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ment de cette circonstance: ce n'était pas assez d'avoir profané le nom, on avait encore profané les cendres. Aussi me gardai-je de manquer à sa recommandation; mais le tombeau n'y était plus; il avait été acheté et transporté dans le musée d'Avignon; quant aux ossemens, on ne savait ce qu'ils étaient devenus.

Nous visitâmes ces débris qui avaient été habités au temps de leur splendeur par un de ces hommes que Richelieu trouva de si haute taille, qu'il trancha la tête à toute leur race. Jacques II de Chabanne était un géant parmi les géans. C'était un homme comme Bourbon, un homme comme Bayard, un homme comme Trivulce, qui étaient trois hommes plus grands que le roi. Il fit la conquête de Naples avec Charles VIII et celle du Milanais avec Louis XII; il fut juge du camp le jour où Sotomajor fut tué; il fut général le jour où Ravennes fut prise; il fut maréchal à Marignan, près de François Ier vainqueur; il fut soldat à Pavie près de François Ier vaincu. Là, tombé sous son cheval au milieu d'ennemis abattus par lui, son épée qu'il tenait encore fut disputée par Castaldo qui était un capitaine italien, et par Busarto qui était un capitaine espagnol, et comme il ne voulait se rendre ni à l'un ni à l'autre, et qu'il voulait mourir, étant trop vieux pour être vaincu et prisonnier, Busarto appuya le bout de son arquebuse sur sa cuirasse et lui brisa la poitrine à bout portant; et il fallut cela pour qu'il lâchât ce tronçon d'épée, tant disputé par ses vainqueurs. Ce fut ainsi, dit Brantôme, qu'ayant eu bon commencement, il eut bonne fin.

Et maintenant, soyez donc l'épée de trois rois, le témoin de Bayard, le vainqueur de Gonzalve, l'ami de Maximilien et le vengeur de Nemours; teignez donc de votre sang les fossés de Barlette, les remparts de Rubos, les plaines d'Agnadel et les champs de Guinegate; comptez donc au nombre des vainqueurs de Marignan et des invaincus de Pavie; mourez donc pour ne pas rendre votre épée là où le roi de France rendait la sienne; et tout cela pour qu'il reste de votre berceau une ruine, de votre nom un souvenir ridicule, et de votre tombe une auge dans laquelle se désaltèrent les chevaux ! La postérité est pour quelques-uns plus ingrate encore que les rois.

Les seuls descendans du maréchal de la Palisse sont deux jeunes et braves officiers, qui ont déjà eu chacun trois ou quatre

duels, parce qu'ils ont le malheur de porter un des plus beaux noms de France.

C'est à Lyon qu'on trouve les premières traces visibles de la domination romaine : c'est donc en arrivant à Lyon que nous donnerons un court précis de la manière dont cette domination apparut et s'étendit dans les Gaules.

Avant cette époque, la terre qui forme aujourd'hui la France appartenait presque entièrement à ce peuple qui ne craignait rien, disait-il, que la chute du ciel, et qui envoya un de ses Brenns pour brûler Rome et l'autre pour piller Delphes : son sol était riche, non-seulement en fleuves, en moissons et en forêts, mais encore en mines; les Alpes, les Pyrénées et les Cévennes recelaient des filons d'or et d'argent qu'elles cachaient à peine sous une légère couche de terre; les côtes de la Méditerranée fournis→→ saient ce grenat si fin et si brillant, que ce pourrait bien être l'escarboucle fabuleuse des anciens, que les modernes ont cherchée vainement; enfin, les Ligures pêchaient, autour des îles d'Hières, ce corail magnifique dont ils ornaient le cou de leurs femmes et le baudrier de leurs épées. Dans ce temps florissait Tyr, et ses matelots sillonnaient la Méditerranée et l'Océan de leurs mille galères. Parmi ses fils elle comptait un dieu; c'était Hercule, Hercule né le jour même de la fondation de la ville, Hercule voyageur intrépide reculant les bornes du monde, et lui fixant de nouvelles limi→ tes, Hercule qui n'est autre chose que le génie tyrien, à la fois belliqueux et commercial, puissant par le fer et par l'or, auxquels rien ne peut résister, et qui représente aux yeux de quiconque a essayé de sonder les symboles antiques, non pas un homme, non pas un héros, non pas un dieu, mais un peuple.

C'est à l'embouchure du Rhône qu'Hercule pose le pied; à peine a-t-il fait quelques lieues dans l'intérieur des terres qu'il est attaqué par Ligur et Alb, enfans de Neptune; il épuise ses flèches et va succomber, lorsque Jupiter vient à son secours en faisant tomber du ciel cette pluie de cailloux qui couvrent encore aujourd'hui la plaine de la Crau. Hercule vainqueur fonde une ville qu'en mémoire de son fils il appelle Nemausos: cette ville, c'est Nimes, dont le nom moderne conserve quelque chose encore de son baptême antique.

Ici l'allégorie est transparente et le symbole visible : la civilisation orientale incomprise et méprisée par les barbares a mis le pied sur la terre d'Occident. La barbarie a été vaincue, et le trophée de la victoire remportée par la plaine sur la montagne est la fondation d'une ville; alors la mission d'Hercule dans les Gaules est accomplie : comme dernier monument de son passage, les dieux le virent, dit Silius Italicus:

Scindentem nubes, frangentemque ardua montis.

Et dès lors il y eut une voie qui conduisit des côtes gauloises. aux plaines d'Italie en traversant le col de Tende. C'est la première que l'on connaisse; elle date de mille ans avant le Christ, et quoique aujourd'hui elle compte vingt-huit siècles, elle porte encore le nom de Chaussée tyrienne.

Tyr, condamnée par le prophète Ezéchiel, et assiégée par les armées de Nabuchodonosor, touchait à sa décadence; ses colonies languissantes agonisaient loin de la métropole comme des membres auxquels le cœur n'envoie plus de sang. La civilisation rhodienne avait vainement voulu raviver les établissemens de ceux auxquels elle succédait dans l'empire des mers; ces Hollandais de l'ancien monde disparurent bientôt à leur tour, après avoir, en souvenir de leur pays, bâti Rhoda ou Rhodanousia près des bouches libyques du Rhône, et en disparaissant, ils laissérent s'éteindre presque entièrement le commerce un instant si actif entre l'Orient et la Gaule.

Les naturels du pays profitèrent de ce moment de reflux pendant lequel la civilisation d'Orient abandonnait les côtes méridionales des Gaules pour les rivages septentrionaux de l'Afrique, où commençait à fleurir Carthage. Les Segobriges, tribu gallique libre parmi les Ligures, s'étendirent alors depuis le Var jusqu'au Rhône, et la barbarie occidentale commençait à effacer les traces de la civilisation d'Orient, lorsqu'un vaisseau phocéen jeta l'ancre à l'est du Rhône: son capitaine était un jeune aventurier parti de l'Asie pour un voyage de découvertes; il mit pied à terre et vint demander l'hospitalité au chef barbare qui commandait sur ces côtes.

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C'était par hasard jour de fête le roi Nann mariait sa fille qu'Aristote nomme Petta, et que Justin appelle Gyptis; tous les guerriers qui avaient des prétentions à sa main venaient de s'asseoir sur des bottes de foin et de paille autour d'une table très basse chargée de venaison et d'herbes cuites: c'est qu'à la fin du repas la jeune fiancée, dont on ne connaissait pas encore l'époux, devait entrer portant à la main une coupe pleine de vin tiré d'Italie, car la vigne n'était point encore naturalisée dans les Gaules, et présenter cette coupe à celui qu'elle choisissait pour époux. En ce moment se présenta Euxène; Nann se leva pour le recevoir, car l'étranger était le bienvenu, sous le palais comme sous la chaumière gauloise, et le faisant asseoir à sa droite, il l'invita à prendre part au festin.

Vers la fin du repas, la porte de la chambre s'ouvrit et la fille de Nann parut. C'était une belle Gauloise, à la taille élancée et flexible comme un roseau, aux cheveux blonds et aux yeux bleus; elle s'arrêta un instant sur le seuil pour choisir, dans cette assemblée guerrière, celui dont elle allait faire un roi; alors au milieu de ces soldats sauvages et de haute stature, aux cheveux rougis par l'eau de chaux et aux moustaches rousses, à la saie rayée et attachée au-dessous du menton avec une agrafe de métal, elle aperçut un jeune homme d'une beauté inconnue au pays où elle était née. Il avait des yeux et des sourcils bruns, de longs cheveux noirs parfumés, une chlamyde blanche qui laissait voir ses bras nus et ses mains efféminées, un bonnet, un manteau et des sandales de pourpre. Soit fascination, soit caprice, son regard ne put se détacher de l'étranger; elle marcha droit à lui, et au mépris des guerriers qui l'entouraient, elle lui présenta la coupe avec un doux sourire. A l'instant tous les convives se levèrent en murmurant; mais, dit Aristote, Nann crut reconnaître dans cette action une impulsion supérieure et un ordre de ses dieux; il tendit la main au Phocéen, l'appela son gendre, et donna pour dot à sa fille le golfe même où son époux avait pris terre. Euxène renvoya aussitôt sa galère à Phocée avec le tiers de ses compagnons, chargés de recruter des colons dans la mère-patrie, et avec ceux qui lui restaient il jeta sur le promontoire qui s'avançait dans la Méditerranée les fondemens d'une ville qu'il appela Massalia, et

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que plus tard et successivement les Latins appelèrent Marsilia, les Provençaux Marsillo, et les Français Marseille.

Cependant les messagers d'Euxène, revenus à Phocée, racontèrent ce qu'ils avaient vu et comment leur capitaine était devenu le gendre d'un roi, le fondateur d'une colonie, et demandait à la ruche maternelle un nouvel essaim pour peupler sa ville. Au récit de cette histoire merveilleuse, les aventuriers se présentèrent en foule; le trésor public leur fournit des vivres, des outils et des armes. Ils se munirent de plants de vignes et d'oliviers, et au moment de lever l'ancre, ils transportèrent sur le vaisseau d'Euxène du feu pris au foyer sacré de Phocée, et qui devait brûler éternellement à celui de Massalia, qui recevait ainsi par cette flamme, emblème de la vie, sa véritable existence de sa mère; puis aussitôt les longues galères phocéennes, dont Hérodote a compté les cinquante rames, se mirent en route pour Éphèse, où l'oracle avait ordonné aux émigrans d'aborder. Là, ils trouvèrent une femme de famille noble qui avait eu de la grande déesse éphésienne une révélation, par laquelle elle lui avait ordonné de prendre une de ses statues et de la transporter dans les Gaules. Les Phocéens accueillirent avec joie la prêtresse et la divinité; et après une heureuse traversée, ils abordèrent à Massalia,`où Aristarché établit le culte de Diane.

Massalia grandit ainsi au milieu des nations environnantes qui, d'abord, tentèrent de s'opposer à sa prospérité, mais qui, bientôt, occupées elles-mêmes des troubles intérieurs de la Gaule, la laissèrent bâtir sur son sol de sable ses maisons de bois couvertes de chaume; car elle réservait, dit Vitruve, pour les édifices publics ou sacrés le marbre qu'elle tirait du Dauphiné, et les tuiles qu'elle pétrissait d'une argile si légère que, plongées dans l'eau, elles surnageaient comme du bois. Cependant le jour de la décadence qui était venu pour Tyr, et qui devait venir pour Carthage, se levait sur Phocée, la mère-patrie. Cyrus, qui avait conquis une partie de l'Asie-Mineure, la faisait assaillir par un de ses lieutenans. Après une résistance héroïque, les assiégés, voyant qu'ils ne pouvaient tenir plus long-temps, pensèrent à leurs compatriotes, qui avaient trouvé l'hospitalité sur la terre d'Occident, et transportant sur leurs galères leurs meubles les plus précieux, leurs fa

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