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« M. de Cinq-Mars, ayant salué ceux qui étaient près de l'échafaud, se couvrit et monta gaiement l'échelle. Au second échelon, l'archer du prévôt s'avança à cheval et lui ôta par derrière son chapeau de dessus la tête; lors il s'arrêta tout court, et se tournant, dit : « Laissez-moi mon chapeau! » Le prévôt, qui était près, se fâcha contre son archer qui lui remit en même temps son chapeau sur la tête, qu'il accommoda comme mieux lui semblait, puis acheva de monter courageusement.

« Il fit un tour sur l'échafaud, comme s'il eût fait une démarche de bonne grace sur un théâtre, puis il s'arrêta et salua tous ceux qui étaient à sa vue, d'un visage riant; après, s'étant couvert, il se mit en une fort belle posture, ayant avancé un pied et mis la main au côté, il considéra toute cette grande assemblée d'un visage assuré qui ne témoignait aucune peur, et fit encore deux ou trois belles démarches.

<< Son confesseur étant monté, il le salua, chapeau devant lui, sur l'échafaud; il embrassa étroitement ce père qui, pendant cet embrassement, l'exhorta d'une voix basse de produire quelques actes d'amour de Dieu, ce qu'il fit d'une grande ardeur.

<< De là, il se mit à genoux aux pieds de son confesseur qui lui donna la dernière absolution; laquelle ayant reçue avec humilité, il se leva et s'alla mettre à genoux sur le bloc, et demanda : « Estce ici, mon père, où il me faudra mettre? » Et comme il sut que c'était là, il essaya son cou, l'appliquant sur le poteau; puis s'étant relevé, il demanda s'il fallait ôter son pourpoint, et comme on lui eut dit que oui, il se mit en devoir de se déshabiller, et dit : « Mon père, je vous prie, aidez-moi. » Lors le père et son compagnon lui aidèrent à le déboutonner et à lui ôter son pourpoint; il garda toujours ses gants, que l'exécuteur lui ôta après sa mort.

« L'exécuteur s'approcha avec des ciseaux, que M. de Cinq-Mars lui ôta des mains, ne voulant pas qu'il le touchât, et les ayant saisis, les présenta au père, disant : « Mon père, je vous prie, rendezmoi ce dernier service, coupez-moi mes cheveux. » Le père les donna à son compagnon pour les lui couper, ce qu'il fit. Cependant il regardait doucement ceux qui étaient proche de l'échafaud, et dit au frère : « Coupez-les-moi bien, je vous prie. >> Puis élevant les yeux vers le ciel, il dit : « Ah! mon Dieu, qu'est-ce que le monde! » Après qu'ils furent coupés, il porta les deux mains à sa

tête comme pour raccommoder ceux qui restaient à côté ; le bourreau s'étant avancé presque à côté de lui, il lui fit signe de la main qu'il se retirât. Il fit de même deux ou trois fois; il prit le crucifix et le baisa; puis l'ayant rendu, il s'agenouilla derechef sur le bloc, devant le poteau qu'il embrassa; et voyant en bas devant soi un homme qui était à M. le grand-maitre, il le salua et lui dit : « Je vous prie d'assurer à M. de La Melleraye que je suis son très humble serviteur. » Puis s'arrêta un peu et continua : « Dites-lui que je le prie de faire prier Dieu pour moi. » Ce sont ses propres mots.

« De là l'exécuteur vint par derrière avec ses ciseaux pour découdre son collet qui était attaché à sa chemise; ce qu'ayant fait, il le lui ôta, le faisant passer par-dessus sa tête. Puis lui-même ayant ouvert sa chemise pour mieux découvrir son cou, ayant les mains jointes dessus le poteau qui lui servait comme d'un accoudoir, il se mit en prières.

« On lui présenta le crucifix, qu'il prit de la main droite: tenant le poteau embrassé de la gauche, le baisa, le rendit, et demanda ses médailles au compagnon de son confesseur, lesquelles il baisa, et dit trois fois Jésus; après il les lui remit; et se tournant hardiment vers l'exécuteur qui était là debout, et n'avait pas encore tiré son couperet d'un méchant sac qu'il avait apporté sur l'échafaud, lui dit : « Que fais-tu là? qu'attends-tu? » Son confesseur s'étant retiré sur l'échelle, il le rappela, et lui dit : « Mon père, venez-moi aider à prier Dieu. » Il se rapprocha et s'agenouilla auprès de lui, lequel récita d'une grande affection Salve regina d'une voix intelligible; sans hésiter, pesant toutes ces belles paroles et particulièrement étant arrivé à ces mots: Et Jesum benedictum fructum ventris tui nobis post hoc exilium ostende, et le reste; il se baissait et levait les yeux au ciel avec dévotion, et d'une façon toute ravissante. Après, son confesseur pria, de sa part, ceux qui étaient présens, de dire pour lui un Pater noster et un Ave Maria.

<< Pendant quoi, l'exécuteur tira de son sac un couperet (qui était comme celui des bouchers, mais plus gros et plus carré); enfin, ayant levé d'une grande résolution les yeux au ciel, il dit : « Allons mourir! Mon Dieu, ayez pitié de moi! » Puis d'une constance incroyable, sans être bandé, posa fort proprement son cou sur le

poteau, tenant le visage droit tourné vers le devant de l'échafaud; et embrassant fortement de ses deux bras le poteau, il ferma les yeux et la bouche, et attendit le coup que l'exécuteur lui vint donner assez lentement et pesamment, s'étant mis à sa gauche et tenant son couperet des deux mains. En recevant le coup, il poussa d'une voix forte comme: Ah! qui fut étouffé dans le sang; il leva les genoux de dessus le bloc, comme pour se lever, et retomba en la même assiette qu'il était.

« La tête ne s'étant pas entièrement séparée du corps par ce coup, l'exécuteur passa à sa droite, par derrière, et, prenant la tête par les cheveux de la main droite, de la main gauche il scia, avec son couperet, une partie de la trachée-artère, et la peau du cou qui n'était pas coupée; après quoi il jeta la tête sur l'échafaud, qui, de là, bondit à terre, où l'on remarqua qu'elle fit encore un demi-tour et palpita assez long-temps. Elle avait le visage tourné vers les religieuses de Saint-Pierre, et le dessus de la tête vers l'échafaud, les yeux ouverts.

« Son corps demeura droit comme le poteau qu'il tenait toujours embrassé, tant que l'exécuteur le tira de là pour le dépouiller; ce qu'il fit; puis il le couvrit d'un drap et mit son manteau par-dessus. La tête, ayant été rendue sur l'échafaud, elle fut mise auprès du corps, sous le même drap.

« M. de Cinq-Mars étant mort, on leva la portière du carrosse, d'où M. de Thou sortit d'un visage riant, lequel ayant fort civilement salué ceux qui étaient là auprès, monta assez vite et généreusement sur l'échafaud, tenant son manteau plié sur le bras droit, où, d'abord jetant son manteau d'une face allègre, courut les bras étendus vers son exécuteur qu'il embrassa et baisa en disant : « Ah! mon frère, mon cher ami, que je t'aime; il faut que je t'embrasse, puisque tu me dois causer aujourd'hui un bonheur éternel: tu dois me mettre dans le paradis. » Puis, se tournant sur le devant de l'échafaud, il se découvrit et salua tout le monde, et jeta derrière soi son chapeau, qui tomba sur les pieds de M. de Cinq-Mars. De là, se retournant vers son confesseur, il dit, d'une grande ardeur: « Mon père, spectaculum facti sumus mundo, et angelis, et hominibus. »

« Le père lui ayant dit quelques paroles de dévotion qu'il écou

tait attentivement, il lui dit qu'il avait encore quelque chose à dire touchant sa conscience, se mit à genoux, lui déclara ce que c'était, et reçut la dernière absolution, s'inclinant fort bas. Laquelle ayant reçue, il ôta son pourpoint et se mit à genoux et commença le psaume 115, qu'il récita par cœur et paraphrasa en français, presque tout au long, d'une voix assez haute et d'une action vigoureuse, avec une ferveur indicible, mêlée de sainte joie. « Il est vrai que j'ai trop de passion pour cette mort, disait-il; n'y a-t-il point de mal? mon père (dit-il plus bas en souriant, se tournant à côté vers le père), j'ai trop d'aise; n'y a-t-il point de vanité? Pour moi, je n'en veux point. >>

Tout cela fut accompagné d'une action si vive, si gaie et si forte, que plusieurs de ceux qui étaient éloignés pensaient qu'il fût dans des impatiences, et qu'il déclamait contre ceux qui étaient cause de sa mort.

« Après ce psaume, étant encore à genoux, il tourna sa vue à main droite, et voyant un homme qu'il avait embrassé dans le palais, parce qu'il le rencontra avec un huissier du conseil qu'il connaissait, il le salua de la tête et du corps, et lui dit gaiement : « Monsieur, je suis votre très humble serviteur.»

« Il se leva, et l'exécuteur s'approchant pour lui couper les cheveux, le père lui ôta les ciseaux pour les donner à son compagnon; ce que M. de Thou voyant, il les lui prit des mains, disant : « Quoi! mon frère, croyez-vous que je le craigne? n'avez-vous pas bien l'ai embrassé? Je le baise, cet homme-là, je le baise! Tiens, mon ami, fais ton devoir, coupe-moi les cheveux. » Ce qu'il commença de faire, mais, comme il était lourd et maladroit, le père lui ôta les ciseaux et les fit couper par son compagnon; pendant quoi il regardait, d'un visage assuré et riant, à ceux qui étaient les plus proches, levait quelquefois amoureusement les yeux au ciel, et s'étant levé quelque peu de temps, il prononça cette belle sentence de saint Paul.

« Non contemplantibus nobis quæ videntur, sed quæ non videntur : Quæ enim videntur, temporalia sunt ; quæ autem non videntur, æterna. » « Les cheveux coupés, il se mit à genoux sur le bloc, et fit une offrande de soi-même à Dieu avec des paroles et des sentimens que je ne puis exprimer. Il demanda à tous un Pater et un Ave Maria

avec des paroles qui perçaient le cœur, baisa le crucifix avec grand sentiment d'amour, demanda les médailles pour gagner l'indulgence, puis dit :

« Mon père, ne me veut-on point bander? » Et comme le père lui répondit que cela dépendait de lui, il dit : « Oui, mon père, il me faut bander. » Et regardant ceux qui étaient les plus proches, dit: « Messieurs, je l'avoue, je suis poltron ; je crains de mourir. Quand je pense à la mort, je tremble, je frémis, mes cheveux se hérissent; et si vous voyez quelque peu de constance en moi, attribuez cela à notre Seigneur, qui fait un miracle pour me sauver; car effectivement, pour bien mourir en l'état où je suis, il faut de la résolution; je n'en ai point, mais Dieu m'en donne, et me fortifie puissamment. >>

<< Puis il mit les mains dans ses pochettes pour y chercher son mouchoir, afin de se bander, et l'ayant tiré à moitié, il le resserra et pria de fort bonne grace ceux qui étaient en bas de lui jeter un mouchoir. Aussitôt on lui en jeta deux ou trois; il en prit un et fit grande civilité à ceux qui lui avaient jeté, promettant de prier Dieu pour eux au ciel, n'étant pas en son pouvoir de leur rendre ce service dans ce monde. L'exécuteur vint pour le bander de ce mouchoir; mais comme il le faisait fort mal, mettant les coins du mouchoir en bas, qui couvraient sa bouche, il le retroussa et s'accommoda mieux.

« Après il mit son cou sur le poteau (qu'un frère jésuite avait torché de son mouchoir, parce qu'il était tout moite de sang), et demanda à ce frère s'il était bien, qui lui dit qu'il fallait qu'il avancât un peu davantage sa tête sur le devant, ce qu'il fit. En même temps l'exécuteur, s'apercevant que les cordons de la chemise n'étaient point déliés et qu'ils lui tenaient le cou serré, s'avança pour les délier ; ce qu'ayant senti, il demanda : « Qu'y a-t-il? fautil encore ôter la chemise?» Et se disposait déjà à l'ôter. On lui dit que non, et qu'il fallait seulement ôter les cordons.

« Et ayant mis sa tête sur le poteau, il prononça ses dernières paroles, qui furent: « Maria, mater gratiæ, mater misericordiæ, nos ab hoste protege, et hora mortis suscipe. » Puis : « In manus tuas, Domine. » Et tous ses bras commencèrent à tremblotter, en attendant le coup qui fut donné tout en haut du cou, trop près de la

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