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LANCRET

& apprécié fuivant fa jufte valeur ; c'est ainfi que NICOLAS Lancret s'acquit une grande connoiffance des anciens maîtres. Son coup d'œil fur cela étoit infaillible. Un amateur voulut un jour l'éprouver au fujet d'une copie de Rembrant, repréfentant une Vierge, qu'il avoit fubftituée dans fon cabinet en la place & dans la même bordure que l'original. Sitôt que Lancret l'eut examinée, il s'écria, à un ami qu'il avoit mené avec lui: On nous trompe, ce n'eft pas-là l'original que j'ai vû ici plufieurs fois. Le curieux en demanda la raifon, & le peintre lui fit percevoir quelques fauffes touches fur les bras de l'enfant & de la Vierge; l'original, qu'on apporta dans le moment, confirma fon jugement.

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Cet habile artifte eftimoit peu les ouvrages faits de pratique: la nature conduifoit toujours fon pinceau, & il fe plaignoit à fes amis, de la trouver rarement auffi parfaite qu'il le defiroit. Les hommes, felon lui, n'étoient point des anges, ils ne pouvoient deviner ce qui n'étoit pas toujours lous leurs yeux: Si vous abandonnez trop tôt, dit-il, cette nature, vous deviendrez faux & manieré au point que, lorsque vous voudrez la confulter de nouveau, vous ne la verrez qu'avec des yeux de prévention, & ne la rendrez que dans votre maniere ordinaire.

Tout étoit étude pour Lancret: fon talent, pour ain'ì dire, marchoit avec lui; il ne voyoit que des modéles dans les promenades, & fouvent il quittoit fes amis pour deffiner féparément ce qui lui avoit plû. On lui avoit fait perdre l'habitude d'aller tous les hivers, étudier d'après le modèle à l'Académie, comme un fimple élève. Les fpectacles avoient remplacé cette occupation, & il y étoit extrêmement fenfible; its lui fourniffoient des E e iij

fujets pour fes tableaux, & des fcènes qui conveNICOLAS noient parfaitement à fon genre de peinture. Le LANCRET. Roi, qui aimoit fa maniere, lui commanda qua

rre deflus de porte, qui font des fujets champêtres, que l'on peut voir dans la galerie d'Apollon: il a fait de plus pour Sa Majefté, une collation fervie dans un jardin, qui eft placée dans la falle à manger des petits appartemens de Verfailles ; une chaffe d'un Léopard, attaqué par des hommes nus, fe voit dans la galerie des mêmes appartemens.

On eftime encore un tableau de Califto qu'on dépouille dans le bain, & un bal champêtre, compofé de plus de quarante figures, avec un morceau d'architecture formant une Rotonde fur un des côtés ; il a été expofé au falon du Louvre, & paffe pour un de fes plus beaux ouvrages,

Nicolas Lancret s'eft toujours diftingué par une grande vérité, une belle exécution, de riches compofitions, des grouppes bien ménagés, des figures gracieuses, une légèreté de pinceau furprenante. Ces talens ont fait naître les deux vers fui

vans :

Son facile pinceau, rival de la nature,

Sut la toile, de l'art nous cache l'impofture.

Quelle variété n'a-t-il pas mife dans des sujets auffi
ufés, auffi rebatus que les Elemens, les Saifons,
les quatre Parties du monde, les Heures du jour,
les douze Mois de l'année, les cinq Sens de na-
ture? Il
y en a qu'il a traités jufqu'à deux ou trois
fois, & toujours différemment. Avec tous ces
avantages, peut-on le mettre au-deffus de Wateau,
comme a fait un de fes amis, qui a publié fon

NICOLAS

éloge? Un (a) célébre journaliste a si bien dit : L'amitié eft prodigue d'hyperboles; elle corrompt notre jugement prefqu'autant que la haine & l'envie; c'eft LANCRET que le cœur juge toujours mal; c'est l'affaire de l'ef prit.

L'imagination, qui faifoit fans ceffe créer des ouvrages à Lancret, alloit jufqu'à l'enthousiasme; & ce feu qui le dévoroit, ne pouvoit résister long. tems à un auffi grand épuisement, qui faifoit fouvent craindre pour fa vie. Il avoit conçu, avant fa mort, le fujet d'un tableau, où un Savoyard faifoit voir la curiofité: on le furprit un jour, entouré d'une troupe de filles montrant la marmotte, qu'il avoit difpofées dans des attitudes les plus grotefques. Ce tableau étoit fort avancé, & il n'y manquoit plus que l'accord général, lorsqu'il fut attaqué d'une fluxion de poitrine, qui l'enleva en 1745, à l'âge de cinquante-quatre ans. Il n'a laiffé ni enfans ni élèves fa veuve étoit petite fille du fameux Bourfault, fi connu dans la Littérature; il l'avoit épousé deux ans avant fa mort, par inclination, & lui a laiflé tous fes biens.

:

Ses ouvrages font répandus de tous côtés, & il en eft paffé beaucoup chez les étrangers qui font un grand cas de fes compofitions: comme ils font peints avec amour & avec une grande pureté, ils fe défendront beaucoup mieux de l'injure du tems que les tableaux de Wateau, qui font aujourd'hui prefque méconnoiffables.

Ses deffeins font affez femblables à ceux de ce maître, excepté qu'étant plus finis, ils font moins

(a) L'Abbé des Fontaines, Jugemens fur quelques ouvrages nouveaux. Tome I. page, 144

NICOLAS

pleins de feu. Les figures n'y péchent pas pour être trop courtes, & il avoit encore rencheri fur Wateau LANCRET à cet égard, on y trouve cependant de la correction, beaucoup de légèreté de main, du gracieux : fon amour pour fon art lui faifoit rechercher juf qu'aux moindres chofes. Le goût de ses tableaux indique celui de fes deffeins.

Ses Eftampes gravées par les plus habiles graveurs, font connoître l'abondance & la fécondité de fon génie elles montent à plus de quatre-vingt piéces fçavoir, les quatre Saifons, traitées de deux maniéres différentes, gravées par Larmeffin; les quatre Parties du jour, en hauteur, par M. Horthemels; les Ages & les Elemens, par Defplaces, Tardieu pere, & Benoît Audran fils; les cinq Sens de nature, par Larmeffin; deux morceaux en hauteur, qui font des converfations, gravés par C. N. Cochin; une recréation champêtre, par Joullain; une converfation galante, qui eft fon tableau de réception, gravé par le Bas; deux fujets galans, grandes pièces, par le même & par Cochin le pere; quelques contes de la Fontaine, par Larmeffin; le théâtre Italien; les Demoifelles Camargo & Sallé, danfant dans une campagne, & entourées de muficiens; le Glorieux & le Philofophe marié quelques titres de livres de mufique, &c.

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NOEL-NICOLAS
COYPE 'L.

LA famille des Coypel a fourni fucceffivement NOEL-
des fujets diftingués dans la peinture: nous avons NICOLAS
déja écrit les vies de Noël & d'Antoine Coypel. COY PE L.
Il s'agit préfentement de Noël - Nicolas Coypel,
appellé ordinairement Coypel l'oncle, fils de Noël
& frere d'Antoine. Sa naiffance est marquée à Paris
en 1692, il provenoit du fecond mariage de Noël,
& fon frere Antoine, qui étoit du premier lit
avoit trente-un ans lorfque Noël-Nicolas vint au
monde.

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Il apprit de fon pere les élémens de la peintu re, & eut le malheur de le perdre lorfqu'il n'avoit que quinze ans. Sa mere auffitôt voulut le placer dans les bureaux; mais la facilité pour le deffein, qu'il avoit fait entrevoir dès fa plus tendre jeuneffe, la détermina à laiffer à son fils fuivre un penchant qui lui étoit fi naturel, &, pour ainfi dire, héréditaire. Des études affidues, les figures antiques dont il s'eft fervi utilement, de grandes réflexions fur fon art, contribuerent à le perfectionner. La difproportion d'âge entre les deux freres, un peu de jaloufie de métier, n'avoit pas lié entr'eux une amitié fort étroite. NoëlNicolas travailloit de fon côté à fon avancement, & remporta plufieurs fois le prix de l'Académie. Selon l'ufage ordinaire, on devoit le nommer

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