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-Non, seigneur, ce n'est pas pour danser le fandango que je suis venue ici.

Ah! ah! tu veux changer de métier! Le tien est bon pourtant, on t'aime, on t'applaudit sur les places publiques, et il pleut des maravédis dans la calotte de ton danseur.

Il y pleut aussi des doublons, je ne l'ai pas oublié; devant la taverne du vieux Chinchilla, une main généreuse s'étendit vers moi. Voyez si j'ai bien gardé ce qu'elle m'a donné.

La gitana leva son bras frais et brun, pour montrer un bracelet de verroteries, auquel les doublons percés et attachés par un gros fil, servaient de plaques.

-Comment! dit don Pablo étonné, les gitanos t'ont laissé cela? et toi tu l'as gardé? Mais tu ne sais donc pas qu'avec ces deux pièces d'or tu pourrais acheter une belle jupe de soie, des rubans. neufs, des souliers, des perles de toute couleur?

-Je le sais; mais ces doublons... c'est vous, seigneur, qui me les aviez donnés, je les gardais en souvenir de vous... On a voulu me les prendre, mais...

- Mais tu défends bien ce qu'on te donne.

Elle se redressa d'un air résolu, en touchant le manche d'un petit couteau passé dans sa ceinture. Puis elle appuya ses deux mains sur le bras de don Pablo, et lui dit : Depuis trois mois, je suis en route pour venir ici...

Depuis trois mois! tu aurais eu le temps de faire ton tour d'Espagne.

- Je n'allais pas vite, je n'allais pas par le droit chemin. Que de haltes! que de détours! que de fatigues! mais le but était ici... Murviedro!... Enfin j'y suis arrivée !

- Pour repartir aussitôt : on dit que les gitanos ne passent pas volontiers plusieurs jours de suite en un même lieu.

- Il est vrai, nous allons, nous allons toujours; mais je suis lasse, moi, je veux m'arrêter, je veux rester ici...

– Tu veux rester à Murviedro? interrompit don Pablo avec étonnement, eh! pourquoi?

Elle s'assit sur un fût de colonne renversé en laissant retomber ses bras, et répondit à voix basse: Parce que vous y êtes, seigneur.

TOME XLI. ΜΑΙΑ

8

La Palomita était belle, et le comte de Peñaparda n'était pas un saint; honteux et fasciné par les regards, les paroles de cette femme à la fois si passionnée, si hardie et si naïve, il se pencha vers elle et murmura: Demain, là-haut, aux ruines... j'y serai seul, après l'ave maria... je t'attendrai!'

- Holà! capitaine! où donc êtes-vous ? cria Benito Romero; il est temps d'aller faire notre partie d'hombre.

-Eh bien! allons, allons tout de suite! répondit.don Pablo en se montrant; je vous attendais.

A demain, là-haut, murmura la Palomita, restée seule sur le parvis du temple; don Pablo m'a dit : A demain !... Qu'il est! beau! qu'il est fier!... Je l'aime!... Je vais donc m'arrêter ici, m'arrêter pour toujours! adieu, la belle vie des montagnes et des grands chemins! adieu, la liberté ! j'ai un maître, à présent!

(La suite au prochain numéro.)

H. ARNAUD.

(Mme CHARLES REYBAUD.)

MUSÉE ESPAGNOL

A PARIS.

PREMIER ARTICLE.

Si le jour que Christophe Colomb descendit en Espagne, au retour de sa découverte de l'Amérique, quelqu'un fût allé au-devant du grand voyageur et lui eût dit : « Racontez-moi votre expédition, apprenez-moi ce que vous avez vu, confiez-moi le récit de vos émotions, de vos aventures, de vos périls, de vos conquêtes, j'écrirai fidèlement ce que j'aurai entendu, pour remplir mes devoirs d'historien et satisfaire la curiosité du pays; » et si Christophe Colomb, cédant à la prière de l'étranger, lui eût dévoilé les mille prodiges de son voyage, les cieux imprévus, les terres vierges, les oiseaux d'or, les fleuves spacieux comme des mers, les villes peuplées, les langages, les idées du Nouveau-Monde, dites si l'étranger n'aurait pas hésité devant son projet d'écrire ce qu'il avait désiré si témérairement connaître?

Je suis cet étranger curieux, cet historien imprudent, et le

monde dont la découverte m'a été révélée, c'est la collection de tableaux rapportée d'Espagne par MM. Taylor et Dauzats.

On avait cru jusqu'ici que l'Espagne ne possédait en propre que deux ou trois peintres dignes d'être cités, par complaisance ou pour mémoire, à la suite des artistes célèbres de l'Italie, de l'AIlemagne et de la France. Une fois cette politesse de catalogue accomplie, on ne songeait à l'Espagne qu'à propos des inquisiteurs, des femmes brunes, et des petits poignards qu'elles portent ou qu'elles ne portent pas à la jarretière. On repoussait, grace à M. de Voltaire et à sa lumineuse philosophie, dans le chaos de la nullité cette nation de fanatiques, d'ignorans et de barbares. M. de Voltaire nous a fait un joli peuple, en vérité !

Un jour, et il n'y a pas de cela cent ans, un jour, il y a deux ans à peine, un prince homme de goût, en songeant à la dernière révolution espagnole, en lisant des récits de pillages d'églises et de communautés religieuses, de fuites de riches seigneurs à l'étranger, songea aussi que le moment était venu de sauver, au profit de la France, les tableaux qui étaient l'ornement de ces établissemens détruits l'un après l'autre par le fer et le feu.

Saisissant cette idée royale avec son zèle si actif pour tous les intérêts du pays, M. de Montalivet s'adressa, pour la réaliser avec succès, à M. le baron Taylor, ce savant, cet artiste, ce voyageur, qui passe avec tant de rapidité des pyramides d'Egypte aux ruines de l'Alhambra, de l'Espagne à Athènes, et d'Athènes au foyer du Théâtre-Français. M. le baron Taylor associa à la conspiration un artiste connu aimé de tous, M. Dauzats, et l'expédition fut arrêtée, préparée et mise à exécution, sans qu'aucun s'en doutât : rare discrétion dans un pays qui sait tout en quelques heures, et où aucune conspiration n'a jamais réussi et ne réussira jamais!

Il ne serait pas impossible que quelques esprits bien faits, excellemment moraux pour le compte d'autrui, ne vinssent à objecter qu'agir si fatalement à propos, acheter des tableaux à une nation qui s'en va, c'est la dépouiller, la voler, la mettre à nu, l'achever sans pitié pour sa gloire, sans respect pour son passé et pour son avenir. Il vaudrait mieux, sans doute, laisser brûler toute la galerie d'un couvent de moines de la Merci que de l'acheter pour

la moitié de sa valeur; il serait plus honnête assurément de laisser passer par les armes des carlistes dix ou douze saints de Zurbaran que de les couvrir d'or, et de les ramener en France pour être logés, comme des saints qu'ils sont, dans les somptueuses travées du Louvre, à côté de Raphaël; c'est pareillement une tyrannie qui n'a pas de nom, de décrocher de quelques chapelles, transformées en écuries ou en corps-de-garde, de suaves vierges qui auraient été vendues le lendemain aux colonels anglais de la légion étrangère. Que les plus irritables se rassurent. Les artistes français chargés d'acheter pour le compte de la liste civile les quatre cents tableaux d'églises, de couvens, de châteaux, réunis aujourd'hui dans dix salles du Louvre, n'ont fait violence à personne, à aucune opinion, à aucun préjugé. D'ailleurs où étaient leurs armées pour appuyer leurs prétentions? où était leur force? Leur force était dans leur désir de sauver des flammes et des outrages de la guerre civile des merveilles fragiles qui ne leur ont pas toutes coûté si peu qu'on le présume dans des supputations des Mille et une Nuits; et leur conviction, autre force dont ils se sont soutenus à travers bien des périls, était dans l'espoir d'enrichir le musée de la France, non pas aux dépens de l'Espagne, mais aux dépens du pillage. Le pillage seul a le droit de se plaindre.

La question de droit public ainsi vidée, il resterait à dire, et cela se dira plus tard ou bientôt dans cette Revue, les obstacles particuliers, incessans, nombreux, que M. Taylor a eu à vaincre pour ramener en France quatre cents tableaux, beaucoup de dimensions très gênantes, quelques-uns, peu, à la vérité, altérés par le temps, et presque tous d'une couleur si pure si tendre, si impérieusement achevée, que le véritable crime n'eût pas été de les avoir enlevés à l'Espagne, mais de les envoyer en France blessés ou irréparablement dégradés. Heureusement tous les immortels voyageurs sont arrivés à bon port; saints et saintes n'ont perdu en route ni de leurs douleurs ni de leur beauté; ceux-ci, rassurez-vous, souffrent comme s'ils avaient subi le martyre hier; celles-là regardent le ciel avec la même sérénité qu'elles avaient, il y a des siècles, sous le règne de Philippe II, qui les a adorées à deux genoux et à deux mains.

Que de nobles Castillans, au contraire, auraient protégé de

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