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d'une bergère; sa robe n'a ni or ni perles, et ses cheveux sont ramassés sous un chapeau de paille, comme sa blonde sœur, sainte Geneviève de Paris. Mais l'une et l'autre, la grande dame et la bergère, santa Marina et santa Barbara, jouiront d'un égal crédit aux yeux des admirateurs de la chaude peinture et du beau dessin.

Quatre autres saintes de Zurbaran, mais de grandeur naturelle, permettront d'étudier cet artiste à un point de vue moins triste que celui où il s'est presque exclusivement placé. Sainte Cécile, sainte Ursule, sainte Inès et sainte Catherine sont représentées avec les différens attributs que leur donne la légende. A vrai dire, ces saintes ne sont que quatre grandes dames de la cour de Madrid ou de Tolède. Zurbaran les a vêtues bien mondainement pour des bienheureuses; que les moines le lui pardonnent, nous lui pardonnons bien volontiers. On verra dans ces quatre peintures comment Zurbaran, placé à la source des modes de son temps, étant peintre du roi, a réglé les attitudes des femmes de son époque, et combien ces attitudes, alors fort distinguées sans doute, s'éloignent de celles des femmes d'aujourd'hui. Elles portent toutes quatre la poitrine et le reste du buste aussi en avant que la structure humaine le permet. On conçoit qu'il y a une dé- . pression proportionnelle dans la partie opposée, ce qui s'accordait, il faut le croire, avec les idées de beauté du siècle de Zurbaran. Nous possédons en France des philosophes qui décideront la question de prééminence entre les deux manières, pourvu qu'ils ne les acceptent pas toutes les deux.

N'omettons pas un Moine en prières, du même maître, et deux autres moines aussi beaux, aussi austères que le premier, et tant d'autres moines encore. Malgré la quantité, Pascal n'eût pas dit, à propos de Zurbaran, qu'on était fâché de trouver plus facilement des moines que des raisons.

Notre seconde course est finie; en la terminant, rendons à la brillante école andalouse Roélas, qui participe, malgré ses qualités, de la première manière de Murillo; Luis de Vargas, copiste peu louable de Raphaël, curieux à étudier comme date, et Antonio Moreno, que nous jugerons mieux quand la poussière, à travers laquelle on aperçoit sa Sainte Famille, aura été secouée.

LEON GOZLAN,

ZINGARELLI.

La musique vient de perdre un de ses patriarches; Zingarelli, l'un des chefs de l'ancienne école italienne, est mort à Naples, à l'âge de quatrevingt-sept ans. Quelques biographes disent pourtant qu'il était né à Naples le 4 avril 1752, ce qui réduirait la somme de ses années à quatrevingt-cinq. Nicolo Zingarelli avait à peine sept ans quand son père mourut, ses parens le firent entrer au conservatoire de Loretto; il eut pour maître de composition Fenaroli; Cimarosa, Giordanello, étaient ses compagnons d'études. L'instruction que l'on donnait alors dans les conservatoires de Naples n'était pas suffisante pour former un compositeur. En sortant de cette école, Zingarelli se mit sous la direction de l'abbé Speranza, pour arriver à connaitre tous les secrets de la théorie musicale. En 1781, il écrivit Montezuma pour le théâtre de Naples; cet opéra, remarquable sous le rapport du travail d'harmonie, était peu mélodieux; Haydn le trouva fort à son goût, mais les Napolitains ne l'applaudirent point.

Zingarelli fut sans doute très flatté de l'approbation de son illustre confrère d'Allemagne; il vit pourtant que le public demandait autre chose que des accords savamment enchaînés; il abandonna le style recherché, et la mélodie qu'il fit entendre dans Alzinda, composé à Milan quatre ans après, lui valut son premier succès dramatique. Il fut brillant, et Zingarelli jouit alors de toute la faveur des dilettanti. Les entrepreneurs de spectacles des autres villes de l'Italie voulurent l'avoir à leur tour; il écrivit un grand nombre d'opéras, parmi lesquels on distingue: Ifigenia, Pirro, Artaserse, Apelle e Campaspe, Romeo e Giulietta, Il Conte di Saldagna, Inez de Castro, La Secchia rapita, Il Ritratto, plus deux oratorios: la Distruzione di Gerusalemme, il Trionfo di Davide. Romeo e Giulietta et la Distruzione di Gerusalemme ont été représentés

à Paris. Lorsque Mme Pasta nous a fait entendre Romeo e Giulietta sur le théâtre Louvois, la partition de Zingarelli avait été rajeunie au moyen de plusieurs morceaux de Rossini; un quintette de Portogallo y figurait depuis long-temps. Ce Romeo était une espèce de pastiche dans lequel brillaient encore au premier rang le duo Dunque tu m'ami, la prière, l'air admirable Ombra adorata. Pour apprécier dignement cette musique suave et d'une expression tendre et passionnée, il faut l'avoir entendue quand Crescentini et Mme Grassini représentaient Roméo et Juliette sur le théâtre impérial des Tuileries. Rien de ce que nous avons applaudi ne peut approcher de ce prodige d'exécution vocale et dramatique.

En 1789, l'administration de notre Académie royale de Musique appela Zingarelli à Paris, pour écrire un opéra français. Ce maître fit traduire, par Marmontel, Antigono, qu'il avait fait représenter à Bologne, trois ans auparavant. Cette partition, revue et augmentée, n'eut aucun succès; Antigone fut éloignée de la scène après sa seconde épreuve. Il est vrai qu'à cette époque il était difficile de constater la réussite d'un opéra, de lui fournir la chance d'une revanche; les évènemens politiques étaient d'un intérêt si pressant, ils se succédaient avec tant de rapidité, que le public ne songeait point à s'occuper de musique italienne ou française.

Le bruit du canon de la Bastille effraya Zingarelli, qui se hâta de regagner la frontière. Il composa à huit voix, pour obtenir la place de maître de chapelle du dôme de Milan; il fut élu après un examen de trois jours consécutifs. Les guerres d'Italie le forcèrent à abandonner ce poste; à la mort de Guglielmi, en 1806, le pape le nomma pour remplacer ce maître à la chapelle du Vatican. Depuis cette époque, Zingarelli cessa de composer pour le théâtre, il écrivit encore une infinité de messes, de vêpres, de motets.

En 1811, un Te Deum solennel fut chanté dans toutes les églises de l'empire français, à l'occasion de la naissance du fils de Napoléon. L'ordre parti des Tuileries arriva jusqu'à Rome, alors chef-lieu d'un de nos départemens, et convoqua les fidèles de la cité sainte, pour célébrer aussi cet heureux évènement. Les cardinaux, les évêques, les prêtres, les sacristains avaient tout disposé pour la cérémonie; la superbe église de Saint-Pierre était parée, le peuple romain venait au rendez-vous pour entendre le Te Deum et prendre part à une fête pompeusement annoncée, et que la musique devait embellir. Au moment de commencer, on s'aperçoit que les chanteurs et les symphonistes manquent à l'appel, ils ne sont point à leur poste, pas même leur chef, le maître de chapelle Nicolo Zingarelli. Le sacré collége fait mander ce compositeur; il arrive, mais on n'est pas plus avancé. Zingarelli se déclare coupable, il dit comme

Nisus: Me, me adsum qui feci. Zingarelli ne reconnaît pas le fils de Napoléon pour son souverain, il renie le nouveau roi de Rome, et ne veut pas que l'on chante pour remercier le ciel du cadeau qu'il a fait aux Romains. Zingarelli a mis sous clé sa musique, et congédié les musiciens; sous aucune raison, prétexte, excuse que ce soit, il ne consentira à les convoquer. Le maestro réfractaire ne craint point les menaces, il se fera plutôt couper le poing que de prendre le bâton de mesure pour conduire sa troupe et la faire participer à un tel sacrilége.

Napoléon fut instruit de cette incartade singulière, de cette rébellion d'une espèce nouvelle, et Napoléon n'entendait pas raillerie en matière de Te Deum. Il affectionnait tant cette hymne, qu'il la faisait chanter même après ses défaites. Sur-le-champ un message secret prescrit au préfet de Rome de faire arrêter Zingarelli, et de l'expédier de brigade en brigade, clos et couvert, dans un fourgon. Ces mesures n'effrayèrent pas du tout notre musicien fanatique; il n'éprouvait aucun remords de conscience; il ne songeait point à demander sa grace, et s'il venait à Paris, c'était pour refuser encore un Te Deum, demandé avec tant de persévérance et d'une manière si peu courtoise. Volontiers, Zingarelli se fût laissé brûler vif plutôt que de céder; ce martyre lui eût sur-le-champ donné place parmi les anges qui concertent avec sainte Cécile, sa patrone.

M. de Tournon, le préfet, voyant un homme si déterminé, prêt à entreprendre ce long voyage, sans en redouter les résultats, voulut lui épargner le désagrément d'être escorté par la gendarmerie. Il accepta sa parole de musicien, et le laissa partir par la diligence avec promesse de ne pas s'égarer en chemin. Zingarelli ne mit pas moins d'exactitude à se rendre à Paris, que Régulus n'en avait montré pour aller reprendre ses fers à Carthage. Il arrive sur les bords de la Seine avant l'expiration du délai fixé, se loge sur le boulevart des Italiens, dans la maison no 7, habitée encore, à cette époque, par son confrère Grétry, et fait savoir à l'empereur qu'il attend ses ordres. On ne lui répond pas. Huit jours après, un envoyé du cardinal Fesch, grand aumônier, vient chez le maître de chapelle et lui remet trois mille francs de la part de Napoléon, pour les dépenses d'un voyage entrepris par son ordre. Deux mois après, l'empereur lui demande une messe solennelle; il l'écrit en dix jours, on l'exécute, le 12 janvier 1812, à la chapelle, et Zingarelli reçoit cinq mille francs de gratification. Il fut chargé de mettre en musique cinq versets choisis dans le Stabat Mater. On les exécute au palais de l'Élysée, le vendredi saint, 27 février 1812. Chantés par Crescentini, Lays, Nourrit, et Mmes Branchu et Armand, ils produisent un effet merveilleux. Ladurner

accompagnait les voix sur l'orgue expressif de Grenié. Lorsque le virtuose Crescentini s'avança pour dire le verset Vidit suum dulcem natum, il pria l'organiste de lui céder la place, et sut si bien unir le charme de sa voix, son expression ravissante, aux accords de l'instrument, qu'il fit verser des larmes à tout l'auditoire. Le verset fut répété par le sublime chanteur : un signe de l'empereur avait prescrit ce da capo. On n'applaudissait pas, mais on pleurait; on était dans l'extase.

Aucune autre requête ne fut adressée à Zingarelli. Ce silence durait depuis plus d'un mois, quand il fit annoncer au cardinal Fesch, avec beaucoup de précautions et par un ami, que les obligations de sa place de maître de chapelle de l'église de Saint-Pierre l'appelaient à Rome, et qu'il désirait savoir, à peu près du moins, quand il lui serait permis de penser à son départ. « Demain, après-demain, aujourd'hui même, si cela lui convient, répondit-on; M. Zingarelli est parfaitement libre; son séjour à Paris est une bonne fortune pour nous, il est vrai, mais S. M. serait fachée qu'il lui fit négliger ses affaires. »

C'est ainsi que se termina ce voyage, commencé d'une manière qui ne promettait pas de semblables résultats. Zingarelli dirigea sa course vers le Vatican, et ce n'est pas sans plaisir qu'il disait de temps en temps, sur la route: « Je n'ai pourtant pas fait chanter de Te Deum pour notre prétendu roi. »

Zingarelli fut ensuite nommé directeur du conservatoire de Naples; parmi les nombreux élèves de ce maître, on compte Mercadante et Bellini. Avec l'insouciance du philosophe et l'imperturbable tranquillité du juste, Zingarelli a terminé une carrière glorieuse, et que de brillans triomphes ont signalée à toutes les époques. Il a écrit dans tous les genres; sa musique sacrée est très estimée; on place au premier rang sa messe funèbre pour les obsèques de Louis de Médicis, ministre des affaires extérieures de Naples, et son fameux Miserere à quatre voix sans orchestre. J'ai déjà parlé de ses opéras, je pourrais en citer d'autres encore, tels que il Bevitor famoso, Clitenuestra. A son vaste savoir Zingarelli joignait une belle ame; il était vénéré, chéri de tous ceux qui le connaissaient. D'un esprit subtil, sans orgueil, bon ami, protecteur des jeunes gens qui annonçaient d'heureuses dispositions, loyal, prévenant, son caractère généreux ne s'est jamais démenti.

Donizetti s'est empressé d'écrire de la musique pour le service funèbre de l'illustre maître; on pense que l'auteur d'Anna Bolena pourrait bien être appelé à lui succéder dans la direction du conservatoire de Naples.

CASTIL-BLAZE..

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