifque.

MOLIERE.

Le tien eft bien aventuré.

LA GRANGE.

A qui nous en rapporter ?

MOLIERE à Brécourt.

Voici un homme qui nous jugera. Chevalier.

Quoi?

BRECOURT.

MOLIER E.

Bon. Voilà l'autre qui prend le ton de marquis. Vous ai-je pas dit que vous faites un rôle, où l'on doit parler naturellement ?

BRECOURT.

Il est vrai.

MOLIER E.

Allons donc. Chevalier.

BRECOURT.

Quoi?

MOLIER E.

Juge-nous un peu fur une gageure que nous avons faite.

Tome III.

G

Et quelle?

BRECOURT.

MOLIER E.

Nous difputons qui eft le marquis de la Critique de Mos liere; il gage que c'est moi, je gage que c'est lui.

BRECOURT.

Et moi, je juge que ce n'est ni l'un ni l'autre. Vous étes fous tous deux, de vouloir vous appliquer ces fortes de chofes, & voilà de quoi j'ouïs l'autre jour fe plaindre Moliere, parlant à des perfonnes qui le chargeoient de même choje que vous. Il difoit que rien ne lui donnoit du déplaifir, comme d'être accufé de regarder quelqu'un dans les portraits qu'il fait; que fon deffein eft de peindre les mœurs fans vouloir toucher aux perfonnes, & que tous les perfonnages qu'il repréfente font des perfonnages en l'air, & des phantômes proprement, qu'il habille à fa fantaisie pour réjouir les fpectateurs; qu'il feroit bien fáché d'y avoir jamais marqué qui que ce foit, & que fi quelque chofe étoit capable de le dégoûter de faire des comédies, c'étoit les reflemblances qu'on y vouloit toujours trouver, & dont fes ennemis tâchoient malicieusement d'appuyer la pensée, pour lui rendre de mauvais offices auprès de certaines perfonnes, à qui il n'a jamais pensé. En effet, je trouve qu'il a raifon : car pourquoi vouloir, je vous prie, appliquer tous fes geftes & toutes fes paroles, & chercher a lui faire des affaires en difant hauteil joue un tel,lorfque ce font des chofes qui peuvent convenir à cent perfonnes? Comme l'affaire de la comédie eft de représenter en général tous les défauts des hommes, & principalement des hommes de notre fiécle; il eft impoffible à Moliere de faire aucun caractére qui ne rencontre quelqu'un dans le monde ; &, s'il faut qu'on Paceufe d'avoir fongé à toutes les perfonnes où l'on peus trouver les défauts qu'il peint, il faut fans doute qu'il ne fasse plus de comédies.

ment,

MOLIER E.

Ma foi, Chevalier, tu veux juftifier Moliere, & épargner notre ami que voilà.

LA GRANGE.

Point du tout. C'est toi qu'il épargne; & nous trouverons d'autres juges.

MOLIERE.

Soit. Mais di-moi, Chevalier, crois-tu pas que ton Moliere est épuisé maintenant, & qu'il ne trouvera plus de matiére pour..

BRECOURT.

Plus de matiére? Hé, mon pauvre Marquis, nous lui en fournirons toujours affez, & nous ne prenons guére le chemin de nous rendre plus fuges pour tout ce qu'il fait, & tout ce qu'il dit.

MOLIER E.

...

Attendez. Il faut marquer davantage tout cet endroit. Ecoutez-le moi dire un peu . & qu'il ne trouvera plus de matiére pour .... Plus de matiére ? Hé, mon pauvre Marquis, nous lui en fournirons toujours affez, &nous ne prenons guére le chemin de nous rendre fages pour tout ce qu'il fait, & tout ce qu'il dit. Crois-tu qu'il ait épuifé dans fes comédies tout le ridicule des hommes, &,fans fortir de la cour, n'a-t il pas encore vingt caractéres de gens où il n'a point touché ? N'a-t-il pas`, par exemple, ceux qui fe font les plus grandes amitiés du monde, & qui, le dos tourné, font galanterie de fe déchirer l'un l'autre ? N'a t il pas ces adulateurs à outrance, ces flatteurs infipides qui n'affaifonnent d'aucun fel les louanges qu'ils donnent, & dont toutes les flatteries ont une douceur fade qui fait mal au cœur à ceux qui les écoutent? N'a- t il pas ces lâches courtisans de la faveur, ces perfides adorateurs de la fortune, qui vous encenfent dans la prospérité, & vous accablent dans la difgrace? N'a-t-il pas ceux qui font toujours mécontens de la cour, ces juivans inutiles, ces incommodes affidus,

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ces gens, dis-je, qui, pour services, ne peuvent compter que des importunités, & qui veulent que l'on les récompenfe d'avoir obfédé le prince dix ans durant? N'a t'il pas ceux qui careffent également tout le monde, qui proménent leurs civilités à droit & à gauche, & courent à tous ceux qu'ils voient, avec les mêmes embraffades, & les mêmes proteftations d'amitié ? Monfieur, votre très-humble ferviteur. Monfieur, je fuis tout à votre fervice. Tenez-moi des vôtres, mon cher. Faites état de moi, Monfieur, comme du plus chaud de vos amis. Monfieur, je fuis ravi de vous embrasser. Ah! Monfieur, je ne vous voyois pas. Faites-moi la grace de m'employer, foyez perfuadé que je fuis entiérement à vous. Vous étes l'homme du monde que je révére le plus. Il n'y a perfonne que j'honore à l'égal de vous. Je vous conjure de le croire. Je vous fupplie de n'en point douter. Serviteur. Très-humble valet. Va, va, Marquis, Moliere aura toujours plus de fujets qu'il n'en voudra, & tout ce qu'il a touché jusqu'ici n'est rien que bagatelle, au prix de ce qui reste. Voilà à peu près comme cela doit être joué.

BRECOURT.

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(à Mefdemoiselles du Parc, & Moliere. ) Là-deffus, vous arriverez toutes deux.

(à Mademoifelle du Parc.)

Prenez bien garde, vous, à vous déhancher, comme il faut, & à faire bien des façons. Cela vous contraindra un peu; mais qu'y faire? Il faut par fois fe faire violence.

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