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Ce trouble dévorant au cœur de tout poète,
Et dont souvent s'égare une jeunesse en feu,
N'a de remède ici que le retour à Dieu;
Seul il donne la paix, dès qu'on rentre en la voie;
Au mal inévitable il mêle un peu de joie,
Nous montre en haut l'espoir de ce qu'on a rêvé;
Et, sinon le bonheur, le calme est retrouvé. »

Et souvent depuis lors, en mon âme moins folle,
J'ai mûrement pesé cette simple parole;

Je la porte avec moi, je la couve en mon sein
Pour en faire germer quelque pieux dessein.
Mais quand j'en ai longtemps échauffé ma pensée,
Que la Prière en pleurs, à pas lents avancée,
M'a baisé sur le front comme un fils, m'enlevant
Dans ses bras, loin du monde, en un rêve fervent,
Et que j'entends déjà dans la sphère bénie
Des harpes et des voix la douceur infinie,
Voilà que de mon âme, alentour, au dedans,
Quelques funestes cris, quelques désirs grondants
Éclatent tout à coup, et d'en haut je retombe

Plus bas dans le péché, plus avant dans la tombe!

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Et pourtant aujourd'hui qu'un radieux soleil

Vient d'ouvrir le matin à l'Orient vermeil;
Quand tout est calme encor, que le bruit de la ville
S'éveille à peine autour de mon paisible asile;
A l'instant où le cœur aime à se souvenir,
Où l'on pense aux absents, aux morts, à l'avenir,
Votre parole, ami, me revient, et j'y pense;

Et consacrant pour moi le beau jour qui commence,
Je vous renvoie à vous ce mot que je vous dois,
A vous, sous votre vigne, au milieu des grands bois.
Là désormais, sans trouble, au port après l'orage,
Rafraichissant vos jours aux fraîcheurs de l'ombrage,
Vous vous plaisez aux lieux d'où vous étiez sorti;
Que verriez-vous de plus? vous avez tout senti.
Les heures qu'on maudit et celles qu'on caresse
Vous ont assez comblé d'amertume ou d'ivresse.
Des passions en vous les rumeurs ont cessé;
De vos afflictions le lac est amassé;

Il ne bouillonne plus; il dort, il dort dans l'ombre,
Au fond de vous, muet, inépuisable et sombre;
Alentour, un esprit flotte; et de ce côté

Les lieux sont revêtus d'une triste beauté.
Mais ailleurs, mais partout, que la lumière est pure!
Quel dôme vaste et bleu couronne la verdure!
Et combien cette voix pleure amoureusement!
Vous chantez, vous priez, comme Abel, en aimant;
Votre cœur tout entier est un autel qui fume:
Vous y mettez l'encens, et l'éclair le consume;
Chaque ange est votre frère, et, quand vient l'un d'entre eux,
En vous il se repose, ô grand homme, homme heureux!
Juillet 1829.

Depuis que cette pièce a été adressée à notre illustre poète, un affreux malheur (la mort de sa mère, brûlée dans un bain par accident) est venu la démentir, et montrer que pour le grand homme heureux, tout le lac des afflictions n'était pas amassé; il y manquait une goutte encore, et la plus amère. Janvier 1830.

VII

Sonnet.

L'autre nuit, je veillais dans mon lit sans lumière,
Et la verve en mon sein à flots silencieux
S'amassait, quand soudain, frappant du pied les cieux,
L'éclair, comme un coursier à la pâle crinière,

Passa; la foudre en char retentissait derrière,
Et la terre tremblait sous les divins essieux;
Et tous les animaux, d'effroi religieux
Saisis, restaient chacun tapis dans leur tanière.

Mais moi, mon âme en feu s'allumait à l'éclair; Tout mon sein bouillonnait, et chaque coup dans l'air A mon front trop chargé déchirait un nuage.

J'étais dans ce concert un sublime instrument: Homme, je me sentais plus grand qu'un élément, Et Dieu parlait en moi plus haut que dans l'orage.

Août 1829.

VIII

A Ernest Fouinet.

Nondum amabam, et amare amabam; quærebam quid ama

rem, amans amare.

SAINT AUGUSTIN, Confessions.

Naître, vivre et mourir dans la même maison;
N'avoir jamais changé de toit ni d'horizon;
S'être lié tout jeune aux vœux du sanctuaire;
Vierge, voiler son front comme d'un blanc suaire,
Et confiner ses jours silencieux, obscurs,

A l'enclos d'un jardin fermé de tristes murs;
Ou dans un sort plus doux, mais non moins monotone,
Vieillir sans rien trouver dont notre âme s'étonne;
Ne pas quitter sa mère et passer à l'époux
Qui vous avait tenue, enfant, sur ses genoux;
Aux yeux des grands parents, élever sa famille;
Voir les fils de ses fils sous la même charmille
Où jadis on avait joué devant l'aïeul;
Homme, vivre ignoré, modeste, pauvre et seul,
Sans voyager, sentir, ni respirer à l'aise,

Ni donner plein essor à ce cœur qui vous pèse;

Dans son quartier natal compter bien des saisons,
Sans voir jaunir les bois ou verdir les gazons;
Avec les mêmes goûts avoir sa même chambre,
Ses livres du collège, et son poêle en décembre;
Sa fenêtre entr'ouverte en mai, se croire heureux
De regarder un lierre en un jardin pierreux;
Tout cela, puis mourir plus humblement encore,
Pleuré de quelques yeux, mais sans écho sonore,
Sans flambeau qui longtemps chasse l'oubli vaincu,
O mon cœur, toi qui sens, dis! est-ce avoir vécu ?
Pourquoi non? Et pour nous qu'est-ce donc que la vie?
Quand aux jeux du foyer votre enfance ravie
Aurait franchi déjà bien des monts et des flots,
Et vu passer le monde en magiques tableaux;
Quand plus tard vous auriez égaré vos voyages,
Mêlé vos pleurs, vos cris au murmure des plages;
Semé de vous les mers, les cités, les chemins;
Loin d'aujourd'hui, d'hier, jeté vos lendemains
En avant au hasard, comme un coureur en nage
Lance un disque dans l'air qu'il rattrappe au passage;
Quand, sinistre, orageux, étourdi de vos bruits,
Vous auriez, sous le vent, veillé toutes vos nuits;
Vous n'auriez pas vécu pour cela plus peut-être
Que tel cœur inconnu qu'un village a vu naître,
Qu'un cloître saint ensuite a du monde enlevé
Et qui pria vingt ans sur le même pavé;
Vous n'auriez pas senti plus de joie immortelle,
Plus d'amères douleurs; vous auriez eu plus qu'Elle
Des récits seulement à raconter, le soir.

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