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tableaux un piquant de lumiere qui étonnoit. PHILIPPE Le caractère doux & tranquille de Meufnier MEUSNIER. Convenoit parfaitement à fon talent, qui demande une grande patience pour filer les moulures de l'architecture: on n'y voit cependant rien de fec ni de gêné; fes ouvrages, au contraire, ont du feu, de l'efprit & une grande liberté de main; la belle ordonnance s'y fait remarquer avec les beaux fonds de fes tableaux.

On lui demandoit, au sujet de ses élèves, comment, fans beaucoup de difpofition de leur part, il les rendoit habiles: Je reffemble, dit - il . à la pierre à aiguifer, qui étant elle même incapable de couper, met le fer en état de le faire. C'est la pensée d'Horace qui a dit:

Ergò fungar vice cotis, acutum
Reddere qua ferrum valet, exfors ipfa fecandi.
De Arte Poët. v. 304.

Meufnier fut employé dans ce tems-là pour les décorations du théâtre de Bruxelles. Ce n'étoit pas la premiere fois qu'il s'exerçoit dans ce genre; il en avoit donné des preuves dans quelques décorations qu'il avoit faites pour les ballets du Roi, & dans plufieurs perfpectives pour des maifons de Paris: c'étoit une occafion pour lui d'éraler la plus belle architecture, avec de grandes malles d'ombre & des coups de lumiere très-frappans; tout y eft raifonné, tout y eft réfléchi fans fortir de la plus parfaite vraisemblance.

Irréprochable dans fes mœurs, toujours attaché 2 à l'étude de fon art, on le trouvoit un peu parti

culier dans fa maniere de vivre. Enfin, après avoir rempli une longue carriere, jufqu'à l'âge de foixante-dix-neuf ans, il tomba malade d'une chûte dont il mourut, en 173+, laissant trois enfans de dix-fept qu'il avoit eus.

L'aîné, qui fuivit fon art, étoit élève de Largilliere, & après avoir donné des preuves de fa de fa capacité, il paffa en Angleterre où il eft mort: celui qui refte aujourd'hui, eft Infpecteur des turcies & levées de la Loire; il avoit auparavant, en qualité d'architecte & d'élève du fieur Laffurance, conduit le palais Bourbon, l'hôtel de Laffay la maifon de M. de Moras & d'autres bâtimens.

il

2

Le fieur, Mercier né à Paris, & qui eft mort y a long-tems, a été le meilleur élève de Meuf

nier.

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Les deffeins de ce peintre font per répandus dans le public; ils fe diftinguent par le bon goût de l'architecture & les grandes ordonnances qu'ils préfentent. Il arrêtoit ordinairement fes defleins d'un trait de crayon de mine, & les lavoit proprement à l'encre de la Chine, quelquefois il employoit la plume; le biftre & le ftyle de grain lui fervoient à fortifier les parties qui font fur le devant pour faire fuir les autres: les fonds font lavés de quelques eaux colorées pour former le ciel & le paysage; la perfpective linéale, ainfi que l'aërienne, y eft exactement observée, & l'on ne peut rien de mieux ordonné ni de plus régulier. On y voit quelquefois des figures de fa main tant pour remplir les niches qu'il pratiquoit dans les ordonnances d'architecture, que pour orner la fcè ne de fes tableaux.

On trouve, parmi un grand nombre de def

PHILIPPE

MEUSNIER,

feins que conferve fon fils, deux différens projets PHILIPPE lavés à l'encre de la Chine, pour orner un grand MEUSNIER. efcalier; il les avoit faits pour Verfailles, & l'un d'eux a été exécuté, & fe voit à l'escalier qui est à

gauche de la cour de marbre, en arrivant de Paris.

On n'a rien de gravé d'après lui.

NICOLAS DE LARGILLIERE.

NICOLAS DE CETTE vie a cela de fingulier ; c'est. Largilliere LARGILLIERE, lui-même qui en a dicté les mémoires deux ans avant

la mort. Ce peintre, à qui la qualité de Vandyck de la France n'a pu être conteftée que par Rigaud, a augmenté, en 1656, le nombre des grands. peintres nés dans la ville de Paris. Son pere, originaire de Beauvais, établi à Anvers, où il faifoit commerce de marchandises de France, y fit venir fon fils à l'âge de trois ans. A peine en eut-il atteint neuf, qu'un commerçant qui demeuroit ordinairement à Londres, dit à fon pere: Laiffezmoi le foin de conduire votre fils en Angleterre ; il verrale pays & apprendra la langue. Nicolas y alla effectivement, & y refta vingt mois, pendant lefquels fon unique foin fut de deffiner.

De retour à Anvers, fon pere qui le vouloit faire étudier, n'en fut détourné que par les amis, qui le porterent à feconder le penchant naturel que fon fils avoit pour la peinture, Entraîné, pour ainfi dire, par ce goût dominant, il entra à l'âge de douze ans chez Antoine Goubeau, peintre

Flamand renommé pour les bambochades, le NICOLAS payfage, les foires & les marchés : le jeune élève DE LARGILen peignoit les fruits, les fleurs, les poiffons, &. généralement tout ce qui fe vend dans les places: publiques; c'eft ainfi que fe dévelopa un génie. capable de tous les genres de peinture.

Largilliere avoit peint fecrettement, fur un pa pier huilé, une fainte famille qui ne put échapper. aux yeux de fon maître. Il lui demanda quel def fein ou quelle eftampe lui en avoit fourni l'idée : Je n'ai rien vû, répondit l'élève, je n'ai confulté que mon génie. Goubeau, qui en fut extrêmement furpris, le retint encore pendant dix-huit mois, & lui dit enfuite: Vous en fçavez affez pour travailler par vous même; allez & volez de vos propres ailes. Nicolas fortit ainfi à l'âge de dix-huit ans de chez fon maître, & trois mois après paffa en Angleterre, où pendant quatre ans il donna des preuves de fon fçavoir. Pierre Lely, premier peins tre de Charles II Roi d'Angleterre, lui fit accueil, & le fit employer, par le Surintendant des bâti mens du Roi, à raccommoder plufieurs tableaux de grands maîtres, & à en aggrandir d'autres pour placer dans les appartemens du château de Windfor Le Roi en parut très-content, furtout d'un Amour endormi placé sur une cheminée, dont le jeune homme avoit entiérement repeint les jambes endommagées par le tems. Ce Prince demanda à voir celui qui les avoit rétablies avec tant d'art; on lui amena Largilliere, &, le voyant fi jeune, il dir en François à quelques Milords qui l'accompa gnoient, ne feachant pas que le peintre l'enten dit: Regardez cet enfant, on ne les croiroit jamais, fi on ne le voyoit ; car ce n'est qu'un enfant. Le Roi lui Tiv

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LIERE.

NICOLAS DE LARGIL

LIERE.

fit l'honneur enfuite de lui demander fi on pouvoit voir des ouvrages entiérement de fa main : le peintre, au retour de Sa Majefté à Londres, lui en préfenta trois, qui mériterent les fuffrages & ceux de toute la Cour.

Les perfécutions, fi fréquentes en ce pays contre les Catholiques, fe réveillerent en ce tems-là, & ils eurent ordre de fortir promptement de Londres. Un François, qui étoit dans le cas, vint prendre congé de Largilliere, & lui dit qu'il partoit pour Paris le nom de cette ville fit naître à celui-ci l'envie de l'accompagner, & de revoir fa famille, dont il étoit féparé depuis long-tems. Tous fes parens lui demanderent leurs portraits à fon arrivée à Paris, & plufieurs autres perfonnes, entr'autres, le fameux Vander-Meulen, qui lui fit préfent de fon œuvre gravée. Il parla de lui à Charles le Brun, premier peintre du Roi, qui, craignant que Largilliere ne repartit pour Londres, & jugeant alors de ce qu'il feroit un jour, fit tout ce qu'il put pour le retenir. Largilliere fe fouvenoit encore dans un âge avancé des paroles de le Brun Mon ami, quand on peut briller dans fon pays, pourquoi porter fes talens ailleurs. Ce discours lui fit perdre auffitôt l'idée du voyage d'Angleterre, & le fixa à Paris.

Chacun s'empreffoit à exercer fes talens, & à étendre la gloire de fon nom. Un tableau du Parnaffe dont il fit préfent à un de fes amis, lui acquit l'eftime de tous les connoiffeurs. On ne parloit que dé fon habileté pour peindre les Dames, dont les graces, loin de diminuer, gagnoient beau, coup entre fes mains. En vain le Surintendant des bâtimens du Roi d'Angleterre lui écrivit pour

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