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Si vous jetez un regard en arrière sur la semaine qui s'achève, elle vous semblera d'abord vide d'évènemens; cependant avec un peu d'attention, vous y trouverez plusieurs choses presque également importantes Les réunions de la petite maison de M. Guizot, une course au Champ-de-Mars, dérangée par la pluie, la fin de l'exposition, un régicide condamné à mort et gracié. Sous la restauration, vous auriez parlé de tout cela pendant trois mois, aujourd'hui vous en avez pour un jour, et vous demandez ce qu'il y a de nouveau! Autrefois, la politique marchait à petits pas, et tout le monde était au courant; à présent les évènemens se succèdent avec rapidité, et vous voyez à côté des gens qui ne vivent que de nouvelles, d'autres si indifférens à ce qui se passe, si arriérés, que vous les croiriez au retour d'un voyage à Maroc.

Les courses du Champ-de-Mars offraient le spectacle d'une véritable désolation; mais la curiosité proverbiale des Parisiens ne s'est pas démentie : on y est venu avec la certitude de se voir mystifié, de s'enrhumer et de perdre ses habits. Le programme était intéressant, et nulle considération n'arrête le bourgeois excité par l'attrait d'un programme. La lice devait s'ouvrir pour les chevaux de toutes races. C'était une joute démocratique, où le mérite obscur avait la chance de briller. Une réputation éclatante, une récompense, pouvaient être gagnées en trois minutes par un animal d'origine obscure. Jusqu'à présent, le cheval le meilleur n'avait pas le droit d'entrer dans l'arène sans présenter ses lettres de noblesse. La pureté du sang était vérifiée avec une rigueur extrême, et ne croyez pas qu'il fût possible de tromper les juges, ni de se procurer à prix d'argent des titres douteux. Des hommes de peu, comme disait le duc de Saint-Simon, trouvaient jadis à faire leur chemin à la cour; il n'en a jamais été de même au Champ-de-Mars pour les bêtes. La force et l'agilité ne servaient de rien à celui qui possédait ces qualités, s'il ne les tenait d'un père illustre et d'une mère vertueuse. Les familles des chevaux sont à l'abri du moindre reproche; la plus légère infraction aux devoirs d'épouse est constatée par des témoins, et le bâtard, honni et méprisé, se voit condamné au néant. Les avenues de toutes les carrières lui sont fermées. Du moins il en était ainsi jusqu'à ce jour; mais les bienfaits de notre glorieuse révolution se sont répandus jusque sur les quadrupèdes. S'il est parmi ces nobles bêtes des malheureux qui aient connu les tourmens de l'Antony de M. Alexandre Dumas, ils doivent ouvrir leurs cœurs à l'espérance, et faire trêve à leurs misanthropiques pensées; le préjugé est détruit depuis cette année seulement. Chacun a le droit de courir et d'être couronné s'il a des talens, même le fruit ignoré d'une faute. Tous les chevaux sont égaux devant la loi.

Aussi j'ai bravé la face maussade du ciel pour aller applaudir aux débuts de quelque béte généreuse, n'ayant d'autre recommandation que sa force et son courage. Je m'apprêtais à faire des vœux pour son triomphe, et j'aurais lu avec plaisir, en cherchant le nom du vainqueur, ces mots qui excitent un triste intérêt : « Père et mère inconnus! » — - Je fus trompé dans mon attente; les prix étaient disputés par les gentilshommes de la race chevaline. Les concurrens sortaient d'écuries aristocratiques; ils appartenaient à lord Seymour, à M. de Cambis, etc.; je n'ai vu que des noms déjà célèbres, et le plus mal né des jouteurs était noble au moins par les jumens! Aucun roturier ne s'était présenté! quelle leçon de modestie et de réserve pour l'espèce présomptueuse des hommes! quel sentiment des convenances! Mais ne serait-ce pas plutôt l'insouciante habitude de l'esclavage? Espérons qu'il n'en est rien. Chevaux sans noms, réveillez-vous; vos chatnes sont tombées!

A peine déçu dans mes espérances, je fus mis en fuite comme les autres par une pluie à torrens. Chemin faisant, je me demandais, au retour, pourquoi cette foule empressée pour voir de loin et très imparfaitement un spectacle qui ne la touche guère, tandis que plusieurs de nos théâtres ont peine, chaque soir, à gagner de quoi subvenir à leurs frais? La solution n'est pas difficile à trouver : c'est qu'à la porte du théâtre on est arrêté si on ne tire son argent de sa bourse. Entre le plaisir qu'il faut payer et celui qu'on a pour rien, la différence est grande. Lorsque vous êtes prié de mettre la main à la poche, ne fût-ce que pour en sortir la moindre pièce de monnaie, l'empressement diminue aussitôt sensiblement. On veut se divertir pour son argent, et on devient d'une grande exigence. Pour aller aux plaisirs qui ne coûtent rien, on affronte la pluie et les vents, on s'expose à gagner une maladie qui vous alite et vous ruine, on gâte pour cent francs de hardes; mais supposez qu'on fasse payer cinq sous à la porte du Musée, vous éliminez du même coup la moitié du public, à savoir les fantassins et les bonnes d'enfans; -vingt sous, et on se promeneraît à l'aise dans les galeries; — cinq francs, et le Louvre serait désert! Vainement Delaroche, Horace Vernet, Ziegler, Robert lui-même ou M. Ingres auraient exposé des merveilles, les cinq francs à payer arrêteraient court l'élan généreux vers les sublimes productions des arts. Chacun se verrait singulièrement gêné par une arrière-pensée : « Pour cinq francs, on a une stalle au Vaudeville, » dirait l'écolier en vacances. « On va déjeuner à Versailles, » dirait l'employé. « On donne à sa femme un verre en cristal, ou à sa fille une paire de souliers, » dirait le père de famille.Il n'est personne qui n'eût au moins un instant d'hésitation. O génération de supputateurs! que tu sais bien le prix de chaque chose! Je connais

des gens millionnaires qui passent leur vie à importuner les directeurs de théâtres ou de journaux pour obtenir des loges de faveur. Quatre heures sonnent, il faut se presser, que le cocher fasse prendre le galop; on aurait disposé des coupons! Les chevaux de mille écus sont crevés pour économiser trente francs!

M. Scribe sait son monde sur le bout du doigt quand il vous peint des gens économes, quand il sacrifie l'amour à de misérables calculs, dont il ne vous épargne jamais le chiffre exact. Pas une de ses pièces où vous ne voyiez quelque portefeuille empli de billets, circuler de main en main ! Les héroïnes, cédant à une cupidité désolante, sont qualifiées de filles raisonnables. Les amans ne sont fidèles que si l'objet aimé est une riche héritière, et je gage que la pièce n'est pas achevée, le portefeuille n'a pas encore servi de dot, que déjà l'auteur sait, à quelques francs près, ce que son ouvrage lui rapportera. O muses! inspirez-le !

J'ai ouï dire que M. Scribe était fort blasé sur les plaisirs de la capitale, et cela doit être; mais je suis sûr qu'ayant ses entrées à tous les théâtres, il en profite encore volontiers; il va au Musée sans doute, peutêtre même au Champ-de-Mars, et ne dédaigne pas la fête d'anniversaire. On n'aime plus le plaisir, on n'aime que le métal symbolique par lequel on pourrait se le procurer; mais on se persuade encore qu'on y trouve de l'attrait, parce qu'on croit avoir gagné les dix francs que coûterait la place qu'on occupe à l'orchestre de l'Opéra. On bâille outre-mesure, on s'endort, et quand le rideau tombe, on se dit : « Tous ces gens-là paient pour s'amuser, et moi je m'ennuie gratis! » et on se couche satisfait.

REVUE

DE PARIS.

XLI.

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