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Elle les vit tous à sa suite,

Tous à sa suite s'élançant (1).

Et sur sa poitrine haletante

Sa tête tombait de douleur,

Et ses dents claquaient d'épouvante,

Et son sang se glaçait au cœur.

III.

- Asseyez-vous un peu, madame,

On va préparer le repas;

Remettez vos sens et votre ame,
Le souper ne tardera pas.

Près du foyer, courbé par l'âge,
Les cheveux blancs, la barbe aussi,
Plus noir qu'un corbeau de la plage,
L'œil en feu, Joioz est assis.

La voici donc, la jeune fille
Que je demandai si souvent!
Elle est, par ma foi, bien gentille !
M'aimerez-vous, ma belle enfant ?

Venez avec moi, ma mignonne;
Venez, que je vous fasse voir
Tous les trésors que je vous donne,
Tous mes trésors, tout mon avoir.

Comptez-les ! en voilà, j'espère!
Comptez ces écus par monceaux.
-J'aimerais bien mieux chez mon père
Près du feu compter les copeaux.

- Descendons au cellier, ma mie,
Goûter de mon vin le plus doux.

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(1) Le barde, ennemi naturel des Français, n'a-t-il pas voulu peindre ici la France, où s'exile la jeune fille, sous les traits de l'enfer druidique? Ce lac des peines, ces petites nacelles pleines de morts, ces vallées du sang, paraîtraient l'indiquer.

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Au prêtre qui m'a baptisée,
A monsieur le recteur, à tous;

Allez, et n'oubliez personne,
A tous pour moi dites adieu,
A mon frère... qu'on lui pardonne!
Allez, chers oiseaux du bon Dieu.

V.

Trois mois après, dans la chaumière
Chacun reposait; aucun bruit
Au dedans, ni sur la bruyère:
Il était bien près de minuit.

Or, on entendit, à la porte,
Murmurer une douce voix,
Pareille à la plainte qu'apporte
La brise des mers ou des bois :

-Faites prier pour moi, ma mère,
Priez aussi, prenez le deuil;
Car on me porte au cimetière,

Votre fille est dans son cercueil.

Ce chant de barde remonte, comme nous l'avons dit, au xive siècle; au moins y a-t-il lieu de le croire, car c'est l'époque où vivait le baron Loys de Jauioz; et dans la poésie bretonne, tout historique et populaire, jamais écrite, les chants sont toujours contemporains des faits qu'ils relatent; ce sont les cartulaires sur les feuillets desquels les bardes enregistrent jour par jour tous les évènemens. Quant à sa vérité historique, les rapports, alors plus intimes que jamais, de la Bretagne avec la France lui donnent un haut degré de probabilité, sinon de certitude complète. J'emportai du Val-des-Druidesses une fiole d'eau de leur fontaine et une branche d'airelle en fleur, qui est chez nous la plante du long souvenir, avec mille pensers charmans, et mon vieux chant de barde, autre fleur cueillie sur des ruines.

THÉODORE DE LA VILLEMARQUÉ.

BULLETIN.

Pour quiconque n'a point d'engagement perpétuel avec M. Guizot et ses amis, et n'a été entraîné à les suivre pendant plusieurs années qu'à cause du désordre qui envahissait la place publique et se propageait dans les esprits, il est évident que nous touchons à une période où il va être possible, et où dès-lors il sera prudent et nécessaire de désarmer les passions politiques déjà vaincues, non pas en désarmant le pouvoir lui-même de toutes les forces qui lui ont été données, mais en laissant dormir dans le fourreau ce glaive de la loi que quelques hommes voudraient toujours brandir étincelant aux yeux de tous, ne connaissant pas, quant à eux, d'autre moyen de ne pas le laisser rouiller. Nous entrons dans une époque de véritable conciliation, tous les partis ont ce pressentiment et cette confiance, hormis les doctrinaires.

L'opposition, nous ne voulons parler ici que de la vraie et nationale opposition, et non de celle qui occupe dans les chambres une place imperceptible et se complaît à faire entendre de temps à autre, par l'organe de son grand orateur isolé, un beau discours que toutes les opinions applaudissent comme une admirable fantaisie d'artiste; l'opposition donc qui siége à gauche ou devrait y siéger, et dont M. Barrot est encore le chef avoué, a été la première à prêcher la conciliation, comme c'était son rôle et son habitude, en temps inopportun. Maintenant que le moment est venu, comment saura-t-elle y aider? Sa conduite sera-t-elle enfin plus sage et plus habile que par le passé? Voudra-t-elle reconnaître quels sont les hommes qui peuvent presque seuls aujourd'hui accomplir ce qu'elle a tant souhaité et prophétisé? Voudra-t-elle ajourner son espoir d'agir

par elle-même et laisser déblayer par d'autres mains le terrain où elle compte avoir un jour sa place, puisqu'elle doit croire à son avenir politique? Nous pourrions en douter, en observant sa tactique trop peu réfléchie dans la solennelle discussion sur les fonds secrets que cette semaine a vu ouvrir et clore.

Déjà deux tentatives avaient été faites pour modifier le système du 13 mars, ou plutôt celui du 11 octobre, qui avait exagéré son modèle, en cherchant à le reproduire dans des circonstances plus orageuses et avec moins de force réelle, car la vraie force du caractère, la seule devant laquelle on s'incline dans les affaires publiques, n'y était plus alors, et la nationalité des antécédens, l'influence des plus généreux souvenirs, représentées encore par M. Thiers, avaient dans le gouvernement un défenseur de moins, par la mort de Casimir Périer. De ces deux tentatives, qui voulaient adoucir les moyens de la résistance, l'une n'avait duré que trois jours; ce fut celle qui donna naissance au cabinet que devait présider M. le duc de Bassano. Elle était évidemment prématurée. Nous ignorons ce qu'aurait fait l'opposition pour la soutenir, et si elle aurait compris quelle modération nouvelle, quelle position au moins d'expectative lui était commandée par son propre intérêt. Il y eut un second essai, celui du 22 février. L'opposition montra alors pour la première fois qu'elle peut être jusqu'à un certain point disciplinée; elle s'en glorifie encore aujourd'hui comme d'une chose imprévue; elle s'en glorifie, et c'est du moins une preuve, à nos yeux, que, si elle combat encore, si elle est destinée à entraver la marche du cabinet du 15 avril, ce n'est point pour le plus grand honneur et pour la rigueur absolue des principes qu'elle s'est faits ou qu'elle a acceptés tout faits de quelques-uns de ses devanciers immobiles.

Dans la séance de vendredi, à la chambre, M. Barrot nous a rappelé qu'il avait soutenu, avec plus ou moins de répugnance ou de méfiance, mais qu'il avait soutenu enfin le cabinet du 22 février contre les efforts des doctrinaires pour rentrer au pouvoir. Il lui a suffi, dit-il, de la plus légère lueur d'espérance qui lui montrait dans le lointain une modification possible du système impitoyable, dont M. Guizot a toujours été le représentant le plus exact et le plus opiniâtre; il lui a suffi de voir M. Guizot hors des affaires et M. Thiers président du conseil. Il a suspendu ses attaques, il a attendu, il a espéré un meilleur ordre de choses. Mais M. Barrot, si clairvoyant, au 22 février, voudra-t-il donc fermer les yeux aujourd'hui à toute lumière nouvelle? M. Guizot n'est-il plus, maintenant comme alors, sur son banc de simple député? N'y est-il pas retombé après un second ou troisième effort impuissant pour dominer le gouvernement de son pays? Il s'y trouverait plus faible et plus abandonné que jamais, si tous ceux qui condamnent son système et ses expédiens politiques voulaient travailler sérieusement à les repousser; car, sur ce banc où il est allé s'asseoir, on pourrait le cerner et l'emprisonner chaque jour plus étroitement dans son impopularité qu'il avoue, et plus encore dans cette déconsidération politique qui doit s'attacher à un

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